En vrac, quelques pistes de réflexion :
-Négatricité : le fait de se fermer à tout apprentissage, de façon inconsciente généralement, parce qu'on est persuadé qu'apprendre, c'est se soumettre au professeur. Donc il s'agit d'un réflexe de survie, qui a pour fonction de préserver notre humanité, nous maintient en tant que sujet quand on a peur de devenir objet. Peut être relatif à un sentiment fort d'emprise de l'autre sur sa tête. On se ferme par refus de laisser l'autre faire rentrer son savoir dans notre tête comme on télécharge des fichiers dans un disque dur. Rapport à l'altérité à travailler, se demander d'où vient ce sentiment de menace psychique venant de l'autre. Est-ce le professeur qui abuse de son pouvoir ou une autre figure d'autorité dont on craint l'emprise (situation de transfert négatif sur l'éducateur).
-Peur de l'altération de l'autre de façon plus générale : pousse à apprendre seul car on se dit que le savoir brut, rationnel, distancé de l'émotionnel par le livre ou un autre support, n'est pas une source de changement de soi, juste de l'accumulation de savoir déshumanisé. Apprendre quelque chose à quelqu'un, c'est le changer. Changer sa vision du monde et de ses compétences et de sa façon d'écrire son avenir. Ca implique de le bousculer dans ses certitudes et de le contenir le temps qu'il reconstruise autre chose. Accueillir ses angoisses aussi. Apprendre seul, c'est avoir le choix de survoler ou de sauter ce qui nous bouscule trop, n'avoir rien à reconstruire. Juste à accumuler. Ce qui donne l'illusion de pouvoir se passer éternellement de l'autre et de son regard sur le chemin intellectuel qu'on a à faire. Illusion de la toute puissance de la logique et de l'objectivité. Rapport au savoir à travailler. Refus d'être bousculé et contenu, c'est aussi refuser d'être vulnérable devant un "autre", qui plus est un "autre qui a du pouvoir, puisqu'il en sait plus". Refuser d'être en déséquilibre devant lui, refuser de s'étayer à lui pour avancer et changer de point de vue. Refus de transférer de façon positive sur l'autre et son savoir et tout le pouvoir qui va avec. Quel esprit critique possible quand on apprend tout seul ? Qui peut nous aider à nous décentrer de notre point de vue ? Qui peut ouvrir des portes là où on ne voit que des murs ? Où on ne peut même pas imaginer qu'il puisse y avoir autre choses que des murs ? Refus du professeur enferme dans ses modèles épistémologiques, ses allants de soi, ses biais de compréhension et impossibilité d'en sortir tout seul. Parfois ça nous arrange bien de croire qu'on comprend mieux sans personne autour.
-Illusion individualiste du sujet : je n'ai besoin de personne et je me fais moi-même. Je me construis comme une machine, en assemblant des boulons (du savoir) et je les choisis moi-même. L'autre me gêne. L'autre est distinct de moi, n'a rien de commun avec moi et donc rien de vraiment utile à m'apprendre. Illusion mécaniciste de la pensée humaine. Se croire objectif et décorticable, déboulonable et remontable à l'envie, soi-même, comme un grand. Finir par se considérer comme un objet, dans la négation du besoin de l'autre, du manque, du vide, de l'inconnu, de l'inconscient et du vivant incontrôlable en soi.
-Sentiment d'être "hors cadre", manque de reliance au groupe, apprendre seul, c'est se soustraire à toute forme d'apprentissage lié à l'échange entre pairs, à l'errance du groupe dans l'épreuve, à la pensée collective. Etre hors cadre permet de n'avoir jamais à se mesurer aux autres, permet d'entretenir le double sentiment de toute-puissance et d'impuissance. L'absence de maître et de validation, l'absence d'échange avec le groupe ne permet aucun sentiment de légitimité, de reconnaissance des maîtres et des pais et permet de croire qu'on peut s'en passer. Enferme dans l'illusion de n'être pas un Homme, d'être en dehors de la cité comme dit Aristote, d'être un coup Dieu et un coup une bête. Rien ne permet de se sentir Homme parmi les autres, avec sa valeur et ses limites. Explique pourquoi les autodidactes ont tant de mal à mettre un prix sur leur travail, parce qu'ils n'ont jamais été légitimés par personne. Retourner auprès d'un professeur et d'autres élèves, c'est à la fois se confronter à son impuissance et renoncer à la toute puissance. C'est douloureux et tout le monde n'a pas ce courage.
-Refus de la contrainte extérieure : apprendre seul c'est apprendre quand on veut, ce qu'on veut, jusqu'où on veut et au rythme qu'on veut. Rapport au temps à questionner. Avidité intellectuelle qui supporte mal le vide, le silence, le temps d'incorporation du savoir imposé par le professeur et l'espace-temps entre les cours. Apprendre seul, c'est comme manger seul, pas besoin d'attendre l'autre, pas besoin de patienter entre les plats, pas besoin d'être sociable. Culte de la performance, de la rapidité, de la concentration et du progrès à questionner. Voir l'autre comme un frein, un boulet qui nous retarde, une perte de temps dans la course à l'ingestion d'informations nouvelles.
Voilà, c'est tout ce qui me vient pour le moment. Si ça peut être utile à quelqu'un.

"Porter la liberté est la seule charge qui redresse bien le dos." Patrick Chamoiseau