Je suis prof de maths en collège, à une douzaine de km du collège de Conflans-Sainte-Honorine où un enseignant a été sauvagement assassiné. Depuis, les infos tournent en boucle, les rassemblements et les témoignages se multiplient, les experts et les politiques parlent, parlent, parlent…
Je vous épargne toutes mes émotions. Je voudrais surtout m’interroger, et vous interroger, sur la mission de l’école, et sur les moyens d’accomplir cette mission.
Cela fait trente ans (eh oui !

Ensuite, il y a les enseignants. Ceux qui, comme moi, n’ont pas l’option délicatesse

Cet assassinat nous rappelle notre mission : nous transmettons des connaissances, mais nous devons former aussi, autant que faire se peut, des citoyens éclairés. Le premier réflexe, me semble-t-il, c’est de dire qu’il faut les aider à réfléchir. Cela paraît une évidence, mais sous quelle forme ? Soyons clairs, certains gamins sont totalement hermétiques à nos arguments, tous ne sont pas aptes à interroger les discours entendus à la maison.
Pour donner un exemple moins terrible, dans une classe de 4eme, j’ai eu droit en 5 min, à propos du covid, à :
- je ne peux pas être porteur puisque j’ai été testé négatif il y a 15 jours
- de toutes façons, Raoult a trouvé le traitement efficace
- et puis ce virus n’est pas grave, et ça ne sert à rien de porter le masque. La preuve : Trump ne portait pas de masque, il est vieux et pourtant il est guéri !
Je peux répondre à ces contre-vérités sans difficultés, je n’ai pas besoin de prendre de précautions oratoires, ni de laisser entendre que toutes les opinions se valent…
Pourquoi affirmer que la liberté d’expression est une valeur de la République non négociable ne peut pas se faire aussi simplement ?
Sur les forums professionnels, je lis mes collègues qui s’interrogent « comment en parler avec nos élèves quand nous les reverrons ? » (et certains voudraient bien se mettre la tête dans le sable pour ne pas avoir à affronter cette épreuve

Je suis prof de maths, je ne ferai pas un cours d’éducation civique, je n’en ai pas les compétences, mais à la rentrée, quelles que soient les consignes de l’Institution, j’affirmerai haut et fort que cet assassinat ne peut pas avoir de circonstances atténuantes (parce que j’entends déjà les « oui mais quand même, pourquoi il a montré le prophète nu ? Ca s’fait pas M’dame »). Je parlerai de lâcheté, de bêtise, de manipulation. Je dirai que ces gens font honte à la religion qu’ils disent défendre (« c’est dur d’être aimé par des cons »). Comme je l’affirmerai en mode bulldozer, je ne pense pas qu’ils moufteront en face

Ai-je tort ? Je ne peux pas m’empêcher de penser que lorsque nous tenons un discours mesuré, tolérant, respectueux, les extrémistes de tout poil n’y voient que de la mollesse et de la peur. Cela fait des années que nous traitons ces sujets avec délicatesse, pour quels résultats ? Comment mes élèves pourraient-ils comprendre que ce qui s’est passé est inadmissible, point barre, si je ne m’exprime qu’avec des mots choisis et en douceur ? Montrer mon dégoût, mon mépris, ma révolte ne sera-t-il pas plus marquant pour eux ?
Le maire de Conflans, à la télé, parlait de dialogue… faut-il vraiment encore dialoguer ou affirmer la loi sans laisser à l’autre le droit de contester, de négocier, de se contorsionner pour passer entre les mailles ? Dans cette société où seuls se font entendre ceux qui crient le plus fort, comment puis-je passer le message à mes élèves ?
Vous le comprenez, il y a encore beaucoup d’émotions chez moi, désolée si vous trouvez que tout cela manque de profondeur. Ma question est pourtant bien réelle : certains d’entre vous sont profs, d’autres parents, et vous êtes tous citoyens, comment pensez-vous que l’école puisse agir pour lutter contre les extrémismes (et aussi, tant qu’à faire, contre le complotisme, le platisme, etc.) ?
L’école ne peut rien toute seule, il faut bien sûr traiter les problèmes économiques et sociaux qui sont le terreau de toute cette violence, mais tout de même, l’éducation n’est-elle pas le meilleur rempart contre l’obscurantisme ? Faire de l’école un sanctuaire inattaquable, pour qu’elle puisse accomplir sa mission sereinement, serait-ce choquant ? Je sais que pas mal de HP ont eu une expérience assez moyenne avec leur scolarité, s’y sont parfois senti brimés, mal accompagnés… Mais l’école peut-elle se remettre perpétuellement en cause (oh, si ! elle se remet en cause… pas toujours de façon constructive cela dit… ) et rester forte ?
Je suis perdue je crois, parce que ma vision est celle d’une quinqua passionnée par son métier de service public, et que les jeunes enseignants me semblent peu nombreux à s’interroger sur leur rôle dans l’EN, se contentant de « fonctionner » au jour le jour. Ou peut-être est-ce simplement ainsi dans mon établissement ?
Oserai-je dire, sans aucune critique, que j’ai été surprise que personne ici ne s’empare de ce sujet, qui n’est pas un simple fait divers ? Toujours impressionnée par la tenue des propos sur ce forum, je m’interroge : sujet « trop chaud » pour inciter à une vraie réflexion ? Laïcité déjà traitée (j’ai trouvé un vieux topic, mais plus axé sur le voile) donc impression de doublon ? Pas envie de parler de quelque chose d’aussi violent ? Ou bien pensez-vous que cela n’est rien qu’un crime de plus perpétré par un fou agissant seul ?
Voilà, j’ai besoin de vos lumières pour prendre un peu de recul sur un sujet qui me prend aux tripes
