Coucou ! On n'est pas nombreux à être pris dans la philo, en effet

- au-delà d'un intérêt épisodique, je veux dire.
J'ai été mordu de philo. Le décours en est complexe. Nos trajets certainement différents (art et esthétique ne sont pas du tout mes sujets

).
Irritation initiale vers 17 ans de ne pas comprendre certains textes - comme de me retrouver face à un code dont je serais exclu. Réflexions ultérieures, vers 19 ans, autour de points d'éthiques et de morale. L'alimentation de tout ça par un accès direct à certains éléments de pensée orientale. L'étoilement épistémologique de mes études principales (sciences puis sciences de l'ingénieur). Les réflexions passionnées autour de la nature des choses, la forme de la pensée et ce que penser voulait dire - attraction pour le niveau "meta". La relative déception de ne pas trouver autour de moi des gens avec qui parler. La nécessité ressentie, alors, vers 22 ans, de suivre un cursus pour combler mes lacunes. Ce cursus lui-même, qui m'a mené jusqu'au DEA (le Master 2 de l'époque) à un train de sénateur, vers 30 ans. L'enrichissement graduel d'une hyperspeculation, "continentale" et post-heideggerienne, de façons ou thèmes analytiques anglo-américains, tout d'abord découvert pendant mon cursus de sciences cognitives. La modification progressive de mon rapport à "la" philosophie, de discipline maîtresse à constellation d'outils, facteurs d'identités tout autant que de limitations - il y eut une période pénible de fascination-rejet, vers 35 ans.
Il m'a fallu ce temps pour comprendre ce que j'y aimais : la compréhension de la façon dont chaque système ou type d'approche conceptuelle se construit sa propre cohérence - les procédures de stabilisation des énoncés au travers d'engagements individuels et collectifs médiatisés par cet outil très étrange et mobile qu'est le concept et la rationnalité qui l'accompagne - qu'elle soit issue du dialogue, comme c'est le plus souvent le cas, ou non : il y a une consistance logique du concept qui peut n'être pas dialogique. On pourrait parler de "gestes" conceptuels.
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La recherche de "la" vérité ne fait pas partie de mon intérêt pour la philosophie. J'y cherche plus la cohérence, la stabilité des procédés, la non-contradiction pragmatique qu'une vérité qui serait accord ultime du discours et du réel (ou du mot et de la chose). Ce qui n'empêche pas qu'à emprunter certains chemins, on soit contraint de façon plus ou moins rigide et qu'on ne puisse pas y dire n'importe quoi.
Mes auteurs fétiches, voyons. Il y eut Kant. Puis très vite l'organon singulier de Laruelle. Levinas, Derrida, Deleuze ont compté. Heidegger, qui outrepassa Husserl, Husserl, à revisiter pour deshystériser Heidegger. Spinoza, et l'absolu. Descartes, parce que c'est le roi du lapsus conceptuel (mais je le lis avec des nunettes transcendantales, cey maaaal). J'ai une affinité en général avec les auteurs à la fois combinatoires, panoramiques et synthétiques - cela reflète un peu de mon univers interne, je pense.
Bon, je suis un brin déprimé en ce moment, donc terne et sans doute froid. Ça reflète mal mon investissement intime dans ces matières. Faut dire que j'ai désormais beaucoup de pudeur à me lancer dans une discussion de philo. D'abord parce que je sais peu de choses de façon approfondie, sinon ce qu'il faut à un ensemble de concepts pour tenir debout (faire sens) - et aussi parce que je me rends compte que ceux et celles qui ont réellement envie et patience d'une discussion conceptuellement fouillée sont peu nombreux - une opinion un peu articulée suffit à plein de monde, et peu sont les fous éprouvant le besoin d'aller chercher les conditions limites : c'est un investissement important.
Voilou, voilou !
De main gauche à main droite, le flux des savoirs - en mes nuits, le règne du sans-sommeil - en mon coeur, ah, if only!, le sans-pourquoi des roses.