Un ami tunisien a ouvert un "événement" sur Facebook, en quelque sorte pour créer une occasion à tous ceux qui vivent dans ce pays troublé en ce moment de se changer les idées. Je vous propose le même exercice, que vous ayez ou non besoin de vous changer les idées
La théorie de la page 99
Ecrivain et éditeur anglais mort en 1939, Ford Madox Ford (il est notamment l'auteur du Bon Soldat), estimait que la lecture de la 99ème page d'un livre pouvait déterminer votre envie de le lire en entier.
Possible explication :
Généralement, les auteurs se surpassent dans les premières pages pour attirer le lecteur, mais la suite peut ne pas être du même niveau. Qui n’a jamais été floué par un livre qui démarrait très bien pour devenir par la suite ennuyeux ?
A la page 99, on est bien avancé dans le livre et sa lecture peut donner des indices sur sa qualité.
Chacun ouvre le livre qu’il est en train de lire ou de relire, ou un livre de son choix, à la page 99 et écrit le premier paragraphe, ou mieux la page entière.
On peut également dire si le livre a tenu ses promesses et si on l'a lu jusqu'à la fin ou mis au pilon.
Je commence :
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Haruki Murakami, « Autoportrait de l’auteur en coureur de fond »
traduit du japonais par Hélène Morita, publié chez Belfond, ISBN 978-2-264-05200-1, disponible en collection 10/18.
Si on me demande quelle est la deuxième qualité importante pour un romancier, je réponds sans hésitation : la concentration. La capacité à concentrer le talent limité que l’on possède sur ce qui est essentiel à tel ou tel moment. Si l’on en est dénué, on sera incapable d’accomplir quelque chose de valable. A l’inverse, une véritable concentration permet de compenser un talent capricieux ou même insuffisant. De manière générale, je me concentre sur mon travail trois ou quatre heures chaque matin. Je m’assois à ma table et me mobilise totalement sur ce que je suis en train d’écrire. Je ne vois rien d’autre, je ne pense à rien d’autre. Même un romancier doué d’un grand talent et d’un esprit brillant plein de nouvelles idées ne peut sans doute pas écrire une ligne si, par exemple, il souffre d’une rage de dents. La souffrance bloque la concentration. C’est ce que je veux dire lorsque j’affirme que, sans concentration, impossible d’accomplir quoi que ce soit.
Après la concentration, la qualité la plus importante pour un romancier est la persévérance. Si vous vous concentrez sur votre texte trois ou quatre heures par jour et qu’au bout d’une semaine vous vous sentez fatigué, cela signifie que vous ne serez sans doute pas capable d’écrire une œuvre d’une certaine longueur. Ce que doit rechercher un écrivain – du moins celui qui désire écrire un roman -, c’est l’opiniâtreté, la capacité à se concentrer chaque jour durant six mois, ou un an, ou deux ans. Faisons une comparaison avec la manière de respirer. La concentration consiste à retenir profondément son souffle, alors que la persévérance est l’art de respirer lentement, sereinement, en conservant en même temps l’air dans ses poumons. Tant que vous n’êtes pas capable de trouver un équilibre entre les deux opérations, il vous sera difficile d’écrire des romans de manière professionnelle, sur une longue durée. Continuer à respirer tout en retenant sa respiration.
Murakami ne se contente pas de tirer des parallèles entre son écriture et sa pratique de la course de fond, c'est une leçon de vie, pleine de sagesse.
Dois-je ajouter que ce livre se dévore de la 1ère à la 221ème page, et que sa qualité ne faiblit jamais ?
