Je m'excuse par avance tout d'abord de la longueur du texte, puis du fait que je déballe un peu ma vie en mode plaintif (je comprendrai que les modos cliquent en conséquence sur la petite croix), et enfin du fait que les problématiques soulevées dans ce post puissent exclure de facto les personnes ne travaillant pas dans l'EN. Ça ne vous empêche cependant strictement en rien de donner votre point de vue

Pour introduire le propos : je suis actuellement enseignant de mathématiques, en poste fixe, malgré mon jeune âge, dans un collège nommé "le pays des toupoutous", avec des collègues géniaux (dont plusieurs que je considère maintenant comme amis) et une direction qui tient à peu près la route. Bref, le cadre idéal. De plus, j'estime, au regard de mon récent rapport d'inspection, des retours de la direction, des parents, et des élèves, que je ne suis pas un mauvais enseignant, voire que ça se passe bien dans mes cours. Je vais même jusqu'à dire, dans ma grande prétention, que j'ai la vocation pour l'enseignement.
Et pourtant, voici un an que j'entame des démarches pour arrêter ce métier. En septembre 2015 au plus tard je ne serai plus enseignant.
Les raisons sont multiples (et données dans le désordre) :
- Mon métier est dévalorisé au niveau salarial. Compte tenu des compétences et du diplôme requis, en particulier en mathématiques, je considère que je ne suis pas bien payé. J'entame ma 5e année avec un Bac +5 en maths, et je viens de recevoir une paye de 1810.97 euros nets. Certains de mes potes de master, surtout les apprentis Kerviel, rigolent bien quand nous discutons de nos payes respectives.
- Mon métier est dévalorisé dans la vision qu'en ont les citoyens. Bon, il est vrai qu'à chaque fois que le Figaro fait un article sur les enseignants, je me flagelle en lisant les commentaires. Mais si seulement la déconsidération était circonscrite à cette feuille de chou, ce serait bien. Seulement, je croise encore des gens, parfois que je considère (malgré tout) comme des amis, qui me renvoient à la gueule mes "vacances", mes "18h", et que mon métier est un "truc de planqués". Bordel, pourquoi les concours de recrutement ne font pas le plein alors ?
- Délégué syndical déchargé en partie de cours pour assurer des permanences au local, je me rends compte de ce qui se passe au niveau académique et national dans la gestion de l'EN. Et je pourrai vous donner des millions d'exemples de gestion ubuesque, genre tout le monde n'est qu'une case excel, mais ça alourdirait le propos : je vous demande donc de me croire sur parole. Pour les curieux tout de même, voici un exemple : http://blogs.mediapart.fr/blog/tatiana- ... -nationale
- Mon métier est émotionnellement aliénant. Chaque heure de classe, je me retrouve avec un nombre de bombes émotionnelles compris entre 24 et 29, qui peuvent exploser à tout moment. De plus, dans une volonté de toujours vouloir faire quelque chose de parfait, on souhaite que tous les élèves réussissent et soient au meilleur de leurs capacités. Sauf que, n'ayant pas le don d'ubiquité, je ne peux, à chaque heure, être derrière Kévin le dyslexique, Cunégonde la dyspraxique, Nelson l'autiste, Kévina l'hyper-active, Brandon le dyscalculique, Robert-Eude le relou de service, Paola la surdouée et Vincent, Juliane, Jennyfer, Peter, et les 17 autres élèves sans adjectif notable. Ce qui implique, de fait, de laisser à chaque heure des élèves sur le carreau, en fonction de mon humeur. Pour ceux qui ont vu le film Amen, j'ai vraiment l'impression de vivre la scène où le prêtre désigne ceux qui doivent mourir, même si j'entends que l'image choisie est peut-être un rien disproportionnée.
- Et enfin, le plus important : j'ai l'affreuse impression de ne servir à rien. Aucune volonté de la part des élèves de s'élever, plus de curiosité, plus d'envie. Alors, bien sûr, on me dit que sur ma classe, il y en a toujours au moins quelques uns pour qui j'enseigne vraiment. Peut-être, mais sur mes 29 élèves de 4eZ, il y en a 27 qui me renvoient une image d'inutilité. Voire de vacuité de mon métier, comme si je m'échinais pour rien, une espèce de quête vide de sens. Et subir ça à chaque heure de cours, c'est éprouvant.
Du coup, je sens que j'angoisse profondément devant l'inanité de mon métier, à tel point que je ne souhaite que d'en partir. Seulement, lorsque j'en parle à mes collègues, j'ai l'impression de ne pas être compris.
L'une des raisons pour lesquelles je me suis fait tester récemment est justement ce rejet quasi épidermique de ma profession : en effet, quand je vois le nombre de collègues qui partagent la même analyse des soucis actuels dans l'EN, mais qui pourtant persistent dans leur métier en faisant du mieux qu'ils peuvent, je me demandais si je n'étais pas en train de faire un gros caprice digne d'un collégien. Heureusement, suite au test, je me permets de penser que le résultat de ma douance peut, en partie, expliquer ce besoin de prendre le large pour ne plus souffrir de cette angoisse envahissante. Mais ça ne doit pas non plus être un joker ultime face à ce problème. Et surtout, je me demande si ce sentiment ne me poursuivra pas quel que soit le métier que je fais.
Je soulève donc ici plusieurs questions, même si en parcourant le forum plusieurs ont trouvé en partie des réponses :
- Ami enseignant, ressens-tu aussi ce malaise ? Si oui, quels sont tes moyens pour y faire face ?
- Ami forumeur, es-tu déjà tombé dans une situation similaire, à savoir d'être dans un travail pour lequel tu pensais être fait, et que tu as été contraint de quitter ? Si oui, la nouvelle situation a-t-elle reproduit le schéma, ou as-tu trouvé une voie stable ?
Merci à vous pour la lecture.