madeleine a écrit :Toutefois, contrairement à B2B, c'est le concept de bienveillance qui me questionne un peu, assorti qu'il me paraît être d'une aura légèrement mystique et socialement trop valorisée pour être honnête ; est-ce que la bienveillance c'est seulement une attitude a priori non-hostile envers autrui ?
Même chose, et de plus en plus.
Je ne pense pas que la bienveillance se cantonne à l'absence d'hostilité. Il me semble en fait qu'elle induit un rapport de hiérarchie : y aurait-il un sens à dire qu'on est bienveillant envers celui qu'on juge au-dessus de soi ? Ou même son égal ? Si l'on
veut le bien d'autrui, n'est-ce pas plutôt qu'on se voit en position de déterminer la nature de ce bien comme de le lui prodiguer ?
Si bien que se dire bienveillant, c'est se reconnaître sur l'autre un pouvoir qui tiendrait de l'autorité morale : on le guide, le conseille - ou tout au moins on veille sur lui.
La bienveillance ne peut donc pas être une complète ouverture à autrui dénuée d'intention.
Ce n'est pas la même chose qu'être
hospitalier ou
fraternel.
Parce qu'on a un projet pour l'autre, que ce soit son bonheur ou l'illumination, on a cet horizon du bien qu'on lui indique de façon plus ou moins insistante. On sait pour lui.
Quant à l'intolérance, elle me semble délicate à cerner.
Si je dis tolérer des positions que je juge contraires au bien, mais que je travaille constamment à les infléchir, même par la douceur ou par l'exemplarité de mon propre comportement, ai-je fait autre chose que lutter contre elles ? La différence entre tolérance et intolérance se résumerait alors au temps que je laisse à l'autre pour changer ses vues et adopter les miennes, et aux moyens que j'y emploie. Davantage une différence de degré que de nature en somme. Et à qui revient-il de juger de cette nuance ? Si c'est à moi, j'ai beau jeu. Si c'est à l'autre, les combats des minorités de tous ordres montrent assez clairement qu'elles tendent à situer l'intolérance à un niveau de seuil beaucoup plus bas que la société supposée ouverte dont elles dénoncent l'oppression.
En revanche, si je tolère ces vues sans me soucier d'y changer quoi que ce soit ni même d'exposer les miennes, alors je semblerai considérer ces dernières comme au fond contingentes, comme une espèce d'idiome que des circonstances indifférentes m'auraient appris à parler, comme une chose qu'il n'y aurait pas plus de sens à défendre, à prescrire à autrui, que la position que je prends pour dormir. Si j'y attache aussi peu d'importance, il n'y a effectivement rien que je ne puisse tolérer.
Mais suis-je alors encore bienveillant, puisqu'il n'y a rien que je veuille pour autrui, pas plus que pour moi-même ?
Si je me cantonne à lui souhaiter d'être heureux à sa façon, si j'agis pour lui seulement en fonction de ce qu'il pense être son bien propre, quelle responsabilité accepterai-je de prendre au cas où ses choix se retourneraient contre lui ? Pourrai-je encore me prétendre bienveillant si je n'ai pas prévenu une souffrance que j'aurais vue venir ?
Et si justement je la préviens, n'ai-je pas posé des limites à ma tolérance en vertu de ce qui m'aura semblé être le bien ?
Reste la possibilité, comme le dit Kliban, de travailler à étendre le champ de ce que l'on tolère, voire de ce qu'on accepte, qu'on comprend. Mais je ne crois pas possible de l'étendre indéfiniment. Ce sera toujours un gain précieux, quand bien même relatif. Mais où, et en vertu de quoi, atteindra-t-il sa limite ?
J'en suis là, en gros. Ces questionnements sont pour moi moins généraux qu'ils en ont l'air, me trouvant un peu en panne de tolérance ces derniers temps.