Dès la première scène de dévoration du chevreuil, petit flottement général : "Euh, tu es sûre que c'est un film pour toi ?", "Tu vas jamais rester jusqu'à la fin !", mais je pris une grande inspiration, me redressai et restai bien sagement assise en face de l'écran (en croisant les doigts pour que les choses ne dégénèrent pas trop quand même

).
C'est un film à la fois soigné, complexe et très intéressant. Je ne l'ai pas trouvé trop long ni trop compliqué. A posteriori, j'ai suivi beaucoup d'axes de réflexion qui m'ont donné envie d'y repenser.
Je vais quand même redire que je continue à ne pas aimer les scènes trop explicites, du style le zombie tordu qui a un râteau planté dans la tête

S'il n'y avait pas ce genre de scènes, c'est-à-dire si on était plutôt dans la
suggestion du paranormal que dans la visualisation, je dirais que ce film est excellent.
J'ai bien aimé les références cinématographiques accumulées (même si je suis tout sauf spécialiste de ce type de films, on ne peut pas passer à côté), de
L'exorciste à
Rashomon (décidément, tu avais raison, c'est un des piliers de la cinématographie). Je trouve que le réalisateur accepte avec simplicité le fait d'être dans la continuité d'une longue histoire de cinéma et pourtant qu'à chaque fois il en fait quelque chose d'original (par exemple le personnage principal, le père, un type quelconque au début qui est transcendé par le drame qu'il traverse, c'est une trame assez usuelle, mais les ressorts scénaristiques sont assez complexes et les sentiments qu'éprouve le personnagesont assez ambigus pour nous intéresser). La scène de chamanisme est très réussie, bien plus forte que dans bien d'autres films (et d'autant plus intéressante que le spectateur reste plein d'interrogations pendant toute la scène : que se passe-t-il réellement ? qui torture la petite fille ? le père a-t-il tort ou raison d'entraver la cérémonie ?)
J'ai bien aimé également les thématiques choisies, et la manière parfois très allusive de les traiter :
- La thématique de la culpabilité
- Celle de la rédemption
- Celle de l'innocence perdue
- Celle du Mal avec un grand M.
Les personnages sont presque tous très intéressants, de la petite fille qui a "mordu à l'hameçon" au diacre, tellement obsédé de ne pas nuire à tort qu'il court à sa perte, la jeune femme morte-vivante représente une partie du scénario qui m'a plus car pas trop développée et laissée à la libre imagination du spectateur : est-ce qu'elle veut réellement donner au père une chance de rédemption ? est-ce qu'elle encourt elle-même un grave danger en le faisant ? est-ce qu'elle agit ainsi parce qu'elle est une femme ?
D'ailleurs, cette phrase "je suis une femme" énoncée comme l'évidente explication de tout, m'a renvoyé à tous les films que j'ai vus cette année qui étaient traversé par cette thématique de la condition féminine :
La nuit du 12,
Dédales, des films où la violence faite aux femmes est le thème central . C'est la même chose dans
The Strangers : toutes les femmes ou presque que l'on voit à l'écran vont mourir de manière sordide, elles sont piégées par la volonté de domination des hommes, leur sadisme, ou victimes d'inceste (même fantasmé). Pourtant elles mettent en oeuvre chacune à leur manière des défenses (la grand-mère par exemple, qui ne baisse pas les bras et trouve un chamane "puissant"), mais celles-ci ne sont jamais suffisantes et le raz-de-marée de violence déferle quand même, mais tout cela est sous-jacent, les rôles principaux dans le scénario sont dévolus aux hommes, ils sont bruyants, ils mènent l'action et ni la ruse ni l'intelligence ni la bonté des femmes ne peut les détourner de leurs errreurs.
Ce film m'a envoyée sur des pistes multiples. Les films qui parlent du rapport père-fille ne sont pas si nombreux, il me semble, et souvent l'écho renvoyé est celui de la violence, de l'inceste ; par exemple
Peau d'âne, ou
La passion Béatrice. Ici on voit ce père, qui se vit comme un bon père, préoccupé du bien-être de sa fille unique, et qui est pourtant la cause de tout. J'ai trouvé le fil conducteur de la barrette rose très bien trouvé, dans la première scène où apparaît cette barette la petite fille se tourne vers son père avec un sourire : "je suis jolie hein, comme ça", le père un peu gêné, et ensuite la barrette se retrouvera au sol à différents moments dont la scène clé où le père doit se décider "avant que le coq aie chanté trois fois" (en référence peut-être au reniement de Saint Pierre ?). C'est cette barrette qui nous met sur la trace de la culpabilité du père, et aussi la scène très intelligente je trouve où le père se rend dans la chambre de sa fille endormie, il a une bonne raison, hein (il veut chercher des preuves de sa possession par le Malin), puis encore une bonne raison de soulever sa chemise de nuit (à la recherche des lésions cutanées révélatrices de la possession diabolique), mais finalement tant qu'il n'a pas soulevé le vêtement la peau de la petite fille est parfaitement lisse et saine à nos yeux, n'est-ce pas son geste qui corrompt tout, tout comme le fait que la petite fille ait assisté aux ébats sexuels de ses parents a pu la corrompre au départ et la mettre ainsi entre les mains du Diable).
Bref, j'ai vu dans ce film plutôt une allégorie qu'un vrai film d'horreur (mais peut-être n'ai-je rien compris jusqu'ici et tous les films d'horreur sont-ils des allégories ?).
De fait, la dernière scène avec la petite fille (celle du manège, qui nous renvoie au temps de l'innocence vraie), survenant après toutes ces éprouvantes scènes sanglantes, m'a paru très lumineuse et forte, pas du tout nunuche. La culpabilité du père, qui traverse tout le film, en écho à la question qu'il pose sans cesse : "pourquoi ma fille ?", s'en trouve renforcée et en même temps il trouve sa rédemption d'une manière assez... particulière dirons-nous.
Le diacre est également un personnage-clé du film, c'est celui auquel je me suis identifiée, il est le seul personnage masculin à ne pas porter la culpabilité me semble-t-il, mais il semble qu'il ne soit pas allé assez loin dans sa réflexion
Jusqu'ici j'ai fort peu parlé du Japonais, ce personnage est vraiment bien construit, le suspense tient jusqu'au bout, est-ce qu'il est vicitme de calomnies (par exemple, la scène du viol est racontée par un ami du père qui ne semble pas des plus fiables ni des plus éclairés) et de rejet car étranger ? l'acteur est excellent.
Donc au total un film auquel je vais encore penser longtemps.