J'ai le sentiment que tu mélanges (amalgames ?

) différents niveaux de réflexion :
- Cas classique : il ne faut pas stigmatiser les agriculteurs, on parle actuellement d'agri-bashing (le "bashing" est un mot très utilisé en ce moment parce qu'en France on considère que notre langue n'est pas assez riche pour exprimer des sentiments ou que au contraire elle exprime tellement bien les sentiments que cela nous empêcherait d'être hypocrite alors qu'avec un terme anglais on peut toujours feindre de ne pas le maîtriser entièrement et ainsi se ménager une porte de sortie...fin de la parenthèse) / Il ne faut pas stigmatiser les chasseurs, chasseur-bashing, et même il ne faut pas stigmatiser les Alain, Alain-bashing.
D'une part parce qu'un individu ne se résume pas à une détermination sociale, psychologique et souvent extérieure et que cette détermination n'a pas toujours été négative et qu'elle n'est pas nécessairement devenue telle dans toutes les circonstances. Un agriculteur peut être bio, il peut avoir été enfermé dans un système productiviste à outrance 30 ans plus tôt quand ce système était célébré et se retrouver avec un outil disproportionné et des charges qui étouffent sa capacité à se réinventer. Et bien-sûr ce peut-être un gros pollueur sans âme autre que son compte en banque. Même chose des chasseurs, il en existe dans passionnés de nature qui se contentent d'aller promener le chien le dimanche en tirant un lièvre pour égayer l'ordinaire tout en respectant scrupuleusement les règles.
Je dis ça parce que les deux catégories sus-citées sont celles avec lesquelles j'ai le plus de problèmes, c'est dire que l'on peut défendre ceux que l'on aime détester.
- Aspect plus philosophique : expliquer n'est pas excuser, comprendre n'est pas pardonner, notre système juridique tend en principe à s'inspirer de ce genre de maximes et les conflits des deux blocs politiques en matière pénale se sont longtemps cristallisés sur ces oppositions (entre accusations et justement stigmatisation à coup de "dictateurs !" ou de "laxistes!"). Bref, mettre un nazillon en taule n'exonère pas de s'intéresser au processus d'embrigadement pour mieux l'anticiper : n'est-ce pas le cas actuellement pour les pratiques religieuses fondamentalistes. Mais parce que nous essayons d'être une nation qui respecte l'homme en tant qu'homme (abolition de la peine de mort) nous faisons (ou devrions) faire collectivement l'examen de conscience et l'analyse des conditions qui ont conduit un homme à devenir un danger ou ce que nous pouvons aussi appeler une ordure. Et c'est précisément ces réflexions qui permettent de nuancer les jugements. C'est toujours la question de la responsabilité qui nous hante depuis 1945 : une femme était-elle collabo du simple fait d'avoir été séduite par un soldat allemand ? Les malgré-nous étaient-ils des traîtres pour ne pas s'être soustraits à l'incorporation, n'aurait-ils pas dû prendre le risque de la résistance quitte à condamner leur famille ? Les artistes qui ont continué de jouer dans un théâtre manifestaient-ils ainsi leur soutient à l'idéologie de l'occupant ? Dans tous ces cas il y a ceux que l'histoire a jugé, puis déjugé puis rejugé, selon le regard de la société porté sur ces événements. Dans bien des cas il y avait des hommes et des femmes qui essayaient de survivre, certains faisant alors des choix condamnables et criminels, d'autres furent de vrais salauds et pro-nazis, cela me paraît tellement lourd et complexe. J'ai eu l'occasion récemment de parcourir un site très complet et documenté sur les artistes et les listes noires publiées à la libération, où l'on comprend que les vies et les choix de milliers d'humains ne se rangent pas sous une simple dénomination. Bref, tout cela est bien complexe.
- Je n'ai pour ma part jamais vu de discours visant à excuser ou atténuer la responsabilité d'un néo-nazi (sauf Trump avec Charlottesville, mais est-ce que ça compte vraiment vu le personnage ?) dans l'espace d'expression d'une démocratie (en France de tels propos sont d'ailleurs condamnés par la loi). Après je suppose qu'in fine tu pensais à la problématique bien plus brûlante de l'islam : là nous sommes dans le cas classique déjà exposé, d'une population hétérogène aux pratiques et approches variées de leur religion. La religion n'est pas un crime (l'absence de religion non plus) et les mouvements stigmatisation / contre la stigmatisation répondent je pense le plus souvent à des opportunismes politiques.
J'ajouterai aussi que certains propos tenus sont parfois/souvent plus le signe d'une frustration sociale que d'une réelle adhésion idéologique. Un gamin de 12 qui crie à la cantonade "Allah Akbar" va plutôt reproduire quelque chose qui traîne dans l'air, mimétisme, un gamin de 18 ans peut-être exprimera une forme de colère contre un monde qui le rejette, chaque fois les mots peuvent aussi dire autre chose que ce qu'ils désignent en première intention. C'est là que théoriquement et idéalement on aurait un travail éducatif à mener. Sachant bien sûr qu'à l'origine l'expression "Allah Akbar" possède un usage tout à fait inoffensif dans le cadre d'une pratique religieuse. Tout cela relève de la socio-linguistique (comme un gamin de 9 ans qui traite son copain de "pédé", qui pour croire que cet enfant manifeste son adhésion à un courant homophobe ?)
- Que dira-t-on de nous générations des années 1970-2000, gavés de surconsommation et défenseurs de l'idéologie de la croissance ? Comment vivrons-nous ce moment de basculement où les nouvelles générations nous traînerons dans la boue en disant "vous saviez vous n'avez rien fait", "honte à vous !" : c'est déjà en train d'arriver mais pour l'instant les critiques (celles portées par Greta qui à son tour est stigmatisée par des opposants conservateurs parce qu'autiste asperger, donc selon eux pas totalement équilibrée) s'adressent aux décideurs politiques, mais notre tour viendra.
J'ai volontairement brassé large et mon propos mériterait une relecture critique et plus cadrée, mais comme je n'arrive pas totalement à saisir le coeur de ton interrogation j'ai choisi de voir plusieurs dimensions. Et puis c'est le matin et au lieu de boire un vrai café je suis sur du lyophilisé (et les buveurs de lyophilisés je les aime pas trop, j'ai entendu dire qu'un serial killer en buvait et donc je pense que c'est un signe et on devrait dénoncer tous les buveurs de lyophilisé, n'ayons pas peur de dire tout haut ce que tous pensent tout bas, dénonçons ces monstres qui s'ignorent). Petite ironie finale
