Tout depend si on parle des interrogations conscientes ou non, des nôtres ou de celles de nos parents (ou autres...). Ma mère a commencé très tôt à s'interroger en voyant que, de toutes les manières, je ne "grandissais pas comme les autres". Seulement ça. Uniquement ça. Ce n'était pas flagrant. On voyait bien que j'avais un côté adaptable, que je n'avais pas de handicap lourd, que j'avais des capacités, que j'étais heureuse... Mais, voilà, il y avait des choses...
J'ai 2 ans, ma mère s'interroge. Est-ce que c'est normal, ça ? Je connais tous mes livres par coeur, page par page et "lis" seule. Je fais des puzzles, de pièces plus nombreuses que ce qui est considéré normal et avec facilité et dessine bien. Je joue seule, des heures. Je fais vivre l'enfer à mes parents dés qu'on sort. Les antennes, les ampoules, les parapluies, les motos, les avions, les bruits, tout, TOUT me fait peur. Mes peurs sont atypiques, incomprehensibles. Je souris déjà en presence d'abeilles comme de n'importe quel representant du règne animal.
J'ai 4 ans, je rentre à l'ecole en moyenne section. Je ne me fais pas vraiment d'amis, joue seule, agissant comme je le souhaite. Je ne repousse pas les autres et suis gentille avec tout le monde, mais je n'approche personne et reste dans mon coin, joue seule, avec mes mains parfois. Parfois, je me mets a chanter, parce que j'en ai envie, même si plein de monde m'écoute, pourtant, on dit que je suis trop timide. Je suis complètement dans mon monde, dans ma bulle. Je suis déjà très bonne a l'école et m'ennuie beaucoup. Je comprends beaucoup de choses sans les comprendre, un sentiment que j'ai eu toute ma vie, d'être trop lucide et en même temps dans l'incompréhension, c'est très difficile à décrire, et surtout dans le domaine social, ou, en fait, j'ai de l'empathie, mais ça ne m'aide pas à comprendre comment agir avec les autres, ou comment aider. J'ai les données, mais je ne les traite pas bien.Traitée aux hormones de croissance, je subis une piqûre tous les jours sans broncher, mais pleure au moindre bruit trop fort (je me souviens, je courais sous le préau à l'ecole quand un avion passait, quand un orage éclatait...), pleure immediatement pour rien. J'ai des angoisses complètement atypiques, je ne supporte pas la fin des films et fais des "crises" si je surprends un génerique... (j'ai encore du mal aujourd'hui sans comprendre pourquoi). J'ai une grande passion pour la préhistoire, les dinosaures, je veux être paléontologue, mais ai une peur intense des méteorites et de la fin du monde. Je suis angoissée, hypersensible, et je ne comprends pas moi-même ce que je ressens la plupart du temps. Je suis qualifiée de "trop timide", "d'hystérique."
J'ai 6 ans, je me passionne maintenant pour les animaux, la biologie. En CP, c'est toujours moi qui lis en classe. J'ai de l'intonation, n'accroche pas du tout, j'ai commencé à déchiffrer à 5 ans avant que je sois freinée (car, disait mon instit', il ne faut pas qu'elle apprenne à lire maintenant, sinon elle n'aura pas la bonne méthode... j'étais en MS.). Je trouve le resultat des problèmes sans savoir comment. J'ai des amis, deux amis, avec qui j'ai une amitié fusionnelle, exclusive, dependante aussi, et pourtant, je reste une solitaire avec ses jeux et sa tranquilité exigée. Sans eux, je ne sais pas me faire d'amis. Je fais de l'enuresie diurne. J'adore les dictionnaires, j'adore definir des mots par d'autres, j'aime ce concept. Je suis créative, je bricole, mais je suis en même temps limitée à ce qui existe, j'ai besoin de cadre, de sécurité. Je suis heureuse. Alors maman ne cherche pas a savoir pourquoi elle trouve qu'à coté des enfants de mon age, je dénotte un peu. Maintenant, je suis "insolente", parce que je me tais quand on me parle, et, plus etrange, souris quand on me dispute. Je ne sais toujours pas pourquoi. Je ne sais pas m'habiller seule, ne sais pas faire de vélo (appris à 10 ans) ne sais pas faire mes lacets (12 ans), ni m'attacher les cheveux (15 ans !!!!), tient mon stylo comme personne (une légère dyspraxie compensée ? Ou alors, ça m'emmerdait, tout simplement.). Je reste obsessionnelle.
J'ai 9 ans. J'ai maintenant plus d'un d'avance intellectuelle, je suis isolée des CM1 auxquels j'appartiens et des CM2 dont je fais le programme avec plus d'efficacite qu'eux. C'est là que je commence à me sentir differente consciemment. Cause ou consequence, je ne sais pas, je commence à avoir de plus grandes difficultés avec des camarades que je comprends pas, et dont les jeux me rebutent. Je m'isole un peu, cache mes notes trop élevées, cache le fait que je n'ai pas besoin de travailler pour les avoir. En même temps, je m'écroule dès que je ne suis pas "parfaite". Je m'interroge, philosophe (et envisage le concept de suicide comme compréhensible à 8 ans, ce qui me parait un peu glauque maintenant avec le recul). J'adore les encyclopédies, mais j'ai l'obsession de forcemment lire chaque livre en une fois depuis le début, difficile... je suis frustrée sans reussir à me debarasser de cette obsession. Je ne supporte pas les fêtes, je suis en pleurs à chaque fois, sans identifier les sensations qui me prennent dans ces moments là, mais je hurle, c'est insupportable, j'ai presque mal. (Aujourd'hui encore, je suis obligée à chaque fois, soit de rentrer plus tôt, soit quand je ne peux pas, de sortir et souvent, quand je sors, c'est pour verser quelques larmes... et non, je ne sais pas pourquoi.). Autre obsession encore, respecter des horaires arbitraires, et si c'est pas le cas, c'est la crise. Socialement, je depends complètement de mes deux amis, tout en ayant absolumment pas les mêmes jeux. Je m'adapte à eux jusqu'à m'effacer et ne jamais avoir d'avis, je suis et m'ecrase. À 8 ans, j'ai inventé mon monde à moi et les amis qui vont avec, ce monde n'a rien d'original, mais j'y ai une vie sociale telle que je la veux. Je m'y refugie constamment. À cause de mes crises, je suis maintenant : "la capricieuse".
J'ai 11 ans, c'est le drame quand mes amis déménage pour l'un, redouble pour l'autre. La rentrée au collège signe le début d'une longue, longue période de vraie galère (vu que j'y suis encore). Je ne me fais aucun ami et ne m'en ferais plus jamais seule, et deviens la cible privilégiée des moqueries, mises à l'écart et humiliations publiques d'un petit groupe de 2 filles et 2 garçons. On me reproche un peu tout, si bien que je n'identifie pas ce qui leur deplaît. À coté de ça, j'ai 18 de moyenne générale sans travailler des masses, sans réviser, brille en redactions ou je m'amuse comme une folle à inventer des histoires. Je rêvasse en cours et c'est comme si les cours rentraient tout seuls dans mon oreille. Je m'amuse à embobiner les profs en montrant que je ne fais rien, les faisant accourir, et m'amuse de leur reaction en voyant mes exercices justes... Je n'ai plus le moindre point commun avec les autres.
J'ai 14 ans, je suis en 4e, l'année est cruellement difficile, je suis toujours rejetée par tous les 4e du collège, décalée même avec mes propres amis (2, hors de la classe, 1 seule réelle), la peur, la honte, l'incompréhension, le début de la déprime adolescente. Je suis desespérée, complètement, je me mets à imiter (vraiment imiter) certaines filles tellement je ne comprends rien, je veux m'integrer, fais tout pour ça, échoue systématiquement, me fais jetée obligatoirement. Malgré tout, je suis toujours excellente sans travailler. Je perds confiance en moi, je perds pieds. Heureusement je commence la musique, et cela maintient mon estime de moi-même branlante, car mon surnom est un peu plus agreable que ceux auxquels j'ai été habituée, bien que moi, je me trouve très nulle et me plains de cela. Je me jette à coeur perdu dans mes passions pour les arts et la nature, dans mes "études", et j'essaie de garder le cap sans me rendre compte que je glisse chaque jour un peu plus. Légères auto-mutilations, dépendances, crises de colère, d'angoisse, puis de nerfs... mais le sourire que je garde.
J'ai 15 ans, aprés une annee de 3e ou je suis toujours harcelée, par les garçons de la classe cette fois, le lycée et les 3 mois que j'y ai passé sont des mois affreux. Au début, non, c'est même le paradis, intégrée miraculeusement à la classe, une bonne dizaine de gens avec qui je parle. Et puis, je relâche le masque, redeviens moi-même... et je me fais critiquer, subis les chuchottis, je suis rejetée par ma copine proncipale sans préavis, même une prof s'y met. Je m'isole donc complètement, je me cache, je vis dans la peur, je sombre, dépression. Je la traîne quelques semaines, puis, un jour particulièrement difficile, je ne peux tout simplement plus. Je ne me souviens pas bien de ça, juste, je sais que même les medecins ont conseillé de me descolariser, a cause d'un état préoccupant... J'ai des attaques de panique tous les jours... je reprends ma seconde par le CNED dés que j'ai 16 ans, doit reprendre l'année presque entière (les 3/4)en 4 mois et malgré la dépression, j'y arrive et ne redouble pas.
J'ai 18 ans, le permis est une catastrophe, mais je suis enfin plus heureuse... quand je suis seule, car avec mes amis, je me sens tellement décalée, différente, loin, très loin d'eux, que je suis obligée de rentrer plus tôt les deux fois dans l'année ou on se voit, enervée, je me deteste, pourquoi je suis si differente ? Pourquoi je ne comprends pas comment agir et m'integrer ? Entre temps, je développe une agoraphobie. Ma mère me mets doucement sur une voie, la douance en l'occurence. Avec cette explication : "Tu étais heueuse, je n'ai jamais pensé que ça pouvais empirer comme ça l'a fait, mais ça fait depuis que tu es toute petite que je me demandais si tu ne l'étais pas." Moi j'ai complètement rejeté cette idée après quelques mois "je le suis/je le suis pas". J'ai aussi le BAC, mais devant réviser pour la 1ere fois de ma vie, je me perds et l'obtiens avec des resultats qui me font pleurer de frustration. En revanche, j'ai chaque année de fac (par correspondance) du 1er coup avec mention et en ne travaillant que quelques heures par jour. À la même époque environ, un médecin que je connais bien et a qui je parle de ces difficultés me lâche : "que veux tu, c'est comme ça quand on est plus intelligent que les autres", chose que je n'ai jamais compris. Ni accepté d'ailleurs.
J'ai 21 ans. Depuis ma maturité j'enchaine les troubles et je ne parviens pas à faire ma vie. Quelque chose me bloque. Quelque chose me donne des angoisses très fortes et atypiques pour mon age. Quelque chose me gãche ma vie. Agoraphobie, TOCs, attaques de paniques, anxiété généralisée, les diagnostics tombent, mais personne ne comprend que tout cela a une unique cause comme je le perçois. Je commence à me demander, même, si je n'affabule pas quand je me sens différente, si je ne suis pas folle. Pour mes études, je décide de me renseigner sur tous les publics que je risque de rencontrer dans mon métier et les surdoués en font partie. C'est comme ça que je tombe sur un livre sur les enfants surdoués. Dans lequel je me retrouve, parfois pas du tout, mais surtout, la plupart du temps, beaucoup. Je suis perdue. Mon agoraphobie augmente alors tant que je ne peux pas aller aux examens, car mes crises sont violentes et quotidiennes, je perds du poids, suis envahie de TOCs. Au cours de l'été, je bascule dans une seconde dépression. Plus violente, plus dangereuse. Je vais passer sur ce que j'ai tapé sur Google cet été 2015... Le jour ou j'ai commencé à me renseigner un peu trop assidumment, j'ai compris que je devais aller chez un psychiatre si je voulais m'en sortir.
Le 1er que j'ai vu ne comprenait rien à rien à moi, et j'ai arrêté sans même prévenir. Je me suis tournée vers le bouche à oreille. Et j'ai trouvé.
Lui a essayé de me comprendre et le faisait. Il a mis le doigt sur beaucoup de choses et surtout comprenait mes souffrances passées. "Ce ne sera pas facile", m'a t-il dit, mais ça, je le savais. On en est venu doucement. Je ne lui avait pas parlé de mon sentiment de différence. Ni des soupcons de ma mère. Ni du livre. Sans cela, il a abordé la question... "sûrement précoce". Et sûrement Asperger aussi, mais ce n'est pas le sujet ici. Maintenant, puisque je dois faire un bilan au CRA, je vais donc savoir pour les deux d'un coup et au moins quoi qu'il arrive, tout cela a eu un avantage : je sais que je ne suis pas folle et que je fonctionne bien différemment. Donc, voilà comment j'en suis venue à mes questionnements, année décisive après année décisive. C'était long, desolée, mais pour une fois que je peux parler de mes bizarreries sans craindre la réaction de rejet, j'en profite.
Je me retrouve beaucoup dans certains de vos parcours. Moi aussi, je me sens imposteure, et j'ai bien du mal à me dire "surdouée" (enfin, peut-être) alors que je me sens si... lamentable.