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Cette église le subjuguait de mauvais goût. Était-ce une injuste comparaison avec les joyaux de l’art roman qu’il avait visité la veille ? À force d’enchaîner les visites de sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, Ernest devenait difficile. C’est le prix à payer lorsqu’on décide de courir un marathon culturel pendant ses vacances... L’œil se blase, réclame l’excellence, méprise ce qu’il aurait appelé splendeur la veille, se comporte en enfant gâté et oublie que d’ordinaire il se contente de la vue sans intérêt de la fenêtre de la cuisine.
Mais tout de même, difficile de plaider la cause de cette église là. Des saints peinturlurés aux couleurs criardes, une avalanche d’angelots dorés, un sol marbré surchargé, et même à l’entrée, une Vierge clignotante qui contemplait des lumignons dégoulinants… Un comble que personne n’ait crié grâce !
Soudain, une installation attira son attention dans une chapelle latérale et le sortit de sa lassitude dédaigneuse.
En s’approchant, Ernest fut stupéfait: il s’agissait d’une monumentale crèche en coquillages. Sur un tapis d’escargots de mer, de praires et de bigorneaux d’un bon mètre carré de surface, se dressait une grotte recouverte de pétoncles dans laquelle on distinguait une fière Marie au voile de turritelles, un Joseph accoudé à un couteau, alors que les trois rois mages, coiffés d’imposants squelettes d’oursin, se pressaient vers l'étable chargés de coques et de palourdes. L’auréole du petit Jésus ? Une coquille Saint-Jacques, qui de sa face concave centrifugeait ses rayons nacrés de part et d’autre du Divin Enfant. Enfin, plus exactement, d’une figurine en plastique couchée dans une huître. L’étoile du berger – une étoile de mer, naturellement – veillait sur la scène, glorieuse.
Ernest était abasourdi. Qui avait donc réalisé cette chose ? Comment se pouvait-il qu’une telle idée germa dans l’imagination de quelqu’un, un jour ? Et que, plus improbable encore, elle eût été désirée, planifiée, concrétisée ? Il s’imagina les heures de collecte sur la plage, à rechercher le coquillage dont la teinte permettrait de parfaire la robe de l’âne ou du bœuf… L'artiste avait-il imposé pendant des mois à sa famille le régime bivalve, jusqu’à amasser suffisamment de matière première pour pouvoir se lancer?… De longues soirées à nettoyer et trier patiemment chaque coquillage, par taille et par couleur, décider d’une composition d’ensemble, créer le moulage du décor et des santons, coller une à une les coquilles à l’emplacement qui leur siérait le mieux. Des heures et des heures de travail, tant d’amour, de ferveur, de foi presque… pour un résultat qui ressemblait à la version adulte du collier de nouilles. Les mystères de la création semblaient décidément impénétrables. Ernest, perplexe, sortit de l’église. L’air chaud de midi l’enveloppa et le soleil lui plissa les yeux. Il soupira profondément. Puis, il se mit en quête du restaurant le plus proche, pris d’une irrésistible envie de fruits de mer.