Cobb a écrit :Le discours "tout le monde est unique, tout le monde est différent" répond à une exigence de ne pas brusquer qui que ce soit et de ne pas paraître prétentieux et à part (c'est une supposition que je fais à grands traits), mais, au passage, ce discours nie des faits, car des différences peuvent exister et ces différences ne sont pas dans tous les cas imaginables la conséquence d'une mauvaise interprétation du réel.
Quand on dit "tout le monde est différent", on ne nie pas les différences. Au contraire, on affirme qu'elles sont omniprésentes. Il y en a
beaucoup plus. L’objectivité de la mesure n’empêche pas une forte subjectivité.
Qu'une différence soit mesurable n’implique pas qu'elle soit importante dans le monde réel.
Je suis fabricant de plateaux en marbres pour tables de bistrot. Ma production actuelle fournit des carrés d'environ 60cm avec une variabilité de 1cm (écart-type). Quand on aligne plusieurs tables, c'est pas classe. J'améliore ma production, et désormais l’écart-type est de 0.1mm. Dans les deux cas, je peux trouver des plateaux exceptionnellement grands ou petits à plus de 2, 3 ou même 4 écart-types de la moyenne (pourvu que j'en produise en grande quantité). Mais dans premier cas, la différence objective et mesurable est gênante. Après amélioration, les différences sont tout aussi objectives et mesurables, mais d'une ampleur tellement faible qu'on va les négliger. On va considérer tous les plateaux comme identiques. Une différence mesurable n'est donc "importante" ou "pas importante" que par rapport à une exigence, une attente, et ça c’est subjectif.
Le QI est une mesure normalisée sur la population actuelle, pour une culture donnée. L'étalonnage de 1930 n'est pas le même que celui de 1990. 30 points d'écart en 1930 (deux écart-types) ne signifient pas la même chose que 30 points d'écarts en 1990. L'amélioration des conditions de vie, d'éducation, etc, au cours du XXème siècle a permis une augmentation globale des scores bruts aux tests de QI. C'est un peu comme mes tables de bistrot. On peut mesurer objectivement un écart de 15, 30 ou 60 points de QI entre deux individus. En revanche, dire "30 points c'est beaucoup" ou "30 points c'est peu", c'est subjectif.
Si les attentes évoluent à la hausse plus vite que le QI moyen, on tombe dans une situation paradoxale : les écarts de performances brutes se réduisent, mais 30 points aujourd’hui auraient plus de poids que 30 points en 1930.
Mais le plus crédible : la société est plus exigeante en terme d’intelligence en 1990 qu’en 1930, mais dans un ordre qui suit celle de la population. Autrement dit : la société exige… ce qu’elle peut se permettre.
Qu’une différence soit mesurable n’implique pas qu’elle soit importante tout le temps.
Dans les couloirs d’un sprint, Usain Bolt est définitivement plus rapide que moi. En revanche, il ne va pas nécessairement plus vite que moi dans la vie de tous les jours : il ne fait pas les courses plus vite que moi, il ne marche pas forcément plus vite dans les couloirs du métro.
C’est pareil pour l’intelligence, et c’est le débat qu’on avait soulevé ailleurs vis à vis de cette affirmation péremptoire et simplificatrice « quand il y a plus de 30 points d’écart de QI, on ne peut plus se comprendre. » Cela ne veut pas dire grand-chose. Que certains concepts soient inaccessibles à des gens qui ont un QI trop bas, c’est certain. Mais la différence de QI n’a plus d’importance quand on dit « passe-moi le sel ».
Qu’une différence soit mesurable ne signifie pas qu’elle soit importante pour tout le monde.
C’est là, je crois, qu’il y a un gros couac entre nous. On peut trouver des tonnes de différences : Luc est homosexuel. A 41 ans, Aline n’a pas d’enfants. Rachid est maghrébin né en France dans un environnement blanc caucasien. Li est coréen, vit à Nantes, mais maîtrise mal le français. Pierre est en fauteuil roulant. Etc, etc, etc.
Tout cela est parfaitement objectif. Toutes ces personnes sont uniques, toutes ces personnes sont différentes. Toutes ces personnes sont potentiellement mal à l'aise par rapport à un groupe plutôt homogène sur tel ou tel critère (la langue, la couleur de la peau, l'orientation sexuelle...), mais ne se rendront pas compte qu'elles sont elles-même homogènes à d'autres gens sur d'autres critères. Par exemple, Aline se plaint de l'injonction à avoir des enfants, mais ne ressent pas le racisme diffus quand tu as un faciès basané.
Il n’y a rien de mal à accorder une importance particulière à une différence qui nous concerne. En revanche, il y a un manque de recul sur soi à considérer que cette différence doive être importante aux yeux de tout le monde, comme si c’était quelque chose d'universel. Que la mesure de cette différence soit objective ne change rien au fait que l’importance qu’on lui accorde est un choix totalement subjectif.
On peut dire, de façon objective, qu’avoir un QI de 134 représente une différence d'intelligence à la moyenne plus importante qu’avoir un QI de 116.
On ne peut pas dire « je suis plus différent que d’autres parce que j’ai un QI de 134 ». Si tu es un mâle blanc, hétérosexuel, cisgenre, vivant en France, tu as localement des points communs avec un sacré paquet de gens. Ou dit autrement, tu es largement "dans la norme".
Qu’une différence soit mesurable ne signifie pas qu’elle est la cause de nos maux.
On va pas se mentir : si on va passer un test de QI, c’est souvent qu’on va pas très bien et qu’on se cherche. La tentation est forte, au début, d’attribuer les raisons de nos errances au QI. Mais c’est un raisonnement un peu curieux. Quand on a un gros QI, ça signifie que notre cerveau marche très bien (sur le plan de l’intelligence). La logique, ça serait d’en conclure que c’est précisément pas de là que viennent nos problèmes. C’est bien cette vision qui prédomine dans le monde scientifique.
Pour donner un exemple personnel : j’ai bossé en bureau d’étude mécanique. Ce sont plein de gens qui ont fait des études, le QI moyen doit être assez élevé. Mais les centres d’intérêts sont homogènes : voiture, sport. Pas de chance, je me fiche de l’un comme de l’autre, du coup malaise. Je bosse aujourd’hui dans des théâtres. Les gens ont fait des CAP, on pousse des caisses, on branche des rallonges. Le QI moyen doit être plus faible qu’au bureau d’étude. Mais on discute cinéma, séries, jeux de rôles et débunking. Il n’y a rien à reprocher à personne dans cette histoire. Il y a juste à trouver sa place au sein de groupes qui nous conviennent, et ça n’a qu'un maigre lien avec l’intelligence.