Je voudrais apporter ma petite pierre à cette histoire de progrès.
Je suis d'accord avec Fabs, pour moi le progrès est une question de vision du temps.
La culture occidentale est bâtie sur un mélange de deux systèmes nourrissant des visions du temps compatibles : l'antiquité grecque (par extension latine) et le christianisme.
Concernant le progrès et la vision du temps, l'antiquité grecque a construit son mode d'analyse du monde sur un principe de base : je suis perfectible, donc la société entière est perfectible. Argumentons entre citoyens pour définir comment appliquer à l'ensemble de la cité nos valeurs fondamentales : la recherche du bien, du juste et du beau.
Ces valeurs se retrouvent dans les trois types de discours argumentatifs : politique, judiciaire et épidictique.
Politique : construire l'avenir en déterminant le bien.
Judiciaire : analyser le passé en déterminant le juste.
Épidictique : faire entrer le beau présent dans l'éternité en en faisant l'éloge et en blâmant le laid. (ceci est à l'origine de la littérature, par opposition aux deux autres types de discours nettement plus concrets)
Notre société démocratique est encore construite de cette manière et nous appliquons toujours ce système de valeurs. Que doit-on faire pour que ce soit mieux ? Que s'est-il passé et qui avait raison ? Faisons l'éloge de nos héros.
Vient ensuite le Christianisme, qui apporte une vision du temps parfaitement linéaire avec un début et une fin. Il y a la création du monde et il y aura le jugement dernier. Et ce qui se passe entre les deux dépend de notre libre arbitre.
Toute notre culture est construire sur ce principe : le temps est linéaire et le monde est perfectible. D'ailleurs combien de fois entend-on, concernant telle ou telle inégalité "mais comment se fait-il que ça arrive encore au XXI° siècle ?" Il nous est impossible d'accepter l'idée que nous ne tendons pas vers une société idéale.
Nous sommes tellement pris dans ce système de valeurs que nous oublions que les autres cultures ne fonctionnent pas forcément de cette manière.
Par opposition au temps linéaire qui est le nôtre, existe le temps cyclique. Notre temps a un début et une fin, l'idée qu'il ne se passe rien pour améliorer les choses entre les deux nous semble incohérent, voire insupportable. Le temps cyclique rend une culture éternelle. Pourquoi vouloir changer ce qui fonctionne depuis toujours ? Une culture qui aspire à l'éternité ne valorise pas ses découvertes, ne cherche pas à les transmettre, ne part pas du principe que le progrès technique le rendra plus puissant que son voisin. Par exemple, les tribus amazoniennes sont "éternelles", elles traversent des guerres, comme tout groupe, mais préfèrent se voir immuables donc ne s'attardent pas sur le souvenir. De la même manière qu'en littérature, la prose est linéaire quand la versification est cyclique, pour faire le distinguo entre le récit allant vers un but et la recherche de l'éternité.
C'est pour cela que les pays occidentaux, au temps de l'exploration du monde et des premières colonies, ont analysé les autres cultures à partir de leur vision linéaire du temps. "Si le temps va vers un but précis et que nous sommes à la toute pointe technique, alors c'est que les autres sont en retard, donc qu'on est supérieur (plus intelligents, blabla) et qu'on doit leur apporter le progrès, vouons un culte à l'Histoire qui nous rappelle au quotidien que nous, on n'est plus des sauvages."
Un jour, un ethnologue dont j'ai oublié le nom a dit qu'il n'existait aucune culture plus "avancée" qu'une autre, que le but d'une société étant de se survivre à elle-même, toute société existant au présent est une société évoluée au même degré que les autres, qu'elle érige le progrès comme valeur absolue ou pas.
L'Histoire tend-elle vers le progrès ? Notre Histoire occidentale essaie de tendre vers notre définition du progrès qui n'existe qu'en fonction de notre vision linéaire du temps et que nous cherchons (et souvent réussissons) à imposer aux autres. Parfois pour de bonnes choses, et parfois pas.

"Porter la liberté est la seule charge qui redresse bien le dos." Patrick Chamoiseau