Le problème c'est que, pour ce que j'en ai vu et entendu, le parcours en question tiens plus de l'autoroute, avec un seul sens de circulation, que de l'exploration champêtre. Surtout pour une primipare. Le tableau est le suivant : on propose systématiquement la péridurale (bien que ne l'impose pas dans la plupart des cas), une anesthésie partielle qui médicalise de facto l'accouchement, même dans le cas d'une grossesse normale.
Dans l'hôpital où j'ai accouché, la péridurale a été demandé par 98% des primipares, les 2% restants ayant souvent des contre-indications médicales. La péridurale entraine ses propres complications dont :
- une diminution de la mobilité
-un risque de ralentissement des contractions et donc d'une perte d'efficacité du travail qui médicalise encore plus la naissance
-la nécessité d'accoucher sur le dos
-un risque accru de souffrance du périnée lié à la position couchée dorsale qui accroit la pratique de l'épisiotomie.
Les suites de couches sont difficiles, entre l'immobilité, le temps nécessaire pour se remettre d'une anesthésie, les éventuels effets secondaires et la cicatrisation d'une probable épisiotomie. Devant ce tableau peu réjouissant, on est tenté de se demander, pourquoi est-ce la norme ? Pourquoi est-ce présenté comme la seule manière raisonnable d'accoucher pour une primipare ? Pourquoi si peu de femmes remettent en question ce modèle ? Il me parait pourtant incroyable d'évacuer si vite l'idée qu'il existe une autre voie, qu'avant le médical, il y a le physiologique ! Pourquoi présente-t-on l'accouchement comme un acte médical et surtout comme un moment que l'on ne voudrait pas vivre, ou le moins possible, du bout des doigts, forcément désagréable, alors qu'il s'agit d'un moment incroyablement heureux et puissant, la venue au monde d'un enfant, la transformation d'une femme qui devient mère et donne la vie ! Que de prophéties autoréalisatrices anxiogènes dont on accable les femmes enceintes, alors que l'on pourrait célébrer la beauté de ce qu'elles vivent, la force qu'elles portent en elles.
En l’absence de soutien de la part des professionnels de santé, j'ai fait ma préparation à l'accouchement en autonomie, en parallèle de ce parcours balisé. Psychologiquement, j'ai cheminé pour cesser de percevoir ce moment comme un combat ou une épreuve, mais plutôt pour l'accepter comme un événement heureux, une sorte de rite initiatique, une danse avec la vie elle-même. Quand la vie passe au travers de soi comme un torrent, cela ne peut pas se faire sans secousses. Mais on peut choisir de nager avec ou contre le courant. Travailler sur mon angoisse, transformer mes représentations pour cesser de considérer cela comme une pathologie, idée bien trop souvent suggérée, et accueillir les événements dans la paix m'a été d'une grande aide. J'ai tout naturellement rejeté l'idée de la péridurale et décidé de vivre l'accouchement pleinement.
Par ailleurs, j'ai aussi mené une préparation physique, avec des exercices d'assouplissement du périnée un peu plus sérieux que de faire des petits ronds sur un gros ballon et du cardio, du cardio, du cardio.
J'ai donc accouché sans péridurale et ce fut merveilleux. Bien sûr, cela fait mal, mais la douleur n'est pas nécessairement la souffrance. Je suis restée debout jusqu'à la toute fin, j'ai chanté plutôt que de crier, j'ai dansé, déambulé dans le service en bavardant avec mon mari. Mon accouchement fut très court, certainement accéléré par l'activité physique, et les séquelles, aussi bien psychiques que physiques, nulles. Au contraire, je me sens incroyablement grandie et reconnaissante de cette expérience.
Cette fois-ci, le personnel fut formidable et je me suis sentie soutenue et accompagnée avec douceur et discrétion, une juste présence bienveillante.
Pour moi qui ai toujours senti mon corps comme un compagnon faible, peu coopérant, ce fut terriblement réparateur. Je me suis découverte forte, capable. Accoucher sans péridurale fut aussi pour moi un acte féministe, à sa façon.
J'ai envie de partager cette expérience positive pour plusieurs raisons.
Déjà, parce que l'on entend trop d'histoires d'horreurs et trop peu de récits d'accouchement heureux. Le mien fut formidable et je veux simplement dire que ça existe et que c'est possible. Si cela peut donner du courage ou au moins des outils à une future maman, l'aider à s'approprier ce moment, je serai ravie !
Ensuite, parce que je ne comprend pas comment toute une société peut-être amenée à considérer l'accouchement comme une pathologie, dans la manière dont il est parlé et traité et à déposséder les femmes du pouvoir de vivre ce moment à leur façon, en étant au commande avec leur détresse, leur joie, l'exaltation d'accueillir la vie. Comment le discours général a-t-il insidieusement aliéné les mères à un lit d'hôpital, au point que l'équation ne puisse être pensée autrement ? Quel est votre avis sur la question ?
Enfin, j'ai bien conscience que mon expérience est très personnelle, tant dans mon rapport aux professionnels de santé qu'à l'accouchement lui-même et j'aimerai savoir, si d'autres souhaitent parler de ce moment si intime, comment elles ont vécu les choses, si elle partage certains de ces sentiments, si l'accouchement a été pour elles un évènement heureux, douloureux, comment il a transformé leur vision d'elle-même, de leur corps, de leurs possibilités.
Je suis aussi curieuse de connaitre le point de vue de ceux qui n'ont pas (encore ?) été directement concerné par la question : quelle est votre représentation de l'accouchement, comment est-ce connoté à vos yeux, pourquoi ? Quel est votre ressenti face à cette médicalisation ?
Au plaisir de vous lire !

