J’ai écouté cette émission (il y a quelques points intéressants qui y sont développés) :
les réseaux sociaux doivent ils être des éditeurs ?
Pour rebondir sur ton article
@Holi , je reprends quelques points d’Olivier Babeau (un des intervenants, président-fondateur de l’Institut Sapiens). Pour lui, la vraie question, c’est comment on peut en arriver à l’éveil par le haut de la concurrence, cad par une demande qui va forcer les plates-formes à être vertueuses. On voit qu’il y a une demande réelle pour la vie privée. Y’a des gens qui sont capables de changer d’opérateurs, de faire des demandes. Y’a une demande réelle aussi pour un certain type de valeur. Donc une première réponse peut être du point de vue du consommateur.
(L’invité répondait aux idées de casser les réseaux dominants. Le problème sur la question du fait de casser ces réseaux, c’est qu’en tant qu’utilisateurs, sur ce type de services vous avez intérêt à aller là où il y a le plus de gens, parce que ça va maximiser vos chances de rencontrer/trouver les informations. Et donc le gagnant prend tout avec ces effets de monopoles. Et donc si on casse un monopole, au bout de quelque temps y’a un autre monopole qui surgit.)
Il y évoquait encore l’éducation aux médias et le renforcement du rôle des médias traditionnels : on se rend compte qu’on a besoin de retrouver cette capacité de gens qui ont le rôle des éditeurs parce qu’on a besoin que des personnes affirment le classement des informations, la hiérarchie des voix et l’accréditation des paroles. Et on doit arriver à articuler l’agora et les médias traditionnels.
@InMedio : merci pour ton retour sur le film et les questions soulevées sur le modèle économique.
Dans la même émission, il est également question de certains aspects historiques relatifs au modèle économique des grandes plates-formes.
Pour Dominique Boullier (sociologue évoqué un peu plus haut dans le fil), un tournant s’effectue en 2008/2009 : la monétisation commence à être un enjeu (car il y a eu beaucoup d’investisseurs). Basculement vers la publicité. Modification des statuts (de Facebook) à ce moment là. A la même époque, création du bouton retweet et bouton like (propagateur et accélérateur de contenus) qui ont amplifié les rôles qu’ils ont joué.
Pour Divina Frau-Meigs (troisième invité et sociologue des médias), c’est l’année 2012 qui est la bascule vers la fake news, à cause de l’entrée en bourse de Facebook et Twitter (ils doivent répondre aux actionnaires et ça précipite la monétisation). En 2013, le like est protégé par le premier amendement (c’est l’amendement sur la liberté d’expression pour empêcher que le gouvernement ne vienne empiéter l’expression des individus).
Quant à la thématique principale de l’émission, le statut d’éditeur, Divina Frau-Meigs, soulève ces aspects-là : les grands médias sociaux font de la publicité, de l’audience, ils monétisent ces audiences et ils assemblent, formatent et hiérarchisent des contenus. Donc c’est problématique, car ils font tout ce que font les éditeurs sans en avoir les responsabilités. Mais les réseaux sociaux n’ont aucune envie d’avoir le statut d’éditeur.
Y est également évoqué en début d’émission la question de la censure (avec la fermeture des comptes de Donald Trump). D’un point de vue américain, on ne peut pas parler de censure. Ils sont dans leur droit, car ils sont dans une logique de commerce libre, et ils ont répondu à toutes les règles quant aux mesures prises (suppression de contenus, fermetures de comptes…). Le statut actuel est protégé par le droit américain. Et en Europe, si on ne fait pas bouger les américains, on est en partie démunis, même si on est en train de discuter en ce moment de la modification de ces statuts.
J’ai également écouté les propos de Gérald Bronner (sociologue, et actuellement au conseil scientifique de l’éducation nationale présidé par Stanislas Dehaene) dans
cette interview faite par Olivier Babeau (évoqué un peu haut).
En ce qui concerne la régulation de l’information, Gérald Bronner pointe un grand risque qui pèse sur cette volonté de régulation : aboutir à des lois, à des formes de régulation dont les intentions sont bonnes (mais n’aboutissent pas au résultat escompté et parfois même au contraire…l’enfer est pavé de bonnes intentions

). Et donc il faut se montrer très méfiant par rapport aux différentes propositions de régulation.
Quelque part ça fait écho à l’article de
@Swinn : au-delà de la question des mouvements qui deviennent dominants, l’article soulève aussi les « dangers » des mouvements « bien-pensants » et qui se présentent plein de bonnes intentions.
Sinon, elle me plait bien Swimm ton action pour essayer de fausser les algorithmes. Tu as d’autres suggestions de ce type? Et pas encore de représailles : ils ont pas encore bloqué ton compte?)
Dans les autres points évoqués de l’interview, des choses intéressantes sur le dévoilement de nos tendances intellectuelles et cognitives.
La vérité met beaucoup plus de temps à se prouver que le mensonge à se développer. Ce qui est assez bien attesté par les travaux en sciences sociales computationnelles (il mentionne un article paru dans la revue science, avec analyse de plus de 120 000 récits, respectable d’un point de vus statistique et qui vient renforcer d’autres papiers déjà parus dans ce sens) qui montrait que les fausses informations se diffusaient 6 fois plus vite que les vraies informations sur Twitter.
Y compris les fondateurs de la démocratie pensaient que la vérité pouvait se défendre elle-même, et que donc sur un libre marché des idées, ce seraient les produits les mieux argumentés qui finiraient par s’imposer. Or, ce sont bien les produits les meilleurs qui vont finir par s’imposer (mais pas les meilleurs du point de vue de la rationalité/argumentation). Ceux qui s’imposeront seront ceux qui seront le plus satisfaisants d’un point de vue de notre fonctionnement cognitif.
A l’image du sucre, le plus satisfaisant pour l’esprit n’est pas forcément le plus sain pour lui. Gérald Bronner utilise régulièrement cette image : les fakes news sont souvent des confiseries pour l’esprit. Et c’est difficile d’y résister, surtout quand ces confiseries vont dans le sens de nos attentes idéologiques. Mais y’a pas que la faux, y’a plein d’autres choses qui attirent notre attention (la conflictualité, la sexualité).
Face à la dérégulation du marché de l’information, le sociologue dit qu’il ne faut pas désespérer en matière d’éducation et qu’il y a une science qui est en train de se faire autour de la sociologie et la psychologie cognitive. Sur le développement de l’esprit critique, la chose la plus difficile est d’opérer un transfert, cad que les élèves s’approprient cette connaissance. On pourrait rajouter des cours sur les biais cognitifs, mais il n’est pas convaincu par cette idée. En revanche, au sein du conseil scientifique de l’éducation nationale, ils pensent plutôt à « saupoudrer » des considérations sur l’esprit critique et la pensée analytique partout où la connaissance, l’enseignement se heurte aux obstacles de nos intuitions naturelles (cad là où les élèves peuvent apprendre une théorie mais aussi pourquoi elle leur résiste).
Et maintenant, j'aimerais bien avoir le retour (par rapport à ces propositions) de ceux du forum qui sont au cœur de l'éducation nationale

?
Enfin, à la question est-ce que le désordre informationnel est entrain d’exploser, d’affaiblir nos régimes démocratiques, on va vers ce que Gérald Bronner a appelé la démocratie des crédules.
Selon lui les fakes news sont particulièrement dangereuses sur les problèmes de santé publique ou sur des problèmes très techniques (là où les individus n’ont pas autre chose que leur intuition, leurs peurs et leurs craintes).
En revanche, certaines études ont contesté que les intoxs et fake news auraient une influence sur les votes (ça n’aurait pas tant d’impact que ça à court terme, les fausses informations vous impacteront si vous êtes indécis ; or en politique on est rarement indécis, on a souvent un point de vue, une opinion).
Cependant les deux peuvent être liés et c’est ça le problème. Car les théories conspirationnistes alimentent les radicalités politiques (la radicalité politique se réveille à chaque controverse). Et le populisme prospère grâce à la désintermédiation des discours permise par les réseaux sociaux.