Je n’aime pas voyager.

Et non, j’ai mis un smiley pour rigoler mais en vrai, même pas honte, ou alors pas sur ce forum. Le truc, c’est que je ne vois pas à quoi ça sert. Attention, je différencie le fait de se déplacer pour aller voir familles et amis, là ce n’est pas tant du voyage qu’une visite, je vois l’intérêt et j’apprécie. Je différencie aussi le nomadisme voire le backpacking, un mode de vie, pas pour moi mais j’admire. Mais le voyage pour voyager, les vacances des sédentaires… Ça m’échappe totalement.
Quand je pense à la somme de désagréments (valises, équipement, transports, cohues, embouteillages, heures de taf’ pour se payer les billets et la location, pollution, arnaqueurs, etc.), pour moi ça ne vaut jamais le coup. Et puis la découverte et tout ça, mon œil. J’appréhenderai mille fois mieux les mystères de l’Île de Pâques ou le tableau de la Joconde à travers un bon livre qu’en allant jouer des coudes sur place. Les trucs exotiques genre désert, plage paradisiaque ou jungle profonde, je trouve qu’ils se portent beaucoup mieux sans touristes plantés au milieu.
En quoi une personne a-t-elle amélioré sa vie après avoir mis un pied sur le sphinx, dans le sable de Sahara ou dans un temple khmère ? Et est-ce que la construction de ce souvenir égoïste et fragile valait toute cette débauche d’énergie, cette pollution ? Si une personne veut se connecter avec un passé, une culture, avec l’Histoire, n’y a-t-il pas de quoi faire en chaque endroit où se trouve des humains, sans avoir besoin d’aller voir à l’autre bout du monde ? C’est juste le coup de l’herbe qui est plus verte ailleurs ? Et si vraiment c’était une quête personnelle, n’y aurait-il pas une pudeur au lieu de cette exhibition autour des voyages ?
Et quand je pense à ce que ça coûte de devenir sédentaire… Tout ce travail pour trouver le bon endroit, la bonne maison, le temps investi pour retaper et en faire un coin où il fait bon vivre, avec une âme dans chaque pièce, dans le jardin, partout. Un individu réalise la plus grosse dépense de sa vie pour un logement, enrichissant des banquiers, s’étranglant pour bâtir un foyer, et il va le fuir à la première occasion : le plâtre n’est pas encore sec qu’on se précipite ailleurs, dans des hôtels sans âme, avec des conditions de voyage façon bétaillère — ne me lancez pas sur l’avion, les aéroports, tout ça —, conditions finalement très appropriées pour un phénomène qui fait penser à la transhumance.
Le fond du problème est que l’on part en vacances parce que, sinon, « on est un raté ». Voyager a longtemps été réservé à une élite, mais maintenant tout un chacun peut aller se faire promener à l’autre bout du monde. Selon moi, on voyage aujourd’hui pour se conformer à un modèle social, modèle que j’imagine construit de toute pièce par des entrepreneurs ayant des intérêts dans le tourisme. Il a suffi d’accoler au voyage des mots comme « évasion » et « liberté ». Tu voyages pas ? Bouh ! T’es un esclave. À chaque fois que je croise une personne qui affirme qu’elle « adore les voyages, qu’elle a toujours son passeport sur elle et voyage dès qu’elle le peut » (vive les lieux communs), tout ce que je vois c’est une victime.
Et je me demande combien de personnes osent avouer, au fond d’elles-mêmes ou en public, qu’en vrai, elles n’aiment pas voyager.
