
(J'avais aussi lu "Mangeurs de viande" où elle raconte comment l'Homme, successivement cannibale, charognard, chasseur, s'est progressivement détaché de la nature pour devenir un être de société.)
La première chose qui m'a frappé, c'est la méconnaissance, même pour les spécialistes, de ce qu'a réellement été la vie de Neanderthal. Mis à part les objets lithiques et les sépultures mis à jour dans les fouilles un peu partout en Europe et au proche Orient, nous ne savons pas grand-chose d'eux.
Sont-ils nos ancêtres ? Ont-ils été cannibales ? Avaient-ils une pensée abstraite ?
Toutes ces questions et bien d'autres restent en suspens. L'auteur se base assez souvent sur les peuples d'hommes modernes chasseurs/cueilleurs pour extrapoler sur ce que fut sa vie. Il en découle que les chercheurs se battent comme des chiffonniers sur un tas de sujets, chacun y allant de sa théorie.
Neanderthal a vécu pendant près de 300 000 ans, et s'est éteint il y a environ 30 000 ans, à l'arrivée de l'homme moderne.
Son ancêtre, descendant d'Homo-Ergaster, est sans doute venu d'Afrique il y a 500 000 à 700 000 ans. Son isolement au cœur de l'Europe a lentement fait évoluer cette population originelle vers les caractères propres à l'espèce.
Ce qui est frappant, c'est que durant ces 300 000 ans, Neanderthal n'a pas beaucoup évolué. Certains y voient une preuve de ses limites, d'autres une adaptation parfaite à son environnement. Il y a bien eu des périodes culturelles, chacune ayant son nom (Moustérien et Châtelperronien notamment), mais la base de sa vie a bien été la chasse, le nomadisme à la poursuite des grands troupeaux, et le travail de la pierre.
Son appartenance au genre humain est très remise en question, les résultats ADN étant contradictoires. Certains veulent l'appeler Homo sapiens neanderthalensis, d'autres Homo neanderthalensis. Des squelettes ont été mis à jour qui porteraient des traits à la fois d'Homo Sapiens, et à la fois d'Homo neanderthalensis. Il y aurait donc eu métissage. Mais cela ne prouve pas pour autant que ces métis avaient la capacité de se reproduire, à l'image des croisements inter-espèces qui engendrent parfois des individus stériles.
On sait qu'il enterrait ses morts, dans la position du fœtus, recouvrant le corps d'une dalle en pierre. Il a pu aussi pratiquer la sépulture en deux temps, n'enterrant le corps qu'après sa décomposition à l'air libre. Des indices laissent à penser qu'il a pu aussi pratiquer l'endocannibalisme, ce qui induirait une vie spirituelle (Comme le fait de s'approprier les qualités du défunt par exemple). Mais cela est aussi sujet à débats. Certains y voient plutôt un cannibalisme de nécessité. Toujours est-il que beaucoup de chercheurs pensent que Neanderthal a été la première espèce humaine à pratiquer un culte des ancêtres, lui-même ancêtre de la religion comme on la connait aujourd'hui.
Malgré tout, les représentations symboliques, comme les gravures ou les peintures, sont très rares. Encore une fois, certains y voient une vie spirituelle quasi-inexistante, d'autres rétorquent qu'il a pu pratiquer l'art sous des formes qui ne nous sont pas parvenues (Sur le bois par exemple).
Un sujet passionnant : Les origines de la cognition.
Pour beaucoup de spécialistes de la cognition, les facultés cognitives humaines remontraient à des temps très anciens. Des historiens attestent d'une cognition déjà très complexe il a 300 000 ans : Planification à long terme, prédétermination et sélection intentionnelle des séquence d'actions. Selon ces spécialistes, l'hominisation s'est effectuée par franchissements réguliers de stades de développement. Certains pensent que c'est le langage qui a fait exploser la cognition, d'autres que c'est la sophistication des outils, libérant de fait du "temps de pensée". Il parait indéniable que Neanderthal ait eu un langage. Son mode de vie complexe, ses chasses en groupe, ne pouvaient pas se faire sans langage.
Selon l'archéologue anglais Steven Mithen, les capacités cognitives seraient gérées par des modules qui, à l'origine relativement indépendants au sein du cerveau, tendraient à interagir de plus en plus au fur et à mesure de l'hominisation. A l'intelligence générale, chargée de résoudre des problèmes quotidiens, présente chez les australopithèques et les chimpanzés modernes, auraient succédé l'intelligence sociale, assurant les relations entre les membres du groupe (avec apparition du langage et de la conscience de soi), l'intelligence des individus dans l’interaction avec le biotope, et l'intelligence technologique.
Chez l'Homme, il existe deux types de connaissances : Phylogénétiques (innées, enregistrées dans les gênes au fil de l'évolution), et ontogéniques (acquises durant la vie de l'individu). Deux conceptions s'affrontent donc, et c'est là que ça devient passionnant (Aborder les thèmes de la cognition au travers de la paléocognition, je trouve que ça donne un angle intéressant) : Pour les premiers, le cerveau serait une machine de traitement de l'information, pour les seconds, les compétences cognitives sont innées et sélectionnées par l'évolution. Selon ces derniers, il existe une division psychique entre perception (qui repose sur une série de modules innés et indépendants les uns des autres), et cognition (produit au sein d'un système central qui réalise l'ensemble des opérations mentales, la pensée). Par exemple, les prédateurs non-humains chassent avec leurs sens (perception), mais n’interprètent pas les traces laissées sur le sol comme le font les humains. Nous savons bien ici que l'hérédité a une grande importance dans l'intelligence. Le développement, les comportements et les stratégies cognitives seraient donc influencées à la fois par des facteurs génétiques, et par des facteurs environnementaux. Mais, dans l'évolution des espèces, on sait aujourd'hui, au travers notamment de l'épigénétique (Qui étudie la transmission des gênes), que l'acquis devient inné au fil des générations.
Le cerveau contrôle toutes les parties motrices du corps, mais aussi les émotions, la mémoire, les sentiments, l’imagination, la réflexion etc. Je trouve que l'étude de sa transformation durant l'hominisation est passionnante, et permet de comprendre la mise en place primitive de la cognition. On voit un accroissement régulier de la taille du cerveau, et notamment au niveau du cortex préfrontal (siège de l'émotion). On voit aussi apparaitre l'asymétrie cérébrale, qui n'a cessé de se prononcer depuis les premiers hommes. Tout le long de l'évolution humaine, l'augmentation du cerveau a favorisé l'apparition de nouvelles capacités cognitives qui ont permis la pratique d'activités complexes et diversifiées.