Suite à l’émission écoutée ce matin sur France Inter, https://www.franceinter.fr/emissions/gr ... vrier-2017, j’ai eu envie de créer un sujet sur la gratitude.
Et pour lancer le sujet, j’ai fait un résumé de ce que j’ai pu entendre au cours de l’émission. De nombreux points très intéressants ont été abordés. J’ai essayé de les retranscrire au plus près (tout n'est pas forcément dans l'ordre de l'émission, j'ai rassemblé des points qui me semblaient aller ensemble). Il y avait trois invités : Rebecca Shankland, Christophe André et Jean-François Marmion.
Qu’est ce que la gratitude ?
Selon Rebecca Skanland, la gratitude, c’est un mélange de joie, surprise, voire d’émerveillement que l’on éprouve lorsqu’on perçoit qu’une personne a fait des efforts pour nous, nous a soutenus ou alors simplement lorsque l’on s’émerveille de ce qu’on observe autour de nous, de la chance qu’on peut avoir grâce à ce que la vie nous apporte. Et donc c’est une émotion qu’on a rapidement envie de partager, quelque chose qui émeut à la fois à l’intérieur mais aussi qu’on a envie de transmettre et qui donne lieu à l’expression de gratitude et qui va avoir effectivement des effets sur les personnes autour.
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La gratitude, un sentiment bébête digne du pays des bisounours ?« Soyons reconnaissants aux personnes qui nous donnent du bonheur; elles sont les charmants jardiniers par qui nos âmes sont fleuries. » Marcel Proust
Selon Christophe André, pour différentes raisons, notre pays, la France préfère la posture ricanante, grinçante, cynique à la posture généreuse, ouverte, bienveillante et reconnaissante.
Plus techniquement, ça correspond à une façon de promouvoir la santé. Pendant très longtemps, on a privilégié que ce soit en médecine ou en psychologie, le traitement (on attendait que les gens soient malades pour s’occuper d’eux) au lieu de la prévention. En ce moment ça change. En médecine, on promeut une médecine du style de vie (faire de l’exercice, faire de la méditation, etc) et en psychologie, on s’intéresse à ce courant qu’est la psychologie positive (en prévention des souffrances).
"La gratitude est non seulement la plus grande des vertus, mais c’est également la mère de tous les autres." Emil Cioran
Exprimer/recevoir de la gratitude :
Selon Rebecca Shankland, exprimer de la gratitude, ce n’est pas simplement dire merci ou merci pour tout, mais c’est dire ce que ça m’a apporté, ce que ça m’a permis de faire, et c’est ça qui va vraiment augmenter ce sentiment de bonheur à la fois pour soit et pour autrui, puisqu’on lui permet de vivre ce sentiment d’utilité sociale (qu’est ce que j’ai pu apporter à l’autre et en quoi je suis utile socialement).
Certaines personnes sont gênées par l’expression de la gratitude : elles ont peur de se sentir manipulées ou redevables, si elles expriment la gratitude.
Toutes les personnes n’arrivent pas à l’exprimer. Ex : les personnes très centrées sur elle-même, narcissiques, qui ne perçoivent même pas les efforts faits pas les autres, puisque ça implique une forme d’empathie de voir l’effort fourni par autrui. Et puis elles ont l’impression que les choses leur sont dues.
L’expression de la gratitude peut permettre la réconciliation (ex : lettre de gratitude)
Selon Jean-François Marmion, la gratitude est quelque chose d’habité, quelque chose qui émerge. C’est quelque chose de très spontané.
Mais selon Christophe André, il faut moduler un peu ce coté spontané. C’est important d’apprendre à ressentir, cultiver et exprimer la gratitude et de l’apprendre à nos enfants. Donc il y a quand même une forme d’apprentissage. C’est important d’apprendre à la cultiver (ça n’est pas forcément naturel quand on n’a pas appris à la cultiver)
Pour Christophe André, c’est difficile de recevoir une émotion forte de gratitude.
Recevoir simplement un remerciement nous est difficile. Des personnes quand on les remercie disent "c’est rien, c’était normal". On pourrait dire « Avec plaisir « au lieu de « ce n’est rien ».
La gratitude en milieu hospitalier
Rebecca Shankland développe l’exemple de patients qui deviennent parfois tyranniques. Un travail sur la gratitude pour aider les patients à avoir ce sentiment d’ouverture par rapport à ce qu’ils reçoivent de la part des soignants, des proches et ça les aide beaucoup à mieux vivre ce moment d’hospitalisation qui peut être difficile.
L’ingratitude/le manque de gratitude
Parmi les grandes déceptions de la vie, il y a l’ingratitude (ex : parents qui se plaignent de l’ingratitude de leurs enfants).
(proverbe espagnol "Elève des corbeaux, et ils te crèveront les yeux")
Pour Rebecca Shankland, c’est vécu par les parents, mais aussi par les enseignants qui ont l’impression que les élèves sont clients, qui ne se rendent pas compte des tous les efforts fournis, donc c’est très douloureux (ça peut être une cause de burn out à la fois des parents, ou des enseignants).
L’idée, c’est de pouvoir intervenir auprès des enfants, pour se demander comment on pourrait développer un peu plus la gratitude, à ne pas confondre avec la politesse. On a tendance en tant que parent à dire « dis merci à ». En faite, en faisant ça on n’est pas en train de cultiver la gratitude. On est en train d’apprendre la politesse, qui est aussi très utile, mais qui ne génère pas les mêmes effets sur la santé et sur le lien social.
Propos d’une auditrice : concernant la gratitude entre parents et enfants, le meilleur moyen de l’enseigner est de leur montrer (en leur disant la chance que l’on a de les avoir à notre coté, en les remerciant…)
Selon Christophe André, la frontière entre politesse et gratitude n’est pas toujours si claire. La gratitude peut aussi être déjà une politesse « habitée ».
Rebecca Shankland rajoute que l’ingratitude est au centre de bien des frustrations. En entreprise, par exemple, de nombreux salariés éprouvent un manque de reconnaissance, de gratitude.
C’est un grand problème, car en entreprise chaque fois qu’on aborde ces questions, ça soulève des problématiques. Pour pouvoir exprimer plus de gratitude au travail, il y a un certain nombre de freins (la différence en terme de hiérarchie : si je remercie un subordonné, peut être qu’en retour, il va attendre une augmentation, ou une promotion). Ca complique les interactions au niveau de la gratitude.
Du coup, certaines entreprises ont cherché quelques moyens (ex : un mur de gratitude, où on peut mettre un post-it qui peut être anonyme ou pas)
La gratitude est un geste intentionnel et désintéressé. Ce qui la caractérise, c’est sa gratuité.
Dans les entreprises, ça peut être mal interprété. Si quelqu’un nous dit merci, c’est qu’il essaye de nous manipuler. (ou faillotage). Et il y a donc un travail à faire sur le tabou de la gratitude en entreprise (ou le tabou des émotions d’ailleurs).
Pour Christophe André, le manque de gratitude se traduit par des tensions dans le corps, des pensées basées sur la frustration et sur l’hostilité.
Les conditions d’une gratitude authentique
-l’humilité (propension à être faiblement autocentré) est le berceau de la gratitude, car la gratitude implique cette notion d’interdépendance (sans l’autre la vie est beaucoup plus difficile). Si on accepte cette notion d’interdépendance, on a plus facilement accès à la gratitude. Au cœur de la gratitude, il y a l’interdépendance et la reconnaissance de notre vulnérabilité. Selon Christophe André, l’époque actuelle valorise beaucoup trop l’autonomie, la performance individuelle, l'estime de soi égoïste. La gratitude nous rappelle une chose : derrière chacun de nos succès ou de nos bonheurs, il y a une dette envers quelqu’un. Rien de ce qui ne nous arrive de bon dans la vie, ne nous est du qu’à nous. Il y a toujours quelqu’un, à un moment de notre vie qui nous a appris, nous a donné, nous a aimé, nous a encouragé.
-l'empathie (dans ce que l’autre ressent et dans les efforts qu’il a pu faire pour nous)
Ne pas oublier la gratitude envers soi-même également. (Jean-François Marmion)
L’ouverture attentionnelle
Pour Rebecca Shankland, naturellement, notre cerveau à tendance à capter dans la réalité, tout ce qui est angoissant, menaçant, pour pouvoir mieux s’adapter. Si on ne perçoit plus que cet aspect de la réalité, la vie devient très angoissante et beaucoup moins satisfaisante. D’où l’intérêt d’élargir l’attention aux autres dimensions de la réalité (qu’aux seuls aspects désagréables) pour rééquilibrer cette sensation que le monde n’est que menaces.
Christophe André ajoute que c’est toute la différence entre la vie et la survie. La vraie vie (l’existence humaine) est aussi basée sur l’ouverture à ce qui est beau et bon.
Les bienfaits de la gratitude (au niveau individuel et social)
Selon Rebecca Shankland, la gratitude réduit les effets de stress chronique, améliore le fonctionnement immunitaire.
La gratitude développe un cercle vertueux d’un point de vue social (en ressentant de la gratitude, j’apporte plus de soutien à l’autre qui à son tour ressent la gratitude). La gratitude donne de la fluidité dans les liens sociaux.
Comment développer la gratitude ?
Rebecca Shankland donne l’exemple du journal de gratitude (noter 5 choses observées du quotidien pour lequel on éprouve de la gratitude/ se laisser surprendre par des dimensions auxquelles on n’a pas prêté attention d’autres jours).
Mais ça peut ne pas convenir à tous. On peut trouver d’autres pratiques de gratitude.
La gratitude est-elle réservée aux personnes qui ne sont pas dans le besoin ?
Selon Rebecca Shankland, qui a travaillé dans l’humanitaire, c’est même plutôt le contraire.
Les personnes qui sont dans des besoins matériels sont des modèles de gratitude (face à l’aide qu’ils reçoivent). Ils éprouvent beaucoup de gratitude par rapport à la vie et ce qu’ils reçoivent.
« Qu’est ce c’est que la gratitude ? La gratitude fait penser à la grâce, à un moment où on arrête la persécution. On arrête de vivre dans un monde sans pitié. On vit dans la réalité et on a un moment de reconnaissance à l’égard de la réalité. Donc on dépasse la colère. C’est dans la gratitude que l’être humain est capable de dépasser la vengence à l’égard de l’existence. Nietsche disait que tous les êtres désirent se venger à l’égard de l’existence. Et je pense qu’on sort de cette vengeance, cette humiliation, de cette colère qu’il y a dans le cœur de l’homme contre l’existence en ayant une forme de gratitude. » (propos de Bertrand Vergely)