Elle a été un grand amour de jeunesse, et j'y suis régulièrement revenu depuis mes vingt ans ; à vrai dire, je ne pense pas l'avoir écoutée pour la dernière fois il y a si longtemps que ça, ça remonte à deux ans peut-être, mais justement.
J'ai eu la même impression avec d'autres artistes des années 1990 ou 2000, cette impression que leur musique avait perdu cette aptitude à convoquer un "éternel présent" que je leur prêtais jusque là : un éternel présent coloré d'une mélancolie diffuse, sans objet, presque de principe, ou du plaisir vaguement pervers de se sentir souffrant pour se sentir un peu plus en vie.
Et là, ce matin, en réécoutant Is this desire ? je suis frappé par l'espèce de luxe que j'avais, il y a quelques années encore, de pouvoir cultiver cette mélancolie dans un univers d'abondance, comme si ça n'avait jamais été qu'un divertissement de plus. J'ai l'impression, pour le dire plus clairement, que la matérialité brutale des événements, depuis deux ans, a fait voler cette illusion en éclats, que tout ce qu'il en reste, ce sont des fabrications plaisantes, quoique largement dictées par des codes et privées de nécessité : des jeux, et plus du tout l'expression d'une urgence. J'ai l'impression, en même temps que j'entends la musique, d'en percevoir la coulisse, la part de calcul qui fera préférer telle piste studio à telle autre - non que ce soit dénué d'intérêt, mais ce n'est plus ce que j'en attendais quand je consommais frénétiquement des albums de folk alternative, de post-rock... entre vingt et trente ans.
Comme si le monde était soudain devenu trop sérieux pour ces sortes de préciosités, qu'il s'attachait désormais quelque chose d'indécent au vague-à-l'âme.
Je ne sais pas si ça vous parle ; c'est peut-être que je vieillis, en fait
