Ah, ça porte donc un nom: le complexe de l'imposteur... Je le nommais mon sentiment d'usurpation.
Enfant, à l'école primaire, j'avais l'impression de bénéficier des bonnes grâces d'une fée, qui me permettait de tout comprendre, assimiler sans effort, ce qui était fort réconfortant puisque je savais que je ne savais pas travailler, fournir d'effort... ou très peu, et très difficilement. (Je me souviens avec des sueurs froides des auto-dictées en CE2, qui me demandaient des efforts sur-humains... d'autant que je visais la perfection...).
Je redoutais que ce bon sort s'achève du jour au lendemain. Je doutais sans cesse de mes capacités, de mes qualités.
Seule la perfection me rassurait, et le fait d'être la meilleure.
J'étais donc la meilleure, en tout, tout le temps. avec très peu de travail, très ciblé, de façon stratégique (le "par coeur" essentiellement, pour lequel je n'avais pas de facilités du tout).
Avec le temps, le sentiment d'usurpation s'est modifié. Je me suis dit qu'"ils" allaient finir par se rendre compte que je n'étais pas brillante, intelligente... ok j'avais une bonne mémoire (je le croyais en tous cas), et d'immenses facilités en maths... mais j'étais quelconque et besogneuse dès que ça ne coulait pas de source.
Puis vinrent les études de médecine : immense facilité pour le concours de première année, que j'ai certes redoublé, mais obtenu dans la joie et la bonne humeur, et une ambiance très peu studieuse (premier appart', premiers chéris, sentiment de liberté immense, relations humaines riches et variées...). Les années suivantes toutes en facilité aussi. Puis le concours de l'internat : un programme immense, là j'ai travaillé... beaucoup pour moi, mais encore 50% de moins que mes acolytes... réussite brillante.
Durant ces années, le sentiment d'usurpation a diminué : j'étais légitime à réussir puisque je travaillais et que cela me coûtait.
Durant les années d'internat proprement dites, pour la première fois, les « profs » ( c'est à dire les chefs de services universitaires) ne s'extasiaient pas sur mon intelligence... ils me trouvaient efficace, ayant un excellent sens clinique, fiable, consciencieuse... les appréciations étaient bonnes, mais aucun commentaire sur mes capacités cognitives, intellectuelles...
J'ai eu l'impression d'avoir atteint mes limites : j'avais eu besoin de travailler pour en arriver là, et plus personne ne me disait que j'étais intelligente.
J'avais donc rêvé quand je m'étais brièvement crue futée...
J'ai pensé de mon travail de thèse qu'il était médiocre (la mention ne signifiant rien en médecine), jusqu'à ce que le prof en chef me propose de présenter mon travail au congrès des jeunes psychiatres... je revois sa tête quand je lui ai dit ne pas être certaine d'avoir conservé le diaporama !
En parallèle de mon internat, j'ai passé un master 2 recherche de psychologie, que j'ai majoré (sans travailler pour la partie théorique, et en faisant le minimum syndical pour la partie recherche)... je l'ai mis sur le compte de ma bonne mémoire et de ma bonne technique de travail.
Puis vint l'exercice professionnel à proprement parlé. Au milieu d'éducateurs et d'infirmières essentiellement, il m'a à nouveau été renvoyé mes capacités d'analyse, de synthèse, d'improvisation, mon sens clinique. J'ai été reconnue comme intelligente, et brillante dans ma branche.
Et le sentiment d'usurpation a diminué.
Puis me voilà ici.
Et je vous trouve tous si brillants, votre pensée est limpide, s'exprime avec clarté et fluidité.
Je me dis que la psychologue a dû se tromper, que je ne suis pas surdouée.
Que je suis en de-ça. Très clairement.
Vous fréquenter est un bonheur immense, une richesse que je n'imaginais pas, mais me renvoie de plein fouet dans cette sensation d'usurpation, dans ce sentiment de non légitimité.
Alors je travaille, je lis, j'écris mes messages avec un certain sérieux, je me relis, me corrige. Je découvre le bonheur de travailler, de fournir un effort intellectuel.
Et c'est une première. J'adore ça.
Quand vos encouragements me parviennent (mp, remerciements pour certains posts), je suis comme une petite fille recevant un bon point en CP : je trémule de joie, je me sens transportée et à la fois esbaudie (malgré mes efforts, je les trouvais médiocres, ces interventions).
Je tente de me raisonner : si les résultats de la WAIS sont biaisés, c'est vers le bas, puisque je l'ai passée alors que j'étais très mal (incapable de dormir, de me concentrer suffisamment pour lire, anxieuse et sous benzodiazépines, etc...).
Et dès que je me dis ça, je me conspue : « tu as un chiffre, ne va pas te raconter qu'il est sous-évalué, sale vaniteuse ! »...
Et je contre balance : « ne va pas non plus te raconter qu'il est sur-évalué, espèce de névrosée ! ».
La WAIS a montré que mes points faibles étaient la mémoire et la rapidité : ce que je croyais donc mes points forts jusqu'alors.
Toujours est-il que je n'ai aucune connaissance intrinsèque de mes capacités d'intelligence : j'ai sans cesse besoin d'un regard extérieur, d'une hétéro-évaluation, afin de me rassurer.
Quand elle vient, j'ai tendance à la discréditer (« ce sont des amies », « les infirmières sont facilement admiratives », « il est amoureux », « il/elle n'a pas les outils pour évaluer mon intelligence », etc...). Néanmoins , elle me rassure.
Et quand cette hétéro-évaluation ne vient pas, cela signifie donc que je suis bête.
Et pourtant au fond, une part de moi sait depuis toujours que je ne suis pas si bête : que je comprends vite, que je fais des liens, que je suis logique, que les maths sont une joie, que la vision en volume est une évidence...
Bref, tout se passe comme s'il me fallait sans cesse une confirmation extérieure, et que cette confiance dans mes capacités n'était jamais acquise, toujours dans un mouvement de balancier alternant entre la certitude (vécue comme vaniteuse) et le doute épouvantable.
Comme s'il n'y avait pas de juste milieu entre être bête et brillantissime.
Comme s'il fallait sans cesse que je me compare à autrui.
Comme si j'avais perpétuellement besoin de récompense , de gratification.
Comme si je ne savais absolument pas qui je suis, ni ce que je vaux.
