Chris a écrit :Les variables existent, elle ne sont simplement pas à la porté des outils dont on dispose […] On peut connaître théoriquement toutes les situations de départ de nos élèves et il est inutile de remonter dans le temps pour ça.
Imaginons le besoin suivant : En septembre, on veut évaluer quel élève aura le brevet en fin d’année. Si on attend la fin de l’année pour avoir les résultats, on aura une réponse exacte. Mais c’est aussi utile que d’annoncer la météo d’hier. C’est en fait nécessaire de le faire au moins une fois, pour valider le QI comme outil prédictif. Mais à terme, on cherche bien à faire des prédictions. Tout l’intérêt de la science est là: sa capacité à prédire. Ça permet de prendre des décisions, d’agir sur le monde, de résoudre des problèmes.
C’est la
prédiction des résultats du Brevet qui nous intéresse. J’insiste là dessus : on ne cherche pas à savoir si le Brevet est représentatif du niveau des élèves. Ça, c’est une toute autre question.
On utilise le QI, et on estime que Jérémy aura son brevet, qu’Aline l’aura haut la main, que Jocelyn ne l’aura pas. A cet instant là, on n’a aucun moyen de prévoir les aléas de la vie qui vont influer sur les résultats du Brevet. A la limite, on pourrait constater qu’Aline est stressée en examen. Peut-être qu’en affinant l’outil, on pourrait prédire la chute typique de résultat due au stress. Mais on ne pourra pas prédire que le jour du Brevet, Aline est encore plus stressée parce qu’elle a perdu sa grand-mère la veille. Ce n’est pas une histoire de variable qui manque ni d’outil incomplet. C’est tout simplement impossible à prévoir,
en début d’année, et c’est le phénomène à prédire qui porte une part d’aléa.
Cet aléa n’existe pas pour la loi d’ohm. Les électrons n’ont pas de conscience, pas d’humeur, pas de libre arbitre. Mais dès qu’on s’intéresse à l’humain, il y a une part imprévisible qui échappe à toute mise en équation. Ce n’est pas binaire, il y a tous les intermédiaires possibles entre des phénomènes parfaitement déterministes et d’autres intégrant un aléa important. D'ailleurs en pinaillant on va trouver quand même une part d'aléa dans la loi d'ohm. Mébon, drosophile, sexe contre nature, etc.
chuchumuchu a écrit :pour moi, Bourdieu ne pratique pas la sociologie "comme une science", il fait de la "bonne" sociologie. En cherchant activement un moyen d'invalider ou de prouver sa théorie. En gros les méthodologies scientifiques sont ou devraient être transdisciplinaires, ce devrait être l'approche normale.
Je ne vois pas où est la contradiction. Ce que je voulais dire : en simplifiant, une science, c’est un combo « une théorie logique + une expérience pour la valider ». Avec ce package, on fait de la science, qu’elle soit dure ou molle. Si on tire des conclusions sur la base de théories non validées, on fait de la pseudo-science, pas de la science molle. La science molle, ce n’est donc pas « la science qu’on ne peut pas démontrer », car les sciences molles sont soumises à la même démarche scientifique que les sciences dures. C’est la différence entre la psychologie pratiquée par des gens sérieux et la psychologie de comptoir pratiquée par KevinBGdu92 sur toubibissimo.com.
Kurai a écrit :aucune science (y compris les maths) n'est réellement exacte et qu'aucune n'a un pouvoir plus "prédictif" que les autre
Je suis un peu étonné, parce que justement pour moi ce pouvoir prédictif est extrêmement variable d’une science à une autre. La physique est globalement très bonne en prédiction. Les sondages avant les élections le sont moins.
En revanche, je suis d’accord que même les maths ne sont « exacts » que par convention. A ce sujet, je recommande la lecture de
L’axiomatique, de Robert Blanché. En gros, les maths consistent à enchaîner des démonstrations : Si A→B, et si B→C, alors A→C. Si A est vrai, C l’est aussi. Cool, mais ça ne prouve pas que A est vrai. Dans notre chaîne, il faut bien un point de départ, qui n’est pas le résultat d’une démonstration antérieure : un postulat.
De même, on définit des termes. Mais pour définir ces termes, on utilise des termes qu’on n’a pas défini. Là encore, il faut bien commencer avec quelque chose. C’est connu sous le nom de
paradoxe du dictionnaire.
Enfin, il y a aussi la granularité d’une démonstration : Qu’est ce qui nous permet d’accepter que A implique bien B ? C’est l’intuition : une convention, partagée collectivement, que ce petit saut sans intermédiaire de A à B est vrai.
Si on remet tout en cause, on réalise l’expérience du doute de Descartes : la seule conclusion qu’on peut tirer, c’est que chacun de nous peut se convaincre que lui, et lui seul, existe. On obtient bien un point de départ « A » solide, mais malheureusement, on ne peut rien en tirer. On n’a aucun « B » qu’on peut démontrer à partir de ce « A ».
Donc : OUI, même la science la plus dure / exacte de toutes repose sur des conventions.
Aller, une dernière expérience philosophique. On pourrait se dire « oui mais si on connaissait parfaitement la situation dans les plus infimes détails, on pourrait prévoir l’évolution ». En gros, cela revient à dire qu’en ayant une connaissance extrêmement fine du monde, on pourrait prévoir n’importe quel phénomène futur. Dans ce modèle là, le seul obstacle est notre capacité pratique à rassembler cette connaissance et à la modéliser.
En fait, il y a deux limites qui rendent cela impossible :
- d’une part, quand on veut une finesse extrême, il faut « tout » connaître, car même les plus infimes interactions deviennent importantes. Il faut connaître l’état de toute la matière de l’univers. Or pour stocker cette connaissance, il faut au moins autant de matière qu’il y en a dans l’univers. Mais cette matière est déjà entièrement prise pour le phénomène à observer. Damned.
- par ailleurs, il faut tout connaître avec une précision extrême. En allant dans l’infiniment petit, on se retrouve confronté au fameux principe d’incertitude d’Heisenberg. Salaud d’Heisenberg.
Vouloir tout connaître est tout aussi impossible que dépasser la célérité de la lumière dans le vide. Certes, on n’est pas capable techniquement de le faire. Mais au-delà de ça, il y a une impossibilité théorique à le faire. L’évolution des connaissances, de la recherche, des techniques, ne permettra pas de contourner cela. Ça tombe bien, parce que sans ça, l’être humain n’aurait aucun libre arbitre.