J'aimerais partager avec vous quelques observations autour du phénomène de la douance intellectuelle au regard de sa mesure et de se particularités. Du concept théorique lui-même, au regard de la méthode, des moyens et des variables qui ensemble induisent l'idée générale qui s'en dégage. Depuis le temps que je m'intéresse aux caractéristiques psychologiques et à leur mesure, j'ai toujours conservé une vision critique qui me rappelait qu'une perception juste devrait toujours inclure une part de doute.
Sans prétendre faire le tour du sujet, d'emblée j'aimerais aborder quelques thèmes ─ en tentant de les structurer ─ qui me paraissent déterminants par leur implication dans l'estimation de la douance intellectuelle : Quotient intellectuel, efficience, efficacité, performance, puissance, processus perceptifs, pensée divergente ou convergente, facteurs de temps et d'âge. En parallèle, j'aborderai la question de la mesure en lien avec les objets de du présent topic.
D'abord, il me semble que la notion de QI n'est plus représentative aujourd'hui. A l'origine l'intelligence mesurée était établie sur un rapport entre l'âge mental et l'âge chronologique. Le résultat brut obtenu à un test d'intelligence pouvait être comparé aux résultats moyens de différents âges et ainsi on pouvait en tirer un rapport de quotient. C'était surtout utile pour classer les enfants dans des niveaux de scolarité correspondant à leur potentiel intellectuel.
Depuis l'avènement des tests standardisés (où les scores brut sont transformés selon une distribution normale portant sur un échantillon spécifique), on mesure essentiellement l'Efficience Intellectuelle par groupes d'âge spécifiques. HQI et THQI, seraient ainsi mieux traduits par HEI et THEI. De plus, l'efficience se distingue du potentiel par le fait qu'elle le valide par ses effets via des tâches spécifiques. En principe, l'usage du terme «potentiel intellectuel» devrait être réservé à des cas où il est présumé, mais sans avoir été validé de façon formelle. Le Quotient Intellectuel (QI) pourrait être judicieusement remplacé par Gradient intellectuel (GI) ou plus précisément par Gradient d'Efficience Intellectuelle (GEI).
L'efficience intellectuelle serait, à un premier niveau d'observation, la combinaison de deux facteurs spécifiques : performance (vitesse) et puissance (précision). Un individu intellectuellement surdoué arriverait mieux que la plupart des gens de son âge, à raisonner avec rapidité et précision.
La puissance est l'élément principal de l'efficience intellectuelle puisque c'est au total des réponses correctes que le gradient d'efficacité intellectuelle pourra être connu. Plus tu arrives à piger des problèmes qui augmentent en complexité, plus tu es efficient dans la résolution des problèmes complexes. Il n'y a aucun mystère ici.
La performance renvoie à un concept quantitatif, relatif à la vitesse de traitement de l'information ou pour être plus précis, à la conductivité neuronale. Ainsi, cela justifierait que les tests qui mesurent l'efficience intellectuelle sont limités dans le temps; chronométrés.
Ici se pose une question : Dans quelle mesure l'efficience intellectuelle peut-elle être justifiée par l'inclusion de la performance ?
Chez un sprinter, le temps pour parcourir la distance fixée fait foi du résultat. Chaque coureur a développé sa propre technique afin d'optimiser sa vitesse. En conséquence, la qualité de la course importe moins que la quantité de mètres par seconde. La qualité d'un bon sprinter est qu'il coure vite, en respectant les règles. Dans certains domaines d'activité, la rapidité peut être justifiée, mais certainement pas dans tous les domaines où elle pourrait être relative et même négligeable.
Je trouve peu d'arguments convaincants dans la littérature scientifique pour soutenir la pertinence de la rapidité d'exécution dans le concept d'efficience intellectuelle. S'il y en a, ils sont surtout théoriques, mais dans la pratique il me semble que l'idée de calibrer l'intelligence dans une course à la performance est plutôt inappropriée. La qualité du raisonnement intellectuel dépasse largement l'utilité réelle d'arriver rapidement à la solution. Du moment qu'un individu un peu plus lent arriverait au même nombre de réponses exactes qu'un individu très rapide, l'estimation de son niveau d'intelligence ne devrait pas être différente.
La discrimination relative au temps de réponse dans la mesure de l'intelligence ne me paraît donc pas pleinement justifiée. Est-ce à dire que le chronométrage devrait être aboli ? Je pense que non, pour la raison évidente qu'on ne peut pas y passer la nuit. J'ai déjà observé des gens bûcher inutilement sur des problèmes, non pas à chercher la solution, mais encore à essayer de comprendre la question. Comme les tests de puissance intellectuelle présentent les items dans un ordre croissant de complexité, on peut présumer que l'individu va finir par atteindre son plafond personnel. Cependant, comme on ne peut présumer d'avance de sa limite, il devrait lui être permis de répondre à toutes les questions. Le facteur chance est équitable pour tous (sinon j'attends vos critiques pour me convaincre du contraire), alors l'administrateur du test peut inviter l'individu qui commence à hésiter à répondre, à fournir la meilleure réponses qui lui vient en tête (une manière courtoise de lui faire comprendre que l'acharnement ne peut compenser le manque de perspicacité).
Vous pouvez faire un essai vous-même avec le test en ligne de Mensa, en doublant le temps suggéré pour compléter le test. Je me suis amusé à le faire par curiosité. Première passation, limite de temps doublée (1 h): 34/40, deuxième passation, limite de temps règlementaire 30 min. (+ effet d'apprentissage) : 25/40. Définitivement le temps règlementaire a joué contre moi puisque j'étais effectivement capable de fournir 34 réponses exactes sur 40 possibles, dans un temps raisonnable. Comment expliquer la différence ? Il convient de chercher du côté de la personnalité.
Outre les dysfonctions non connues avant le test, la condition physique et mentale du moment ou encore le stress négatif, peuvent influencer la capacité de l'individu de parvenir à une concentration suffisante pour offrir son rendement optimal, mais un autre facteur d'importance peut aussi biaiser le résultat. J'insère ici le concept de pensée divergente versus pensée convergente. Ici on ne parle plus d'efficience, mais de stratégies d'efficacité du processus perceptuel. Sous quel angle l'individu aborde-t-il naturellement les solutions à un problème ?
Pensée divergente : Foisonnement d'idées possibles en vertu de la question. Cherche au-delà des évidences. Plus intuitif que concret. Procède en pensée du général vers le spécifique, il doit donc éliminer un certain nombre de possibilités pour parvenir à la meilleure. La précision dans le traitement est plus coûteuse en performance. L'individu peut fournir une réponse logique et précise, mais différente de la réponse attendue. Dans une correction dichotomique, une excellente réponse peut être cotée comme mauvaise réponse.
Pensée convergente : Recherche d'emblée la solution la plus évidente. Plus concret qu'intuitif. Procède en pensée du spécifique vers le général. Retient souvent la première réponse qui colle bien avec la question. L'acuité de la pensée est plus efficace en terme de performance. Sa solution au problème a plus de chance de coller à la réponse attendue. Peu pénalisé par la correction dichotomique, car il écarte d'emblée qu'il puisse y avoir plusieurs bonnes réponses.
Dans la vie courante, pensées divergente et convergente peuvent être toutes deux efficaces selon les domaines d'application et les buts recherchés. Dans la mesure de l'intelligence cependant, la pensée convergente semble favorisée, car les items des tests sont construits essentiellement sur cette base. Il faut trouver la réponse la plus évidente qui colle bien au problème présenté. Cette manière de faire est en fait un reliquat qui remonte à l'origine des tests d'intelligence, dont le but avoué était de détecter les limites à l'apprentissage en milieu scolaire. C'est certainement inadapté maintenant pour mesurer adéquatement la surdouance.
Celui qui procède à partir d'une pensée divergente peut être plus ou moins désavantagé. Il pourrait par exemple échouer des items simples et réussir des items à haut degré de difficulté. Il serait peut-être plus avantageux pour lui de commencer le test par la dernière question plutôt qu'au début. La limite de temps peut ne pas trop le désavantager s'il possède une conduction neuronale supérieure, autrement il devra probablement laisser quelques questions sans réponse, faute de temps. Le résultat final pourrait sous-évaluer son efficience réelle. Celle-ci aurait pu mieux se manifester si on lui avait donné plus de temps et qu'on lui accordait la possibilité d'expliquer comment il est parvenu à certaines réponses cotées fausses dans la correction. D'ailleurs, il est toujours possible chez les surdoués, que l'individu qui passe le test ait une puissance de raisonnement mental supérieure à ceux qui ont construit les items.
Bien alors... si vous me permettez d'abuser un peu plus de votre patience, j'aimerais aborder brièvement les effets de l'âge sur la performance et sur la puissance, qui de toute évidence n'empruntent pas forcément des chemins parallèles.
L'efficience intellectuelle est-elle stable dans le temps chez les individus, de la naissance à 80 ans ? Non, elle ne l'est pas, même si elle peut avoir tendance à se stabiliser, la croissance et la décroissance peuvent toujours s'observer.
La performance intellectuelle est croissante jusqu'à 20 à 25 ans, ensuite elle tend à demeurer stable jusqu'à environ 30 ans et ensuite elle commence à décliner lentement jusqu'à la vieillesse. L'explication est neuro-biologique, la tendance suit la courbe du développement et du vieillissement. Ce qui fut jadis vif et frais, atteint son apogée pour ensuite se flétrir en douceur. Ainsi va la vie.
Qu'en est-il par contre de la puissance intellectuelle. Cette capacité de pénétrer profondément dans la complexité pour en saisir les liens logiques et subtils. Ils semble bien établi qu'elle est manifestement en croissance jusqu'à l'âge de 20 ans et qu'elle a tendance à se stabiliser par la suite. Cependant ceci est avéré dans la perspective où on ne prend pas en compte qu'elle puisse éventuellement se métamorphoser.
A partir des champs d'interaction incalculables provenant des ramifications synaptiques qui ne cessent de s'étendre chez l'individu intellectuellement actif ─ on peut supposer que c'est une réalité plutôt constante chez la plupart des surdoués ─ les manifestations de l'intelligence, en terme de puissance intellectuelle, peuvent prendre des formes inédites. L'intelligence peut se manifester dans la transversalité tout comme dans la transcendance. Il est plausible également de croire qu'elle puisse se singulariser dans l'immanence, chacun devenant toujours plus intelligent d'une manière qui lui est propre, dans un rapport toujours plus raffiné avec son milieu.
On comprend alors que l'intelligence peut éventuellement échapper à la mesure et aux définitions générales. On peut aussi comprendre qu'il n'y a pas lieu de s'enfermer dans un cadre spécifique qui permet de se comparer les uns aux autres et de croire qu'on est là devant une finalité. L'avenir le confirmera peut-être, mais pourquoi attendre que les théoriciens s'en occupent, après tout chacun le sait en son for intérieur, même lorsque les autres ne peuvent plus comprendre.
Voilà, je continuerais bien, mais en toute franchise, je crois que je vais m'arrêter là... pour le moment.
