Ne soyons pas sectaires, on nous le reproche assez^^ les autres membres et en particulier ceux qui sont parents sont invités réagir, quant à leur vécu ou celui de leur(s) enfant(s) vis-à-vis de certaines pratiques pédagogiques. Il ne s'agit pas de faire doublon avec ce fil relatif à l'expérience ou l'épreuve pour certains de la scolarité, mais plutôt d'envisager le débat sous l'angle professoral.
[tabs:La genèse]
D'une scolarité excellente jusqu'au bac je n'ai cependant retiré quasiment aucun plaisir à l'école. Quand je n'étais pas perdu dans mes pensées je me demandais ce que je faisais là, me contentant de passer dans la classe supérieure... jusqu'en maîtrise. Finalement, mon parcours post-bac étant plutôt cahoteux, je me suis retrouvé sans trop le réaliser à préparer les concours (CAPES et agrégation) par défaut plus que par vocation. C'est en tous cas ce que je me disais, bien que mes deux parents fussent enseignants, et que j'aie juré de ne jamais faire la même chose qu'eux. Et puis le mécanisme tranquille du passage en classe supérieure étant en bout de course, j'étais au pied du mur.
C'est ainsi que j'ai commencé à travailler en 2007, parce que je ne savais "rien faire d'autre" : des passions, fussent-elles dévorantes, pour les langues, le dessin ou les jeux vidéo ça ne nourrit pas son homme (et sa femme non plus).
Avec le recul, je pense tout de même que j'avais certaines prédispositions, et c'est à mon avis une condition absolument nécessaire pour exercer ce métier, et surtout l'exercer avec plaisir. Dès le collège j'aimais expliquer des choses à ceux qui ne comprenaient pas, étudiant j'ai donné quelques cours particuliers, et j'aimais d'autant plus le faire avec des élèves en difficulté que cela représentait un défi de prendre des détours de pensées, me mettre à leur place pour comprendre et attaquer la difficulté sous le meilleur angle. Mais je développerai ceci plus loin.
[tabs:L'IUFM]
Du passage à l'IUFM, censé nous former et nous préparer à nous-mêmes former les citoyens de demain (c'est beau), je n'ai pas retenu grand-chose. Cependant j'ai eu la chance de rencontrer deux bons formateurs et ma tutrice de stage, qui ont su aller au-delà de leurs prérogatives et nous présenter la pratique professionnelle sous un angle très pragmatique, sans langue de bois et hors du fatras terminologique que l'on ne manque pas de subir au détour des textes officiels ou dans la littérature. De formateurs eux-mêmes encore en exercice en milieu difficile j'ai retiré bien plus que des séances théoriques en amphi ou des stages obscurs de "mise en situation".
[tabs:Dans l'arène]
L'hétérogénéité. A tous les coins de textes officiels, de discussions entre profs ou de conseils de classe, c'est à mon sens le défi principal à relever. Se retrouver face à des groupes allant de 22 à 33 élèves, avec tout autant de niveaux, de sensibilités, de passés scolaires à gérer est un mur que l'on se prend de pleine face chaque année, que l'on soit expérimenté ou non.
Très vite j'ai abandonné l'idée de trouver une vitesse de croisière supportable par tous afin de, grosso modo, boucler le programme dans les temps et en mener la majorité vers la classe supérieure. Face à un public très hétérogène (c'est-à-dire en dehors de l'ouest parisien...), il m'est très vite apparu que cette solution en apparence de facilité n'en était pas une dans les faits, tout d'abord au niveau pratique mais surtout au niveau éthique (cf. l'onglet suivant).
Dans une classe, se trouvent 2 types d'élèves : ceux que j'appellerai les "légalistes" et les autres. Les légalistes forment le centre d'une sorte de courbe de Gauss -plus ou moins large selon les endroits- mêlant origines sociales, personnalité, acquis sociaux et comportementaux, et résultats scolaires. Les légalistes sont à peu près rangés quand on descend les chercher dans la cour, font globalement ce qu'on leur dit et plus généralement encore s'acquittent honnêtement de leur "métier d'élève" quand le prof fait honnêtement le sien. C'est la majorité silencieuse qui fait ce qu'on lui dit, au sein de laquelle les profs ont souvent peu de chose à dire sur chacun.
Les autres. Les autres... Perturbateurs nés, cas sociaux, mais aussi brillants qui s'ennuient (hqi ou non), syndicalistes en devenir... tous ceux qui ne rentrent pas vraiment dans le moule et réclament une attention particulière constituent cette minorité -toute relative- qui fait de la pratique enseignante un vrai sport.
Voilà donc le schéma classique d'une classe, avec lequel qu'on le veuille ou non, il faut composer 10 mois durant.
[tabs:La pédagogie en soi]
La banlieue parisienne eut tôt fait de me faire redescendre sur terre et adopter, en plus des réflexes de survie, une pratique adaptée à un public "moderne" au sens bien compris du terme. Sur le plan éthique, et pas que pour me donner bonne conscience, je ne conçois pas de laisser d'élève sur la touche sans tout essayer. Hors cas pathologiques, je pars du principe que tous sont en capacité de comprendre ce que je dis moyennant des approches différentes. Évidemment c'est bien là que se situe tout le nœud du problème, face à des gamins parfois déjà très critiques vis-à-vis du système scolaire, souvent formatés en cela par l'exemple parental ou l'abus de télévision.
Cet épisode parisien m'aura vite fait rendre à l'évidence que la coercition seule ne me permettrait pas d'acheter la paix sociale et que je n'aurai rien à perdre à tenter de joindre l'utile à l'agréable en essayant de faire travailler ce groupe des "autres".
Être plus présent physiquement auprès des élèves en difficulté, employer des détours de pensée et de langage, me mettre à leur place pour mieux comprendre leur difficulté et leur permettre de la surmonter, je ne sais pas si et en quoi ma condition de surdoué y contribue mais c'est réellement un des aspects qui me plaît dans le métier. Ne rien lâcher auprès d'eux, se fixer des objectifs moindres, adapter la notation ou le mode d'évaluation quitte à être hors programme ou hors textes officiels, quitte à jouer largement de la corde affective, je n'exclus aucune éventualité avec ceux-là partant du principe que même s'ils sont là contre leur gré ou de par les défauts du système il faut que l'on passe une année (ou plus^^) ensemble. Mon idée est par exemple de les mettre en avant en soulignant davantage leurs forces ou leurs petites réussites que leurs faiblesses, les faire participer à l'oral ou les responsabiliser vis-à-vis du groupe : les nommer par exemple "responsable du bruit" lors d'activité de groupe, ou les solliciter pour distribuer ou ramasser des feuilles, vu que cette population se retrouve généralement vite sous ma main au 1er rang^^ Tout ceci étant bien entendu conditionné par leur degré d'adhésion à ce contrat, ce qui est parfois loin d'être gagné. Certains sont demandeurs, d'autres complètement réfractaires.
On peut légitimement remettre en question cette pratique, la qualifier de démagogique ou extrascolaire, hors de mes attributions. Ce n'est pas faux et je ne me cache pas d'acheter la paix sociale avec ceux avec qui ça fonctionne, mais j'y vois un bon moyen de joindre l'utile à l'agréable, tant pour eux que pour moi et le reste de la classe.
Je ne pense pas être en reste avec l'autre extrémité de la courbe. Je me revois dans ces élèves brillants qui s'ennuient, silencieusement ou non, et là aussi sans doute par sensibilité, par nécessité je n'entends pas les laisser pour compte. Je garde en mémoire cette phrase entendue en stage de 1ère année : "les bons élèves, quelle que soit votre pédagogie, s'en sortiront". C'est frappé au coin du bon sens mais me laisse un goût d'inachevé. Différencier ma pratique pour ceux-là me paraît tout aussi essentiel que pour ceux qui se trouvent dans la situation opposée. Je m'efforce dans la mesure du possible de leur proposer des exercices plus difficiles, nécessitant recherche et autonomie, de les valoriser par la participation orale voire m'en "servir" pour faire avancer le cours. Ceux-là, surdoués ou non, ont un cerveau qui ne demande qu'à carburer et ont le droit à autant d'attention que les autres.
Par exemple, et c'est là une conception toute personnelle de la chose, aborder une notion nouvelle en maths c'est se confronter à un problème nouveau et inconnu, avec les seuls outils dont on dispose jusqu'alors et un brin de jugeotte. Et aborder cette chose bien souvent abstraite c'est pour moi lui donner du sens en allant chercher des exemples concrets, et en faisant se creuser la tête aux élèves.
"Arrivés en 5e on sait faire plein d'opérations, mais quel sens donner à la soustraction 3-12?"
"On vous a fait acheter un rapporteur, mais avez-vous une idée seulement de ce qu'est un angle?"
"A votre avis comment faisaient les Grecs pour mesurer la longueur d'un cercle?"
"Où vous placeriez-vous face à un gardien de but pour avoir le plus de chances de marquer?" et j'en passe, notamment sur la notion de probabilité qui permet mine de rien de tester et exercer l'esprit critique des élèves.
De ces exemples pris au hasard j'en retire ce que je leur dis souvent : ce sont eux, par leurs remarques et leur implication (autrement dit leur "adhésion au contrat"), qui rendent le cours intéressant, pas moi. Je serais payé pareil à faire des cours magistraux en allumant le premier qui l'ouvre. Je dis souvent pour déconner en salle des profs que je ne suis qu'animateur, mais au final c'est peu éloigné de la réalité.
Pour terminer sur des généralités, je dirais que j'essaie globalement de mettre chacun en valeur à son niveau et surtout sur le plan de l'oral, et que je ne suis pas payé plus à mettre des remarques assassines sur les copies, qu'à me fendre d'un petit commentaire plus personnalisé. Je trouve par exemple que concilier travail (noté) et plaisir en leur faisant décorer la classe de dessins géométriques en couleur est une activité aussi ludique que mathématique, et que cela dédramatise l'évaluation pour certains.
De la même manière je n'ai pas la prétention d'en faire tous des cadors, et je ne crois pas d'ailleurs que cela soit possible, mais faire développer l'esprit critique des élèves et leur faire intégrer et respecter dans une certaine mesure un ensemble de règles sociales me parait un objectif à viser au même titre que l'enseignement en soi. D'aucuns diront que cela dépasse le champ de nos attributions... ça n'est pas faux non plus. Mais faute de mieux pour le moment il nous faut bien faire avec, et l'intégrer dans notre pratique.
[tabs:Les défauts de la cuirasse]
Évidemment, tout irait ainsi pour le mieux dans le meilleur des mondes des bonnes intentions. En l'état actuel des choses je sais que j'ai du mal à gérer individuellement ce fameux groupe des "légalistes", de par leur nombre et le temps que me prennent les autres. Autres qui par ailleurs sont loin de tous adhérer à ce beau projet, si bien que c'est finalement à moi de faire mes preuves pour convaincre le public. Inversion des valeurs, ça y ressemble, mais je crois que l'on n'a guère le choix de faire autrement. Je dirais que je m'y plie par la force des choses, et faute de mieux.
Ainsi, la gestion des élèves "difficiles" est loin de se passer aussi idéalement que ma vision le décrit. J'ai de nombreuses fois renoncé, agi par la force ou sans justification, par lassitude ou parce que parfois la force s'impose, comme cela peut être le cas dans un cadre bien compris de relation enfant/adulte, que ces enfants eux-mêmes n'ont jamais connu et/ou ne tolèrent pas. D'autre part en pratique, aborder la difficulté d'un élève de 3e qui se traîne 4 ou 5 ans d'échec est une autre paire de manches qu'en 6e, et deux ou trois élèves instables (au bas mot) ont tôt fait de mettre à l'envers un système dans lequel on privilégie l'autonomie et la relation individuelle à l'élève. Je n'ai franchement pas trouvé de solution à cela.
De même, je gère dans les faits bien différemment les élèves brillants ou juste très motivés à qui je donne des activités supplémentaires : s'ils veulent me rendre compte de ce qu'ils ont fait en plus, c'est à eux de venir me voir avec leurs questions et corrections à faire. Je n'ai pas le temps de revenir vers eux systématiquement, et je compte sur leur "maturité" scolaire pour faire la démarche de venir en chercher davantage s'ils le souhaitent. Du coup j'oublie souvent d'aller contrôler en fin d'heure ce qu'ils ont fait le reste du temps dans leur coin.
L'inspecteur m'a reproché l'an passé de ne pas assez faire utiliser l'outil informatique par les élèves. C'est la grande mode, surtout en maths, cependant il me laisse dubitatif. Sans doute tout n'y est-il pas à jeter, mais je n'en ressens pas le besoin impérieux, tant pour sa pertinence toute relative que pour la difficulté que l'on peut éprouver à mettre ça en place avec 30 élèves simultanément.
Enfin, rien ne m'horripile plus que d'avoir à faire le flic auprès des parents. Il se trouve des collègues qui adorent cet aspect : généralement ceux qui sont professeurs principaux, j'en suis pourtant mais c'est bien contraint et forcé car c'est loin d'être ma passion. Je reconnais que je suis nul en la matière et que je n'arrive pas à me positionner dans cet aspect social du métier (qui nous incombe oui mais dans quelle mesure...?). On nous vend que les profs se doivent d'établir, que dis-je, d'être le lien cohérent entre l'école et la maison, ça relève certes du bon sens mais dans les faits ça me dépasse totalement. On touche là aux limites du métier, en tous cas tel que je l'entends, et je ne suis pas spécialement l'animal social enclin à ce genre de chose. La plupart des parents que je convoque et avec lesquels j'échange autre chose que d'ennuyeuses banalités, c'est pour leur suggérer que leur gosse est peut-être surdoué... vous avez dit biais personnel?
En conclusion je dirais que ma pratique est clairement appuyée par ma sensibilité personnelle. J'aime enseigner mais, faute à la douance ou pas, je ressens peut-être trop intensément l'envie d'individualiser mon enseignement, d'être proche d'une façon ou d'une autre des élèves, et j'en ressens tout aussi intensément les échecs. J'ai aussi du mal à en cerner les limites. Je bosse à l'instinct, j'essaie de me donner les moyens de mon ambition mais je sais que d'instinct également j'ai tendance à renoncer ou céder à la facilité du rapport de force. Ma vision des choses est certainement restreinte, je n'ai passé qu'un an en lycée, bientôt 5 au collège, et je ne me suis penché que peu sur la situation au primaire. N'hésitez donc pas à éclairer de votre point de vue pédagogique cette approche des choses...D'une scolarité excellente jusqu'au bac je n'ai cependant retiré quasiment aucun plaisir à l'école. Quand je n'étais pas perdu dans mes pensées je me demandais ce que je faisais là, me contentant de passer dans la classe supérieure... jusqu'en maîtrise. Finalement, mon parcours post-bac étant plutôt cahoteux, je me suis retrouvé sans trop le réaliser à préparer les concours (CAPES et agrégation) par défaut plus que par vocation. C'est en tous cas ce que je me disais, bien que mes deux parents fussent enseignants, et que j'aie juré de ne jamais faire la même chose qu'eux. Et puis le mécanisme tranquille du passage en classe supérieure étant en bout de course, j'étais au pied du mur.
C'est ainsi que j'ai commencé à travailler en 2007, parce que je ne savais "rien faire d'autre" : des passions, fussent-elles dévorantes, pour les langues, le dessin ou les jeux vidéo ça ne nourrit pas son homme (et sa femme non plus).
Avec le recul, je pense tout de même que j'avais certaines prédispositions, et c'est à mon avis une condition absolument nécessaire pour exercer ce métier, et surtout l'exercer avec plaisir. Dès le collège j'aimais expliquer des choses à ceux qui ne comprenaient pas, étudiant j'ai donné quelques cours particuliers, et j'aimais d'autant plus le faire avec des élèves en difficulté que cela représentait un défi de prendre des détours de pensées, me mettre à leur place pour comprendre et attaquer la difficulté sous le meilleur angle. Mais je développerai ceci plus loin.
[tabs:L'IUFM]
Du passage à l'IUFM, censé nous former et nous préparer à nous-mêmes former les citoyens de demain (c'est beau), je n'ai pas retenu grand-chose. Cependant j'ai eu la chance de rencontrer deux bons formateurs et ma tutrice de stage, qui ont su aller au-delà de leurs prérogatives et nous présenter la pratique professionnelle sous un angle très pragmatique, sans langue de bois et hors du fatras terminologique que l'on ne manque pas de subir au détour des textes officiels ou dans la littérature. De formateurs eux-mêmes encore en exercice en milieu difficile j'ai retiré bien plus que des séances théoriques en amphi ou des stages obscurs de "mise en situation".
[tabs:Dans l'arène]
L'hétérogénéité. A tous les coins de textes officiels, de discussions entre profs ou de conseils de classe, c'est à mon sens le défi principal à relever. Se retrouver face à des groupes allant de 22 à 33 élèves, avec tout autant de niveaux, de sensibilités, de passés scolaires à gérer est un mur que l'on se prend de pleine face chaque année, que l'on soit expérimenté ou non.
Très vite j'ai abandonné l'idée de trouver une vitesse de croisière supportable par tous afin de, grosso modo, boucler le programme dans les temps et en mener la majorité vers la classe supérieure. Face à un public très hétérogène (c'est-à-dire en dehors de l'ouest parisien...), il m'est très vite apparu que cette solution en apparence de facilité n'en était pas une dans les faits, tout d'abord au niveau pratique mais surtout au niveau éthique (cf. l'onglet suivant).
Dans une classe, se trouvent 2 types d'élèves : ceux que j'appellerai les "légalistes" et les autres. Les légalistes forment le centre d'une sorte de courbe de Gauss -plus ou moins large selon les endroits- mêlant origines sociales, personnalité, acquis sociaux et comportementaux, et résultats scolaires. Les légalistes sont à peu près rangés quand on descend les chercher dans la cour, font globalement ce qu'on leur dit et plus généralement encore s'acquittent honnêtement de leur "métier d'élève" quand le prof fait honnêtement le sien. C'est la majorité silencieuse qui fait ce qu'on lui dit, au sein de laquelle les profs ont souvent peu de chose à dire sur chacun.
Les autres. Les autres... Perturbateurs nés, cas sociaux, mais aussi brillants qui s'ennuient (hqi ou non), syndicalistes en devenir... tous ceux qui ne rentrent pas vraiment dans le moule et réclament une attention particulière constituent cette minorité -toute relative- qui fait de la pratique enseignante un vrai sport.
Voilà donc le schéma classique d'une classe, avec lequel qu'on le veuille ou non, il faut composer 10 mois durant.
[tabs:La pédagogie en soi]
La banlieue parisienne eut tôt fait de me faire redescendre sur terre et adopter, en plus des réflexes de survie, une pratique adaptée à un public "moderne" au sens bien compris du terme. Sur le plan éthique, et pas que pour me donner bonne conscience, je ne conçois pas de laisser d'élève sur la touche sans tout essayer. Hors cas pathologiques, je pars du principe que tous sont en capacité de comprendre ce que je dis moyennant des approches différentes. Évidemment c'est bien là que se situe tout le nœud du problème, face à des gamins parfois déjà très critiques vis-à-vis du système scolaire, souvent formatés en cela par l'exemple parental ou l'abus de télévision.
Cet épisode parisien m'aura vite fait rendre à l'évidence que la coercition seule ne me permettrait pas d'acheter la paix sociale et que je n'aurai rien à perdre à tenter de joindre l'utile à l'agréable en essayant de faire travailler ce groupe des "autres".
Être plus présent physiquement auprès des élèves en difficulté, employer des détours de pensée et de langage, me mettre à leur place pour mieux comprendre leur difficulté et leur permettre de la surmonter, je ne sais pas si et en quoi ma condition de surdoué y contribue mais c'est réellement un des aspects qui me plaît dans le métier. Ne rien lâcher auprès d'eux, se fixer des objectifs moindres, adapter la notation ou le mode d'évaluation quitte à être hors programme ou hors textes officiels, quitte à jouer largement de la corde affective, je n'exclus aucune éventualité avec ceux-là partant du principe que même s'ils sont là contre leur gré ou de par les défauts du système il faut que l'on passe une année (ou plus^^) ensemble. Mon idée est par exemple de les mettre en avant en soulignant davantage leurs forces ou leurs petites réussites que leurs faiblesses, les faire participer à l'oral ou les responsabiliser vis-à-vis du groupe : les nommer par exemple "responsable du bruit" lors d'activité de groupe, ou les solliciter pour distribuer ou ramasser des feuilles, vu que cette population se retrouve généralement vite sous ma main au 1er rang^^ Tout ceci étant bien entendu conditionné par leur degré d'adhésion à ce contrat, ce qui est parfois loin d'être gagné. Certains sont demandeurs, d'autres complètement réfractaires.
On peut légitimement remettre en question cette pratique, la qualifier de démagogique ou extrascolaire, hors de mes attributions. Ce n'est pas faux et je ne me cache pas d'acheter la paix sociale avec ceux avec qui ça fonctionne, mais j'y vois un bon moyen de joindre l'utile à l'agréable, tant pour eux que pour moi et le reste de la classe.
Je ne pense pas être en reste avec l'autre extrémité de la courbe. Je me revois dans ces élèves brillants qui s'ennuient, silencieusement ou non, et là aussi sans doute par sensibilité, par nécessité je n'entends pas les laisser pour compte. Je garde en mémoire cette phrase entendue en stage de 1ère année : "les bons élèves, quelle que soit votre pédagogie, s'en sortiront". C'est frappé au coin du bon sens mais me laisse un goût d'inachevé. Différencier ma pratique pour ceux-là me paraît tout aussi essentiel que pour ceux qui se trouvent dans la situation opposée. Je m'efforce dans la mesure du possible de leur proposer des exercices plus difficiles, nécessitant recherche et autonomie, de les valoriser par la participation orale voire m'en "servir" pour faire avancer le cours. Ceux-là, surdoués ou non, ont un cerveau qui ne demande qu'à carburer et ont le droit à autant d'attention que les autres.
Par exemple, et c'est là une conception toute personnelle de la chose, aborder une notion nouvelle en maths c'est se confronter à un problème nouveau et inconnu, avec les seuls outils dont on dispose jusqu'alors et un brin de jugeotte. Et aborder cette chose bien souvent abstraite c'est pour moi lui donner du sens en allant chercher des exemples concrets, et en faisant se creuser la tête aux élèves.
"Arrivés en 5e on sait faire plein d'opérations, mais quel sens donner à la soustraction 3-12?"
"On vous a fait acheter un rapporteur, mais avez-vous une idée seulement de ce qu'est un angle?"
"A votre avis comment faisaient les Grecs pour mesurer la longueur d'un cercle?"
"Où vous placeriez-vous face à un gardien de but pour avoir le plus de chances de marquer?" et j'en passe, notamment sur la notion de probabilité qui permet mine de rien de tester et exercer l'esprit critique des élèves.
De ces exemples pris au hasard j'en retire ce que je leur dis souvent : ce sont eux, par leurs remarques et leur implication (autrement dit leur "adhésion au contrat"), qui rendent le cours intéressant, pas moi. Je serais payé pareil à faire des cours magistraux en allumant le premier qui l'ouvre. Je dis souvent pour déconner en salle des profs que je ne suis qu'animateur, mais au final c'est peu éloigné de la réalité.
Pour terminer sur des généralités, je dirais que j'essaie globalement de mettre chacun en valeur à son niveau et surtout sur le plan de l'oral, et que je ne suis pas payé plus à mettre des remarques assassines sur les copies, qu'à me fendre d'un petit commentaire plus personnalisé. Je trouve par exemple que concilier travail (noté) et plaisir en leur faisant décorer la classe de dessins géométriques en couleur est une activité aussi ludique que mathématique, et que cela dédramatise l'évaluation pour certains.
De la même manière je n'ai pas la prétention d'en faire tous des cadors, et je ne crois pas d'ailleurs que cela soit possible, mais faire développer l'esprit critique des élèves et leur faire intégrer et respecter dans une certaine mesure un ensemble de règles sociales me parait un objectif à viser au même titre que l'enseignement en soi. D'aucuns diront que cela dépasse le champ de nos attributions... ça n'est pas faux non plus. Mais faute de mieux pour le moment il nous faut bien faire avec, et l'intégrer dans notre pratique.
[tabs:Les défauts de la cuirasse]
Évidemment, tout irait ainsi pour le mieux dans le meilleur des mondes des bonnes intentions. En l'état actuel des choses je sais que j'ai du mal à gérer individuellement ce fameux groupe des "légalistes", de par leur nombre et le temps que me prennent les autres. Autres qui par ailleurs sont loin de tous adhérer à ce beau projet, si bien que c'est finalement à moi de faire mes preuves pour convaincre le public. Inversion des valeurs, ça y ressemble, mais je crois que l'on n'a guère le choix de faire autrement. Je dirais que je m'y plie par la force des choses, et faute de mieux.
Ainsi, la gestion des élèves "difficiles" est loin de se passer aussi idéalement que ma vision le décrit. J'ai de nombreuses fois renoncé, agi par la force ou sans justification, par lassitude ou parce que parfois la force s'impose, comme cela peut être le cas dans un cadre bien compris de relation enfant/adulte, que ces enfants eux-mêmes n'ont jamais connu et/ou ne tolèrent pas. D'autre part en pratique, aborder la difficulté d'un élève de 3e qui se traîne 4 ou 5 ans d'échec est une autre paire de manches qu'en 6e, et deux ou trois élèves instables (au bas mot) ont tôt fait de mettre à l'envers un système dans lequel on privilégie l'autonomie et la relation individuelle à l'élève. Je n'ai franchement pas trouvé de solution à cela.
De même, je gère dans les faits bien différemment les élèves brillants ou juste très motivés à qui je donne des activités supplémentaires : s'ils veulent me rendre compte de ce qu'ils ont fait en plus, c'est à eux de venir me voir avec leurs questions et corrections à faire. Je n'ai pas le temps de revenir vers eux systématiquement, et je compte sur leur "maturité" scolaire pour faire la démarche de venir en chercher davantage s'ils le souhaitent. Du coup j'oublie souvent d'aller contrôler en fin d'heure ce qu'ils ont fait le reste du temps dans leur coin.
L'inspecteur m'a reproché l'an passé de ne pas assez faire utiliser l'outil informatique par les élèves. C'est la grande mode, surtout en maths, cependant il me laisse dubitatif. Sans doute tout n'y est-il pas à jeter, mais je n'en ressens pas le besoin impérieux, tant pour sa pertinence toute relative que pour la difficulté que l'on peut éprouver à mettre ça en place avec 30 élèves simultanément.
Enfin, rien ne m'horripile plus que d'avoir à faire le flic auprès des parents. Il se trouve des collègues qui adorent cet aspect : généralement ceux qui sont professeurs principaux, j'en suis pourtant mais c'est bien contraint et forcé car c'est loin d'être ma passion. Je reconnais que je suis nul en la matière et que je n'arrive pas à me positionner dans cet aspect social du métier (qui nous incombe oui mais dans quelle mesure...?). On nous vend que les profs se doivent d'établir, que dis-je, d'être le lien cohérent entre l'école et la maison, ça relève certes du bon sens mais dans les faits ça me dépasse totalement. On touche là aux limites du métier, en tous cas tel que je l'entends, et je ne suis pas spécialement l'animal social enclin à ce genre de chose. La plupart des parents que je convoque et avec lesquels j'échange autre chose que d'ennuyeuses banalités, c'est pour leur suggérer que leur gosse est peut-être surdoué... vous avez dit biais personnel?

En périphérie de ceci vous pouvez aller faire un tour sur ces fils de discussion :
Les systèmes d'éducation
L’Éducation Nationale, grand corps malade
Des sciences de l’Éducation, du coach et du charlatan
Douance et scolarité