Par où commencer ?
Ah.
En 2013, on vendait à Drouot une quarantaine de masques hopis. Un représentant de la tribu a fait le déplacement dans l'espoir, forcément déçu, de faire annuler cette vente et de revenir en Arizona avec ses masques. Parce que pour lui, il ne s'agissait même pas d'objets sacrés : c'était ses amis, sa famille, qu'on mettait aux enchères.
Pour les Hopis, sans l'aide des Kachinas, ils n'auraient jamais pu survivre à leur arrivée dans ce monde : ce sont eux qui leur ont montré comment cultiver le maïs, qui ont intercédé en leur faveur auprès des éléments et des divinités lointaines. Ils les visitent d'ailleurs toujours, à l'occasion de longues cérémonies dont la succession couvre une grande partie de l'année : les Kachinas chantent et dansent pour accompagner la succession des jours et des saisons.
Pour un Hopi, le Kachina, c'est le danseur qui en porte le masque. Il ne s'agit pas de représentation : les Kachinas sont là.

Pour les petites poupées en racine de peuplier, c'est autre chose : à l'origine, les Kachinas les offraient aux enfants pour les familiariser avec les innombrables membres de cette grande famille d'esprits. Ce ne sont pas des idoles ou des fétiches. On peut s'en séparer, les vendre même, et c'est d'ailleurs ce que font les Hopis depuis un bon siècle qu'ils ont perçu l'intérêt des Blancs pour ces objets. Leur petite communauté (ils sont un peu plus de quinze mille) compte aujourd'hui de nombreux sculpteurs dont le travail ressemble rarement à ce que vous voyez ci-dessus. C'était sûrement cette fraîcheur-là qui fascinait, entre autres, André Breton, Jean Cocteau ou Yves Berger. Aujourd'hui, l'écrasante majorité des poupées kachina ressemble soit à une imitation somnambulique des modèles anciens les plus sommaires, soit à une démonstration de virtuosité technique que les collectionneurs paient d'autant plus cher que les détails sont intriqués et nombreux. Peu importe si le résultat a quelque chose d'horriblement stérile.
Mais le plus intéressant dans l'histoire, c'est que ceux qui collectionnent ces objets ne savent que très peu de choses sur les esprits qu'ils représentent : les Hopis conservent leurs traditions avec un soin jaloux depuis qu'ils ont compris que cela se volait ; leurs danses sont rarement publiques, et il est généralement interdit de les filmer et même d'en faire des croquis. En somme, ils vendent ce qu'ils veulent bien vendre, et sans notice : on connait les noms des Kachinas, on a une vague idée de leur origine et de leur fonction, mais quant aux pratiques religieuses qui leur sont associées, elles restent résolument vagues.
J'imagine que la fascination qu'exercent ces figures tient aussi à cette ignorance.
C'est déjà long pour une introduction : j'arrête là.
