Que lisez-vous en ce moment ?

[Invité]

Avant d’ouvrir ce soir « Dévotion » de Patti Smith qu’un ami m’a prêté, je viens de finir un tout petit livre:
« L’analphabète » d’Agota Kristof. Ce livre, terminé il y a deux jours, a fait son chemin en moi. J’aime quand les livres me font cet effet. J’y repense, quelque chose s’est ouvert, a posé question, m’a fait envisager un angle inédit de pensée... c’est un récit autobiographique, et ce qui m’a touché et posé question au dedans de moi, c’est la question de ce rapport à la langue dont Agota parle, qu’elle définit.

Elle se définit « Analphabète » car le français (langue « ennemie » qu’elle a dû acquérir, apprendre et maîtriser pour écrire, suite à son exil de Hongrie) ce français qu’elle doit apprendre à parler la rend maladroite, incapable dans un premier temps de parler d’elle. De plus, l’apprentissage de cette langue semble lui donner l’impression qu’elle « efface » sa langue maternelle, le hongrois, langue dans laquelle elle écrivait des poèmes avant de devenir bien plus tard un grand auteur... en français !

Ainsi, cet extrait : « Cinq ans après être arrivée en Suisse, je parle le français, mais je ne le lis pas. Je suis redevenue une analphabète. Moi qui savais lire à l’âge de quatre ans. Je connais les mots. Quand je les lis, je ne les reconnais pas. Les lettres ne correspondent à rien. Le hongrois est une langue phonétique, le français c’est tout le contraire. »

J’ai été très amusée par cette dernière phrase, car personnellement j’ai toujours été perplexe pour lire et prononcer le nom du psychologue qui a écrit plusieurs livres que j’ai beaucoup aimé (sur la créativité notamment) Mihály Csíkszentmihályi. Le côté phonétique ne m’avait pas sauté aux yeux...

[cherubim]

Il y a deux livres que j'ai lus récemment et qui, d'après moi, valent la peine. Ils sont dans des genres tout à fait différents.

Tout d'abord La Fin des Idoles de Nicolas Gaudemet, aux éditions Tohu Bohu. Dans ce roman mi-essai mi-science fiction, Paloma, une bimbo superficielle , est choisie pour être l'héroïne d'une nouvelle émission de télé réalité où l'équipe de l'émission essaiera de la guérir en direct de son obsession pour la célébrité, grâce aux méthodes de Lyne Paradis, une neuro-scientifique sans scrupules. Le célèbre psychanalyste Gerhard Lebenstrie essaiera lui aussi d'avoir son mot à dire. Sur un ton humoristique et parfois faussement naïf, l'auteur nous invite à réfléchir sur la vacuité de la société actuelle, boulimique de célébrité, de marques et de paraître.
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Ensuite Au coeur des émotions de l'enfant d'Isabelle Filliozat, qui décortique très bien, à mon sens, ce qui est en jeu dans l'expression des émotions de l'enfant, et dans notre acceptation ou non de celles-ci en tant que parents et adultes. Elle remet en cause un certain nombre de réflexes éducatifs que nous avons, et qui nous viennent souvent de nos propres parents, mais qui empêchent l'enfant de vivre ses émotions, ce qui aura un impact sur son bien-être et sa santé psychologique à l'âge adulte.
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[cherubim]

Tant que j'y suis, j'en profite pour vous recommander vivement les oeuvres de Marie-Hélène Lafon aux éditions Buchet-Chastel.
Outre ses qualités d'écrivain, ce qui rend Marie-Hélène Lafon chère à mon coeur, c'est qu'elle est originaire d'un village du Cantal proche de celui de ma famille, et qu'elle décrit très bien ce monde et ses particularités, tout en le rendant accessible au lecteur par son écriture au scalpel d'une grande modernité.
Mes oeuvres favorites sont les suivantes:
Joseph: la vie d'un ouvrier agricole dans une ferme d'éleveurs bovins, sa solitude et ses secrets.
Les derniers indiens: un frère et une sœur en huis clos dans une ferme également, et les histoires de famille qui menacent un équilibre précaire.

[PointBlanc]

Thomas Ligotti ; pratiquement inconnu en France, c'est pourtant un immense écrivain fantastique, de ceux dont la lecture est capable de vous empoisonner durablement, à la façon d'un très mauvais rêve. On sent très vite à le lire que ce n'est pas un monteur d'échafaudages ; il écrit simplement, à partir des obsessions qui sont les siennes, des nouvelles qui ne sont jamais qu'un prétexte à se répéter indéfiniment, à reformuler encore et encore cette intuition horrible que l'univers entier est uniment formé de la même pâte dégoûtante et que parfois nous nous en souvenons, en dépit des efforts désespérés que nous faisons pour l'oublier. Ses récits sont pleins de masques, de pantins, de mannequins, de banlieues pourrissantes, de choses vivantes et de choses mortes. C'est Lovecraft, à ceci près que cette fois ce n'est pas l'humanité qui se dilue dans autre chose, mais le principe même de la vie.

[madeleine]

Je termine lentement "L'année de la mort de Ricardo Reis" de José Saramago. Sa façon d'écrire me fascine totalement. Cette facilité à diluer l'irréel dans le réel, la prose dans la parole, la pluie diluvienne dans la nuit..
Chacun de ses livres me nourrit pour des années, avec une mention spéciale pour "L'évangile selon Jésus christ ".

[Quark]

En ce moment je passe d'un livre à l'autre entre:

- L'infini dans la paume de la main de Mathieu Ricard et Xuan Thuan Trinh
- Petit voyage dans le monde des quanta d'Étienne Klein
- Trous noirs et distortion du Temps de Kip Thorne
- Il n'y a ni mort ni peur de Thích Nhất Hạnh

[dani]

Je viens de dévorer l'ouvrage d'Emmanuelle Piquet "faites votre 180 : vous avez tout essayé. Et si vous tentiez l'inverse ?"

Bouquin de psycho qui présente une approche thérapeutique s'appuyant sur les principes et outils de l'école de Palo Alto, donc résolument systémique, avec une partie théorique et une autre de vignettes cliniques absolument délicieuses, parfois hilarantes, mais qui m'interpellent beaucoup : l'approche dé-pathologise et s'appuie sur une vision d'un être humain créatif, riche en ressources. Pour changer une situation qui fait souffrir, elle propose de cesser de faire ce qui ne fonctionne pas, malgré souvent le bon sens qui y est mis, pour faire un virage à 180 et tenter tout à fait autre chose. Et ça semble plutôt efficace (selon une collègue psy formée à l'approche qui utilise cela avec ses patients ... et son fils ado ;-) )

Résumé de son livre :

"Votre patron vous tétanise depuis des années, votre ado vous provoque pour la centième fois, vous vivez avec un jaloux pathologique à qui vous n'en pouvez plus d'expliquer que non, vous ne couchez pas avec le voisin du quatrième... Tous ces conflits, tensions, souffrances ont un point commun : ils se répètent, à l'identique, alors même que vous avez tout essayé pour y mettre fin. Mais avez-vous vraiment tout essayé ? Dans ce livre, Emmanuelle Piquet propose une méthode qui part d'un principe fondamental : c'est souvent ce que nous mettons en place pour résoudre un problème qui l'aggrave. La solution pour vous changer la vie existe : elle se situe à exactement 180°. Un virage subtil que l'auteur nous apprend à pratiquer à travers 18 situations de la vie courante."

Je viens de commander du même auteur "Comment ne pas être un prof idéal" ... je viendrai vous faire un retour !

[madeleine]

J'ai lu Défends - toi, de cette auteure, dans l'idée de découvrir une alternative aux mesures généralement préconisées contre le harcèlement scolaire ; je trouve son approche intéressante, mais peu aisée à mettre en pratique.

[dani]

J'ai lu Défends - toi, de cette auteure, dans l'idée de découvrir une alternative aux mesures généralement préconisées contre le harcèlement scolaire ; je trouve son approche intéressante, mais peu aisée à mettre en pratique.

Absolument, je pense qu'il faut un vrai soutien thérapeutique pour concrétiser ces nouvelles attitudes, surtout dans des situations chroniques et complexes, seul c'est compliqué. Mais ça permet déjà d'imaginer d'autres issues, et ça c'est précieux.

[Invité]

Hors-sujet

[mention]dani[/mention] reçu ce jour «  faites votre 180 » ça m’a donné envie.

[soazic]

Dans la même lignée -mais celui d E. Piquet me fait de l'œil grâce à vous-, je lis en ce moment "Le Harcèlement Moral" de MF Hirigoyen ...non sans douleur, mais vient de finir un bijou de Sylvain Tesson "Petit Traité sur l'immensité du monde" qui me réconcilie un peu avec la part masculine du monde.

[Mikirabelle]

Sylvain Tesson "Petit Traité sur l'immensité du monde" qui me réconcilie un peu avec la part masculine du monde.

Tu attises ma curiosité... ça me ferait peut-être pas de mal de le lire.

[dani]

Hors-sujet

Mais que c'est bon de vous lire, cette complicité partagée et vos idées de lecture, c'est doux au coeur et inspirant, merci

[Swinn]

Hors-sujet

Tu attises ma curiosité... ça me ferait peut-être pas de mal de le lire.

Tu peux tout lire de Sylvain Tesson, c'est toujours remarquable !

[Mikirabelle]

Hors-sujet

Hors-sujet

Tu attises ma curiosité... ça me ferait peut-être pas de mal de le lire.

Tu peux tout lire de Sylvain Tesson, c'est toujours remarquable !

J’ai lu celui qui se passe autour du lac Baïkal, qui m’avait bien plu.
Je m’interrogeais sur ce que disait [mention]soazic[/mention] : « me réconcilie un peu avec la part masculine du monde. » Disons que j’ai une légère tendance à la misandrie (le mot n’est pas tout à fait exact, mais je n’en ai pas trouvé d’autre. Ça fera sans doute l’objet d’un post quelque part sur l’un des topics hommes/femmes), c’est pour cela que je disais que ça ne me ferait peut-être pas de mal de le lire. Mais j’interprète peut-être mal les propos de Soazic.

[soazic]

Il parle d'une manière très respectueuse des femmes.

[Mikirabelle]

Il parle d'une manière très respectueuse des femmes.

C'est toujours bon à prendre

Pour ma part (histoire de participer au fil), je n'arrive pas à me concentrer sur une lecture "soutenue" en ce moment.
Mon livre de chevet (enfin, celui sur le haut d'une des 2 piles de la table de chevet) est donc un "documentaire" : Sur les traces des Expositions universelles : Paris 1855-1937.
Je dois dire que je reste toujours autant ébahie devant ce qu'ils ont réussi à faire... d'ailleurs quand je vois les illustrations ou photos de l'époque je me dis souvent "Nan, mais ça c'était juste un projet, hein ? Ils ne l'ont quand même pas pas réalisé ? ...Si ?!!"

[Chardonnerette]

Je lis Les Misérables, et je comprends pourquoi c'est un chef d'œuvre. Quelle langue !
Un régal. Dommage qu'on bassine les jeunes avec les classiques, il fait les lire plus tard pour les savourer. Je suppose que j'ai croisé des extraits dans ma scolarité mais aucun souvenir.
Par contre faut aimer les gros pavés, et pour les fans d'histoire c'est encore mieux (pas mon cas, j'avoue que j'ai osé sauter quelques scènes d'émeutes du début du 19eme, trop longues pour moi).

[Fu]

Je suis bien d’accord, [mention]Chardonnerette[/mention], j’ai détesté Balzac imposé par l’école et adoré le (re)découvrir par moi-même. Pareil pour Stendhal et d’autres. Je n’ai pas encore lu Les Misérables mais Notre-Dame de Paris oui, et que c’est bon !

[soazic]

ça dépend il y a peut être des âges où on est plus sensible à certains auteurs, styles, etc. Ce sont des résonances personnelles. Adolescente je me suis délectée de Dostoievski et Proust, pas sûre d'en avoir envie aujourd'hui...

[Chardonnerette]

J'ai acheté les classiques après avoir fait le tour des listes "Les 50 (ou 20 ou 100) livres à avoir lu dans sa vie" sur le net. Approche de la cinquantaine .
Effectivement j'ai trouvé Stendhal que j'ai adoré, Tolstoï, Camus (qui m'avait déjà plu à l'adolescence, mais son écriture est plus moderne, plus directe) ... Et un petit livre à côté duquel j'étais passée : "Pourquoi j'ai mangé mon père" de Roy Lewis. Très drôle !

[Mikirabelle]

J'ai acheté les classiques après avoir fait le tour des listes "Les 50 (ou 20 ou 100) livres à avoir lu dans sa vie" sur le net.

Ah oui, mon mari aussi avait commencé à faire ça il y a 2-3 ans.
Côté "classiques", ça fait 2 fois que je reprends ma lecture des Frères Karamazov de Dostoïevski, mais j'ai du mal à me concentrer. Pourtant l'écriture est plutôt plaisante.

[soazic]

Et un petit livre à côté duquel j'étais passée : "Pourquoi j'ai mangé mon père" de Roy Lewis. Très drôle !

J'ai le bon souvenir de l'avoir lu et offert

[Calvinethobbes]

"Vers la beauté" de David Foenkinos, j'aime beaucoup son écriture élégante. Le sujet n'est pas léger, mais c'est vraiment bien écrit.
Le tome 4 de Fortune de France: " Le prince que voilà" de Robert Merle. Je ne sais pas si je lirai toute la saga (13 volumes)...mais j'apprécie le côté historique, fort bien documenté.
"Among the bohemians" de Virginia Nicholson, sur la vie de bohème à Londres entre 1900 et 1939.
"Brèves réponses aux grandes questions" de Stephen Hawking
"Mais qui a attrapé le bison de Higgs" de David Louapre
et...je crois que c'est tout pour les encours...
Les deux derniers sont de la vulgarisation scientifique très accessible, c'est parfait pour une néophyte comme moi. Je pense qu'ils sont aussi accessibles pour des ados (voir plus jeune pour celui de Louapre).

[dani]

Je déguste là le livre à la fois très facile d'accès et très bien écrit, de Fabrice Midal : Sauvez votre peau !

Avec une délicieuse intelligence, il rétablit la vraie définition du narcissisme, et comme je suis une flemmarde (être narcissique c'est se connaître et s'apprécier tel que l'on est, avec nos qualités et nos défauts... là ce matin j'ai la flemmingite aigüe !) je vous livre une interview pour découvrir non seulement le contenu du livre, mais aussi son auteur, particulièrement sympathique, sain et génial
(j'avais déjà adoré son premier livre : foutez vous la paix .. il reste fidèle à sa ligne)

Sur le site de Fabrice Midal, cet entretien à propos de son livre https://www.fabricemidal.com/meditation ... rcissique/
et copié-collé ici :

► Afficher le texte

— Djenane Kareh : Fabrice, nous évoluons dans un monde archi-narcissique et vous osez nous conseiller d’être encore plus narcissiques ?
— Fabrice Midal : Mais nous ne sommes pas dans un monde narcissique ! Voilà une idée reçue qui mérite d’être examinée. Qu’est-ce que le narcissisme ? J’ai relu le mythe de Narcisse. Ce jeune homme n’était pas amoureux de lui-même, il n’était pas fermé sur lui-même, il a entamé un chemin pour apprendre à se connaître, à se rencontrer, à savoir qui il est.
Qui, aujourd’hui, sait qui il est, a confiance dans ce qu’il ressent, ose dire ce qu’il pense ? Nous nous disons narcissiques et nous en donnons pour preuve la vague de selfies qui envahit la toile. On cite, comme exemples de narcissisme, les Kim Kardashian, les Paris Hilton, des femmes qui s’aiment si peu, qui se font si peu confiance qu’elles n’osent pas se montrer : elles retouchent leurs photos, gomment les aspérités, se fabriquent un idéal auquel elles tentent désespérément de correspondre parce qu’elles ne se sont jamais rencontrées. Elles ne font pas confiance à ce qu’elles sont, parce qu’elles ne savent pas ce qu’elles sont. Leurs selfies viennent combler un sentiment de manque : c’est exactement le contraire du narcissisme. Et ce n’est pas la meilleure manière de se rencontrer…

— Quelle est la différence entre s’aimer et se rencontrer ?

— Fabrice Midal : Faisons attention ici. S’aimer est une injonction souvent angoissante et culpabilisante, que l’on entend partout et qui nous égare. Je ne peux pas inviter quelqu’un à s’aimer ! S’aimer est la conséquence d’une rencontre. Je dois d’abord me connaître, m’écouter, faire la paix avec moi-même, et c’est seulement dans un deuxième temps que je me découvre aimable. En d’autres termes, plus vous vous dites, il faut que je m’aime, moins vous avez de chances d’y arriver !

— En me regardant, je verrai tous ces défauts que j’essaye de me cacher. Je vais me découvrir égoïste, paresseux : je ne veux pas me rencontrer !

— Fabrice Midal : Malheureusement, plus on fuit cette rencontre, moins on est en contact avec nos propres ressources et même notre propre génie. Pendant des années, j’ai tout fait pour essayer de me cacher mon hypersensibilité. Et j’en souffrais. Jusqu’au jour où j’ai décidé de la reconnaître : d’accord, je ne suis pas à l’aise quand il y a trop de monde et j’ai souvent besoin de silence. Maintenant que je le sais, que j’ai mis un mot sur cet état, je peux le relier à lui. De la même manière, une personne jalouse qui ne veut pas l’admettre n’aura aucun moyen de se transformer, de changer… ou de mieux vivre avec sa jalousie.

— Vous parlez aussi de rencontrer le génie en soi. Mais moi, je n’ai aucun génie !

— Fabrice Midal : Baudelaire disait : « Le génie de chacun, c’est sa sensibilité. » Le génie n’est pas une chose réservée à quelques-uns. Il est la capacité singulière de chacun à sentir, à ressentir en dehors des modèles tous faits, extérieurs à nous, que nous nous sentons obligés d’endosser. Être génial ne signifie pas être parfait, mais unique. Ne pas être narcissique, c’est étouffer notre singularité, donc notre génie. Et le prix à payer est très lourd.

— À force de me tourner vers moi pour me rencontrer, me découvrir, ne vais-je pas me couper des autres, oublier les autres, me détourner d’eux ?

— Fabrice Midal : Tant mieux ! Ce serait tellement bien que l’on prenne enfin le temps de se regarder soi-même ! L’obligation de se tourner vers les autres est un langage obligé, convenu, une injonction malheureuse. Si je suis égoïste, je ne vais pas me tourner vers les autres simplement parce que l’on m’en donne l’ordre. Par contre, en apprenant à faire la paix avec moi-même, à me sentir moins en insécurité, je vais naturellement m’ouvrir à l’autre. Il est bon que l’on s’autorise enfin à se rencontrer pour de bon.

— Concrètement, comment faire pour me rencontrer ? Je dois m’isoler ?

— Fabrice Midal : Nous respirons un air qui, sans nous en rendre compte, nous empoisonne. Un air qui nous dit : non, tu n’as pas le droit de prendre du temps pour toi, tu dois te sacrifier pour les autres, jusqu’au burn-out s’il le faut. C’est une malédiction… Pourtant, se rencontrer n’est pas une question de temps long. Il suffit parfois de quelques secondes pour que j’admette que oui, cette remarque m’a énervé, m’a blessé, pour me demander en quoi elle m’a touché. Je ne connais pas d’autre moyen de tourner la page : c’est ce que j’appelle apprendre à se connaître pour sauver sa peau. Et c’est ce que je raconte dans ce livre, en partant de mon expérience personnelle… avant de m’ouvrir à tous les autres.

— Il ne s’agit donc pas de se couper du monde ?

— Fabrice Midal : On n’est jamais coupé du monde, c’est une invention des philosophes qui ne tient pas la route ! Dans la vie de tous les jours, quand est-ce que je ne suis pas en rapport avec les autres ? Même seul, chez moi, je pense aux autres, je leur parle parfois, je sens leur présence. Je ne comprends pas cette séparation entre moi d’une part, les autres d’autre part. Entre moi qui ne suis pas important, et les autres qui seraient bien plus importants. Je constate que les gens sont en train de s’oublier et de devenir les rouages d’une machine. Je n’aurais pas écrit Sauvez votre peau il y a 15 ou 20 ans, mais aujourd’hui, c’est une urgence. Sauvez votre peau dans ce monde où vous êtes partout pressurisés, déshumanisés. Dans ce monde où, même à l’hôpital, on privilégie le nombre d’actes accomplis par le personnel soignant plutôt que la qualité de la relation et de la présence qui, elle, ne se mesure pas. Sauver sa peau, c’est trouver des espaces, malgré cette pression, pour garder le sens de la relation, le sens de l’humain.

— Un espace qui est aussi celui de la méditation ?

— Fabrice Midal : J’ai beaucoup de mal à répondre à cette question parce qu’aujourd’hui, la méditation est aux antipodes de mon discours. Elle est devenue un outil de gestion du stress pour être plus calme, plus efficace, encore plus adaptable aux rouages déshumanisants de la société, et c’est exactement ce que je dénonce. J’ai été récemment chercher mon filleul à la sortie de l’école. Il était angoissé parce que sa maîtresse était absente et sa remplaçante lui faisait peur. Je ne lui ai pas dit : tu vas t’asseoir en lotus et respirer pour te calmer. Je l’ai juste écouté et je lui ai fait un câlin. Peut-on avoir la même attitude envers soi-même ? S’écouter et se faire un câlin ? Certes, la méditation peut aider, mais à condition qu’on la repense à partir du narcissisme et qu’elle retrouve son sens réel qui est de nous autoriser à revenir à la maison.