Euthyphron a écrit :formatage ou formation de l'esprit? ce qui est cette fois la question telle que je la comprends.
J'aime bien ta reformulation, que je ressens comme : "formatage = suppression ; formation = ajout", qui mène à l'idée qu'une boîte à outil de plus, ça ne gêne a priori pas, sauf si on prend tout ce qu'on voit pour un clou. J'adhère au côté formation : ça colle. Toutefois à l'origine, dans la question posée j'ai lu :
silwilhith a écrit :J'y vois une possible conséquence sur le mode de fonctionnement cognitif
Et là, j'y voyais l'idée d'une déformation (ou adaptation, ou évolution, ou changement) du mode de pensée[*]. J'y répondais immédiatement "non" (le "non" de "non et oui"), tout en admettant (le "oui") tout de même qu'on puisse durablement être influencé par la présence de la boîte à outils, au même titre qu'un appartement meublé avec charme est différent du même appartement vide : il reste cependant un appartement (en béton, avec N pièces, l'entrée est là, il est à tel étage donc il faudra raisonnablement y parvenir en montant l'escalier, etc.), il n'est pas modifié dans sa nature d'appartement.
Pour le dire autrement, et utiliser d'autres mots cloisonnants, la dissertation ne fera pas un séquentiel logico-mathématique d'un intuitif baignant dans ses perceptions foisonnantes (je ne trouve pas le bon mot. Entre perception et émotion : ressenti ?). En ce sens, elle n'a pas de conséquence sur le mode de fonctionnement cognitif. Évidemment, elle constitue un cadre, qui, correctement manié, peut aider. Et utiliser des outils pour mettre à plat la pensée, il y en a d'autres, ne serait-ce que dessiner, relier. Mais je t'accorde que ça constitue rarement une démonstration, et qu'il faut bien exprimer la logique. Personnellement, j'ai réglé le problème : en informatique, qui est mon domaine professionnel, je peux utiliser de nombreux mécanismes pour exprimer des idées (objets, relations statiques entre eux, relations dynamiques, etc.) sans avoir à écrire des phrases. Les rares fois où convaincre d'un choix technique est nécessaire, une forme synthétique telle qu'un tableau fait l'affaire. Au final, ce qui comptera, de toute façon, en grande partie, c'est ce que les gens pensent de vous, et non pas de ce que vous dites[**]. Je ne fais peut-être qu'exprimer longuement que l'outil dissertation n'est pas le multifonctions idéal qui répond à toute attente dans un monde qu'on jugerait imparfait.
J'avoue par ailleurs que j'ai tenté l'exercice de la démonstration écrite, plusieurs fois, depuis un an, dans mon coin, et que le résultat m'apparaît assez pitoyable à chaque fois. Je trouve la séquence hiérarchisée assez impitoyable, elle, alors évidemment quant aux idées exprimées, mais aussi sur la manière de les exprimer. Ce qui m'est apparu à la lecture des textes, c'est qu'il allait falloir bosser, et bosser pas mal, pour élever le niveau, et du coup : sclérose, aphasie. Et c'est justement quelque chose contre lequel je me bats, pour m'autoriser à redécouvrir et à prendre le nécessaire plaisir de l'apprentissage en marchant et des essais/erreurs. Le laisser aller pour donner la chance à de l'imprévu de s'écouler, et de faire l'objet de vivisections, éventuellement collectives (disons à deux).
Euthyphron a écrit :Un peu d'humour
Je ne me place pas dans un contexte scolaire, qui, m'a-t-il semblé (gros jugement inside™), ne laissait pas grande place à l'humour, mais plutôt à :
Euthyphron a écrit :Bref, il faut se montrer sérieux.
Ce qui peut se faire également avec humour, même beaucoup. Je me place ici dans le contexte, initialement présenté, d'une discussion sinon d'un
silwilhith a écrit :débat entre amis
. Et d'ailleurs ça m'amène au constat que je ne connais personne qui parle sous forme structurée (séquence, hiérarchie), sinon d'une réflexion que cette personne aurait eue en amont de la discussion, et qu'il devient alors possible de présenter, de confronter, de démonter par bouts, mais j'ai du mal à croire qu'un auditeur s'arrête de penser suffisamment longtemps et avec suffisamment de mémoire pour ingurgiter une dissertation lors d'un repas entre amis. La gueule du repas...
Finalement, de quoi parle-t-on ?
J'ai l'impression que, pour ce qui me concerne, j'ai loupé une marche : est-ce de la dissertation en tant qu'objet formatant la pensée et ne permettant plus, incidemment, l'expression, dans un contexte de discussion, d'une pensée qui ne suivrait plus le cadre de la dissertation, et je réfute cette thèse (l'appartement, oui, bon), ou qui restreindrait les capacités d'analyse d'un interlocuteur, coincé dans son habitude, et ça me paraît douteux également (inapplicable en discussion, à voir). Ou bien est-ce de la dissertation comme cadre d'expression
écrite, permettant l'énoncé structuré d'une pensée qu'on peut du coup analyser, en considérer la portée, la cohérence, etc.
Euthyphron a écrit :Je crois qu'il est au contraire très précieux d'apprendre à faire le lien, à mettre de la pensée claire dans ses émotions, et à rendre justice à ce qui est vraiment important dans son travail de pensée.
Ça s'applique à tous ? Donne-moi un message d'espoir, stp !
Euthyphron a écrit :En revanche, je serais déçu, et je trouverais même qu'il manque vraiment quelque chose, si l'élève dissertant négligeait totalement ce qu'il y a de choquant à réserver le plaisir esthétique à une minorité "bien élevée". Quand bien même la copie serait impeccable, la non prise en compte d'un sentiment légitime et dont le sujet parle en creux serait une déception pour le lecteur.
Voici une manière élégante, qui permet la critique constructive, de dire que, cette copie, c'est de la merde.
[*] Je suis probablement influencé par
cette définition du formatage. Dans ce contexte, le formatage consiste à faire d'un substrat librement utilisable, un autre objet conservant les propriétés du substrat, mais auquel on accède de manière très dirigée, très limitée, et, peut-être, très efficace. La dissertation est alors un formatage de haut niveau, un moyen d'interfacer ce qui est contenu avec ce qui souhaite obtenir le contenu. La différence entre notre esprit et la disquette est notre chance de pouvoir nous interfacer de manière différente : disserter, sauter de joie, grimacer, dessiner, écrire sous une autre forme que la dissertation, agir, etc.
A posteriori, j'ajoute que le formatage n'exclut pas l'originalité. Exemple : le sonnet. J'ajoute également qu'on peut développer un esprit critique (ou constater son existence, je ne sais pas), sans porter aux nues un format d'écriture. Exemple : le dialogue contradictoire (purée, y'a une
théorie là-dessus aussi). Je constate que j'utilise le dialogue (intérieur) pour la contradiction, et que le résultat des itérations ne s'inscrit donc pas dans un 3-3-3, et que parcourir le chemin à l'envers m'est bien difficile (impossible).
[**] c'est une généralisation grossière, rarement mise à mal par une honnêteté intellectuelle rafraîchissante.