C'est un chouette topic, et c'est bien qu'il soit ouvert à tou.te.s, ça permet une vue d'ensemble intéressante. Dernièrement j'avais envie de créer un topic "Vos bizarreries autistiques", plus large donc en terme de sujet que les intérêts spé, mais moins vaste quant à son public (vu que l'autisme est présent dans le nom).
Dans le cadre de l'autisme, cette vidéo d'Alistair sur le sujet était bien faite :
Mieux comprendre l'autisme : les intérêts spécifiques. Il en parle de façon très large : tant sur la durée que sur l'expertise que ces intérêts entraînent.
[mention]Judith[/mention] Je suis surprise de ce que tu dis sur Disney : j'ai l'impression que désormais beaucoup d'adultes assument d'être fans, comme de My Little Poney d'ailleurs. Après, peut-être que c'est plus accepté pour les jeunes adultes, et/ou que ça reste anecdotique... L'opposition de tes deux exemples est intéressante aussi : peut-être que c'est une manière d'équilibrer les choses ? Cela dit je ne sais pas s'ils étaient présents chez toi à la même époque de ta vie. J'ai remarqué aussi que du fait d'un intérêt spé. parfois dur émotionnellement, j'ai l'impression de passer le reste de mon temps dans des visionnages "mièvres" (ne pas y voir de jugement de valeur, ces visionnages me font beaucoup de bien). J'aime beaucoup les contenus culturels tous doux et apaisés, comme MLP, à une époque les dramas coréens et les comédies romantiques, les mangas mignons et colorés et la consommation excessive de vidéos de chats ou d'animaux choux. C'est peut-être nécessaire qui sait.
Pour moi, évoquer les intérêts spécifiques sans évoquer certains comportements autour est difficile. Par exemple, découvrir récemment le mot "
compulsion" m'a fait beaucoup de bien. Voir aussi ici :
compulsions, dans l'article Wikipédia sur la sémiologie psychiatrique.
Force intérieure par laquelle le sujet est amené à accomplir certains actes et à laquelle il ne peut résister sans angoisse (cette résistance faisant la différence avec l'impulsion).
Il me semble que beaucoup de comportements dans les stéréotypies au sens large présentent cet aspect à la fois rassurant et forcé. La seule chose que je regrette à propos de ce vocable, c'est sa connotation assez négative et pathologisante.
Pour les réponses aux questions :
1) Acceptez-vous tous vos centres d’intérêt, ou bien parfois luttez-vous contre eux pour une raison ou pour une autre ?
Pendant très longtemps je n'étais même pas consciente de l'aspect excessif de ces intérêts, donc je ne ressentais pas le besoin de lutter contre. Surtout qu'enfant, j'étais probablement moins soumise au stress (demande sociale moins exigeante envers moi), du coup, ils étaient moins dévorants car moins alimentés par le stress. Toute petite j'adorais observer la nature, capturer les insectes ou les crustacés pour les observer puis les libérer. Puis j'ai découvert la lecture et ça a déjà été plus compulsif : je passais mon temps à ça, exit la nature. Ça a pu agacer mes parents de temps à autre, car j'étais toujours cloîtrée dans ma chambre.
Le moment où j'ai vraiment commencé à prendre conscience de ces intérêts obsessionnels, c'est à l'université, donc quand le stress a augmenté du fait d'une demande sociale plus forte. J'ai découvert le jeu de go à un moment où j'étais à bout nerveusement (et comme je ne comprenais pas l'origine de ce stress, je ne parlais des troubles occasionnés à personne, ce qui était d'autant plus dur, demander de l'aide me semblait impossible). J'avais urgemment besoin de quelque chose pour focaliser mon esprit, pour ignorer tout le reste : découvrir le go a été un soulagement incroyable. C'est un jeu de stratégie extrêmement demandeur en attention et en ressources mentales. Pendant 3 ans mon univers s'est résumé au go : un monde réduit à un goban (plateau) de 19x19 intersections et deux camps opposés noirs et blancs était bien plus intelligible et reposant. Je mangeais go, je dormais go, je jouais go, je parlais go.
Je me rendais vaguement compte que ce n'était pas normal, mais j'en avais tellement besoin à l'époque que j'ai écarté la question. Je n'ai commencé à me questionner qu'en plein milieu du suivant, l'intérêt pour le féminisme, qui a duré environ 3 ans aussi (ces intérêts ne disparaissent pas vraiment, ils restent présents mais plus discrets, en fond, je garde une tendresse particulière pour ces sujets). Là par contre j'ai dû commencer à mettre des limites, car c'était un intérêt qui impliquait de débattre régulièrement et ça pouvait être violent (du fait de mon manque de connaissance dans les relations sociales et la communication notamment), c'était violent aussi car ça implique de regarder parfois des thématiques connexes assez dures, comme la criminalité, le viol, la pornographie, la prostitution, la pédophilie... J'ai géré comme j'ai pu (pas toujours brillamment), et j'ai dû tout lâché lors d'une dépression. Ça devenait toxique pour moi.
Donc j'ai toujours du mal à lutter contre eux et à ne pas être submergée. Notamment parce que la découverte de ce qu'ils sont est très récente.
2) Les laissez-vous voir à votre entourage ou les cachez-vous ?
Héhé, impossible de ne pas les laisser voir ^^ Pis pour moi c'est un des aspects les plus chouettes de l'autisme. J'étais incapable d'avoir des liens sociaux sans passer par ces sujets (discussions en ligne autour du go / inscription à un club). Ça crée occasionnellement des frictions avec mes proches, qui jusqu'à il y a peu ne comprenaient pas pourquoi je tournais en boucle sur certains sujets. C'était vu comme anormal (pas tout à fait faux) et iels m'incitaient à arrêter. Mais mes intérêts spécifiques m'enfermaient autant qu'ils m'ouvraient : pas de vie sociale sans eux.
Après, je peux me permettre d'être obnubilée justement parce que j'ai peu voir pas de vie sociale. C'est toujours à double tranchant.
3) Comment les gérez-vous en terme de temps : y accordez-vous du temps chaque jour selon vos possibilités, faites-vous des emplois du temps pour les limiter ?
En principe oui, je les limitais et les cloisonnais dans un emploi du temps rigide, mais comme actuellement je suis plus ou moins en convalescence après la dépression, et donc relativement libre, ils m'ont de nouveau submergée. Je dois prendre des décisions importantes en ce moment et c'est difficile de récupérer assez de cerveau pour ce faire. Une chose qui explique aussi que ce soit si difficile de leur résister c'est que ma vie sans eux est terriblement morne. Le seul truc que je trouve pour expliquer ça est la
personnalité schizoïde : j'éprouve généralement peu de plaisir à faire quoi que ce soit. Sans intérêts spécifiques, ma vie devient routinière et quasi robotique : je me lève, je fais les tâches ménagères, les courses, je parle avec mon copain (les moments les plus chouettes et aléatoires de la journée), je lis des livres ou regarde des vidéos pour m'occuper par compulsion, en les choisissant plus selon leur position dans l'étagère ou leur classement dans l'ordinateur que par intérêt véritable pour leur contenu, je me couche. Ça peut vite devenir déprimant. Difficile donc de ne pas sauter sur l'occasion quand un intérêt spécifique pointe le bout de son nez. À l'inverse, le moment où un intérêt spécifique disparaît est terrifiant : c'est comme du sable qui vous coule entre les doigts, ça ne marche plus, c'est tout, même en me forçant je n'ai plus la passion.
Je ne prétends ni à l’exhaustivité, ni à une parfaite objectivité, deux qualités qui dans mon métier relèvent de l’illusion et du vœu pieux. — (Michel de Pracontal, L’imposture scientifique en dix leçons, Seuil, 2005, page 17)