L’air était doux, et pourtant, elle frissonnait, sur ce banc public où elle avait pris place. Elle que l’on disait forte, elle se sentait si
fragile...Rassemblant nerveusement près d’elle son sac et son
écharpe, elle se força à respirer lentement. Les battements de son cœur résonnaient dans sa tête… résonner, raisonner… elle s’amusa un instant des homophones, la langue française était
savoureuse… Elle regarda sa montre : encore un quart d’heure à attendre. Elle tripotait nerveusement sa
bague.
Envahie par le stress, elle se força à observer son environnement. Près de la
balançoire, une toute petite fille tentait de séduire le
husky d’un
marginal, lui tendant sa main en guise d’
appât. L’animal, peu
sauvage, lécha les doigts de l’enfant.
Enchantée, elle eut un rire cristallin. Le pouvoir des enfants n’était pas une
légende… Une femme brune, à l’air
sombre, se précipita, éloigna l’enfant de l’animal, rompant ainsi le charme. Son cœur se serra : quel
dragon ! Un goût de
cendre dans la bouche… pourquoi se sentait-elle
blessée par cette scène ? … les
fantômes du passé… Elle n’était qu’une
idiote, que faisait-elle là ? Comment avait-elle pu un instant croire…
Prise de vertige, elle se leva pour
marcher un peu, l’allure mal assurée. Non elle n’allait pas renoncer. Encore 10 minutes.
Ses pas l’avaient conduite au pied d’un petit immeuble. C’était là. A côté de la porte cochère, une veille boutique désaffectée affichait une publicité défraîchie, pour des sous-vêtements : pieds nus dans la
neige, un homme rigolard, en caleçon et maillot de corps de flanelle s’apprêtait à
chevaucher un
antique télésiège, sous l’oeil médusé d’un monsieur élégant, qui semblait complètement
gelé dans son épais
manteau de fourrure. L’incongruité de cette scène, en plein mois de mai, la fit sourire. Elle entra dans le hall. Un vieil homme sortait de l’ascenseur et pour se donner une contenance, elle fit mine d’observer les
ornements au-dessus de la porte, des
motifs art déco de toute beauté.
L’homme disparut ; elle prit une grande inspiration : il lui faudrait déployer des
trésors de courage, mais elle parviendrait à
construire son nouveau chemin. Sa chance était là, il fallait l’
attraper au vol. Elle était
mûre pour la suite, c’était maintenant qu’elle devait le faire. Elle trouva la bonne porte et sonna, toute tremblante. Sur la plaque dorée, on lisait « psychologue clinicienne, bilans psychométriques ».