Merci de vos retours. On voit bien que nous calons tous pour des raisons communes.
La première paraît être l'ennui : de mon côté, j'ai deux parades qui fonctionnent plus ou moins.
D'abord, lire en commun : je citais
Ulysse, dont certains passages procurent indéniablement un immense ennui. Fondamentalement, c'est drôle, donc on s'amuse plutôt à la lecture, mais pas toujours, franchement (Je pense par exemple au chant des Roches Errantes dont je conserve un souvenir accablant

). J'ai réussi à traverser ces passages en lisant en binôme, avec des intermèdes destinés à l'échange sur ce qui avait été lu. C'est dynamisant et au pire, je n'étais plus seule à m'ennuyer.
La seconde consiste, si je lis seule, à lire très lentement en analysant ce que je lis, par exemple en observant les procédés mise en œuvre : il me semble que ça doit marcher pour Proust, dans la mesure où l’œuvre est souvent ennuyeuse par sa faible teneur en narration. Il ne s'y passe rien, ou plutôt, ce qui s'y passe, c'est la transmutation du monde en littérature (processus qui constitue le principal sujet des romans - on pourrait évidemment en dire autant de ceux de Joyce).
Ensuite eh bien... C'est une question de patience et de persévérance. De ces deux vertus, chez moi la première est presque inexistante, mais la seconde n'a pas de limite. Donc à la longue, j'y arrive... ou pas.
La deuxième cause est liée à la première, c'est la difficulté de compréhension. Je la rencontre très souvent et lorsque cela se produit, hop! Je lis avec des appareils critiques, notes ou commentaires. Dans le cas de Spinoza, je ne vois d'ailleurs pas comment on pourrait aujourd'hui le lire autrement, dans la mesure où son vocabulaire est technique et lui est spécifique, tout en s'inscrivant dans une longue tradition scolastique. En gros, c'est le vocabulaire de Descartes légèrement modifié : sans explications, autant lire de l'Assyrien sans dictionnaire.
Mais il y a les cas limites, où les aides extérieures ne suffisent plus : et je reviens à
Finnegans Wake. Joyce n'écrit pas en anglais dans son
magnum opus, il écrit en Joycien. Il n'y a pas d'autre mot, puisqu'il s'agit d'une langue entièrement idiosyncratique : l'ennui, c'est que cette lange est presque continuellement a-syntaxique, que son vocabulaire est essentiellement constitué de mots-valises et qu'elle est forgée à partir d'une trentaine de langues d'appui.

Bref, j'ai toujours un doute quand on me dit, ou que je lis, que c'est compréhensible. Je pense qu'une partie est vouée à demeurer hermétique au lecteur, avec la part de frustration que cela suppose. Mais d'un autre côté, c'est superbe, et le déchiffrement constitue un défi très excitant. Et donc, un jour, j'y arriverai.
Si, si.
Reste la troisième catégorie d'obstacle, l'obstacle psychologique (ou peut-être psychiatrique - dans mon cas

). Le refus inconscient. C'est ce que tu signales avec
Le Fou d'Edeberg, Napirisha, et c'est mon problème avec Sebald. Là, je n'ai pas vraiment de parade. Ton cas me paraît moins grave que le mien puisque tu identifies l'origine du blocage, ce qui est un pas majeur vers son dépassement. En ce qui me concerne, Sebald semble fonctionner trop bien sur moi, probablement pour des raisons affectives profondes et aussi, en partie, littéraires, et donc il me mine. Il faudra tout de même que j'y revienne un jour mais parfois, c'est une perspective un peu effrayante.
Et vous, mettez-vous en œuvre des méthodes pour triompher des livres illisibles?

Le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n’en sait qu’une grande. (Archiloque)