A 6 ans, je m’imaginais avec deux enfants, un garçon et une fille (je n’aimais déjà pas les balances qui penchent, besoin de rétablir l’équilibre). Avec 2 ans d’écart (à cette époque j’étais encore fille unique, et je m’ennuyais). Du même papa (j’étais déjà petite fille de parents divorcés, qui ne voyait son père que 15 jours par an).
Ce fantasme a duré longtemps.
A 18 ans, j’ai rencontré un gars bien.
Le désir d’enfant, il est venu vite. D’enfant, hein, pas de bébé. Je déteste pouponner. Parce que la responsabilité, elle est là, on est entièrement et totalement responsable de cet être qui n'a rien demandé, et que l'étape du pouponnage, c'est la responsabilité sans l'échange et sans la gratification de voir qu'ils grandissent dans le bon sens (et que donc on a fait notre job de parent, je précise ici que c'est du ressenti, je suis contre le noir et blanc en ce qui concerne l'éducation des enfants : dans la vraie vie, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on est, et ce qui arrive, arrive, nos enfants sont le résultat combiné de leurs épigénôme, de leur environnement, et j'ai toujours envie de rejeter le déterminisme forcené : aussi d'un peu de hasard et de résultat de leurs propres choix). Je ne sais pas quelle part était biologique, quelle part était instinct, quelle part était construction sociale, et, pour être honnête, quelle part était ennui (dans le sens : envie de faire vivre le couple). A 22-23 ans, j’avais déjà envie d’un enfant.
A 26 ans, j’ai fait une fausse couche. Que je raconte.. enfin que je vomis
là. Cela a bouleversé ma vie, mais surtout cela a exacerbé de manière extrêmement violente (et pourrie) ce désir d’enfant. Et là on est pas dans le rationnel. Rien d'autre n'a d'importance. Rien.
A 27 ans, j’ai donné naissance à un fils. Je manque de mots pour décrire ce qui m’a déferlé dessus lorsqu’on me l’a posé sur le ventre. Mais c’est de l’ordre de l’absolu.
A 27 ans, j’ai aussi quitté le gars bien. Mochement. Pour un autre gars bien. J’ai su que je ne donnerai jamais un « vrai » frère ou une sœur à mon fils. Ca a été compliqué pour moi à intégrer, ce deuil de l’idéal familial porté depuis 20 piges.
A 28 ans, j’ai eu un beau fils. Un beau fils déjà fait. Avec déjà une histoire. Avec déjà une mère. Je n’étais pas prête. Je n’avais jamais désiré de beau-fils. On se construit avec nos enfants, et chaque étape est importante. Je ne savais pas quoi faire avec un enfant de 4 ans, mon corps et ma tête ne savaient que s’occuper d’un enfant de un an sorti de mes tripes. Alors j’ai lu, j’ai appris, j’ai tâtonné.
J’avais mes deux enfants. A vrai dire, je n’avais pas «besoin » d’autre enfant pour coller à ma construction fantasmée.
A 32 ans, j’ai eu un second fils avec le second gars bien. Je l’ai fait parce que je voulais offrir un enfant à cet homme, et ce père à un enfant. Aussi parce qu’il fallait lier ce groupe familial avec le sang. J’en avais besoin, là encore, c’est de l’ordre du besoin, pas du désir.
A 34 ans, je suis devenue très amie avec une femme qui a décidé ne pas avoir d’enfant. La stupéfaction que cela puisse exister m’a fait réaliser à quel point c’est inscrit dans l’ordre des choses qui ne peuvent être remises en question. Je vois le poids de ouf de la pression sociétale sur elle. Honnêtement, je me demande si quelquechose est plus tabou ou plus fort dans notre société. IL FAUT FAIRE 2 ou 3 enfants, pas plus, pas moins, pas avant 20 ans, pas trop après 45, et de préférence avec pas plus de 5-6 ans d’écart. Tout écart à la norme est immédiatement notifié, gentiment ou pas, par la famille, les collègues ou les amis. Je suis bien incapable de dire quelle part a pris ce poids dans la construction de mon désir d’enfant.
A 38 ans, j’ai épousé mon gars bien, et on a écrit noir sur blanc qu’on était une famille. On s’est enrubannés tous les 5.
Je n’avais plus jamais éprouvé ce désir d’enfant.
Jusque la semaine dernière.
J’étais dans le bus, et j’ai vu un jeune, très jeune homme qui jouait avec une petite fille d’environ 18 mois qui riait aux éclats. Je ne sais pas s'il avait seulement 20 ans. J’ai supposé un instant que c’était un grand frère, mais en fait, je suis sûre que c’était son père. Il m’a bouleversée, et je ne sais pas trop expliquer pourquoi. J’avais l’impression de n’avoir jamais vu un homme prendre soin, être dans la fusion avec son enfant hors d’une sphère familiale. Ca m’a pris aux tripes. Et j’ai pleuré la petite fille que nous n'aurons jamais.
Parce que je ne la ferai pas. Bien sûr. Je suis à une autre étape de ma vie. Et puis la dimension écologique a pris une place prédominante dans ma vie, et déposer un nombre limité d'enfants sur cette terre fait partie de cette démarche.
Mais j’ai (très) bientôt 40 piges, et même si ça me fait mal au cul d’être un cliché, je sens que cela me bouleverse, que le sentiment d’urgence qui était déjà bien présent avant se fait encore plus fort. En plus de la liste de tout ce que je veux encore faire dans la vie qui reste bien vivace

, à côté, la liste de tout ce qui ne pourra plus être, n’aura plus lieu, s’allonge. (Moi qui suis déjà traumatisée par le moindre choix, qui ne peut être que renoncement !)
Je pensais être vaccinée contre l’envie du petit dernier, et l’espace d’un instant, elle m’a frôlée. Crise de la quarantaine de merde, tiens

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Bref.
Ca m’a fait penser à la chanson « Les passantes » de Brassens. De toute façon, l’intégralité de la liste de ce qui aurait pu être mais ne sera pas me ramène à cette chanson.