Pour certains, les insectes ne sont que de petites bestioles sources de nuisances et de frayeurs. Pour d’autres, c’est un monde invisible, donc inexistant. Pour les passionnés, l’étrangeté ne pourrait être plus parfaite, plus fascinante, plus admirable. De fait, de nombreux livres dédiés aux insectes relèvent plus de l’art que de la science, et sont sources d’inspiration pour l’artiste comme pour l’entomologiste.
Ce petit monde bat tous les records de la planète en termes d’ancienneté, de diversité, de nombre d’espèces, de nombre d’individus. Plus de trois animaux sur quatre sont des insectes. Si leur taille était transposée à notre échelle, qui sait combien de planètes pourraient être peuplées par ces millions d’espèces, ces milliards d’individus, dont une grande partie demeure encore inconnus à ce jour ! Paradoxalement, alors que la population des insectes est fortement touchée dans les pays industriels par l’emploi intensif d’insecticides depuis les années 70, et donc que le nombre d’espèces et d’individus décroit constamment et massivement, de nouvelles espèces sont découvertes chaque jour dans des endroits encore peu ou pas explorés du monde, comme au Brésil, en Asie (Malaisie, Laos, Indonésie, et sans doute davantage), en Afrique (Madagascar, et sans doute davantage), et de nouvelles informations sont apportées sur les espèces déjà répertoriées. Il y aurait aujourd’hui environ 1,5 million espèces identifiées, et au moins le double à découvrir.
Lorsqu’il est question des estimations du nombre d’espèces à découvrir, les chiffres s’affolent. Il y a les estimations sages, qui varient entre 1 million et 4 millions. Et puis, il y a les estimations farfelues, qui vont jusqu’à 50 millions, et même 100 millions ! Les explications qui permettraient de comprendre sur quoi se basent de telles estimations font malheureusement défaut. Cependant, une chose est certaine : notre planète et le vivant sont loin d’avoir été complètement explorés. Il est amusant de penser que scientifiques, poètes, et artistes se tournent volontiers vers les lointaines étoiles et leurs planètes pour questionner l’inconnu et se demander à quoi ressemblerait la vie dans un autre monde, alors qu’au même moment, sous leurs pieds, fourmillent d’innombrables aliens qui défient autant l’imagination que la raison.
Si les comparaisons avec la vie extraterrestre sont fréquentes lorsqu’il est question des insectes, étant donné leur étrangeté, leur incroyable diversité en apparence et en biologie, il est curieux de voir que les astronomes trouvent chez les Arthropodes des capacités uniques pour tester le vivant dans l’Espace. Curieux en apparence, puisque ces petites bestioles (qui n’étaient pas si petites que cela il y a 300 millions d’années*) ont vus passer presque tous les âges de la Terre, ont survécu à toutes les grandes extinctions** depuis leur arrivée il y a 543 millions d’années (trilobites et chélicérates), et nous survivront très probablement pendant longtemps.
*chélicérates géants, myriapodes géants
**sauf les trilobites (éteints)
Sur mon message de présentation, je parlais des araignées, et je me suis effectivement intéressée à l'arachnologie pendant un moment, surtout dans le but de vaincre mon arachnophobie. La méthode a fonctionné un certain temps, et puis, malheureusement, la peur est revenue, sans doute à force de trop regarder de photographies d’araignées. J’ai donc dû cesser cette occupation et ranger mon livre. Je suis toujours convaincue que l’étude de spécimens vivants permettrait de vaincre la peur au long terme et que la solution serait donc d’avoir quelques araignées intéressantes et pas trop effrayantes dans un vivarium, l’observation à volonté étant alors possible tout en se sentant en sécurité. Cependant, je n’en ai pas vraiment l’envie ni le temps. Ce n’était peut-être pas une très bonne idée de les étudier à travers un livre où les photographies en gros plan de centaines d’espèces remplissent des pages et des pages ; de garder ce livre sur sa table de chevet et de le lire au lit avant de s’endormir, sauf si l’on souhaite faire plein de cauchemars d’araignées géantes.
Je garde tout de même des points positifs de ma brève immersion dans le monde des araignées : je ne panique plus devant une araignée, réelle ou fictive ; j’arrive à capturer une araignée trop aventureuse à la main si elle est petite ou avec un verre si c’est une tégénaire, mais je les laisse le plus souvent aller se trouver une cachette au chaud ; je peux reconnaître quelques espèces, et je les admire toujours (de loin).

Je suis donc retournée à mon premier amour, qui date du visionnage de « Microcosmos » lorsque j’étais adolescente : l’entomologie. Depuis longtemps, je souhaitais étudier de plus près une espèce méconnue et intéressante appartenant à l’ordre des Phasmoptera ou à celui des Mantoptera. Mon choix s’est porté sur la Phyllie des Philippines (Phyllium philippinicum).
Les débuts ont été quelques peu difficiles, car il y a peu d'informations sur internet et des informations parfois contradictoires. Je n'ai trouvé aucun livre sur l'élevage d'insectes. Après quelques erreurs, je pense être moins néophyte qu’au début. Je peux donc vous faire part de quelques photos et des progrès de ce mini élevage, puisque je n’ai que trois individus à présent, deux femelles et un mâle.
Si je n’avais, d’ailleurs, qu’un seul conseil à donner, au cas où un élevage d’insectes vous tenterait, ce serait de passer par l'OPIE (Office Pour les Insectes et leur Environnement) pour la commande et les informations. C'est là que l’on trouve le plus d'informations utiles, des insectes en bonne santé, ainsi qu’une livraison soigneuse et rapide.
Phasmes et Phyllies
Informations générales
Les phyllies font partie de la famille des Phylliidae, de l’ordre des Phasmes (Phasmoptera). Il n’y a que trois espèces de phasmes en France contre 3000 découvertes et répertoriées à ce jour dans le monde. Les phasmes possèdent le record de longueur chez les insectes, le plus long mesurant jusqu’à 33 cm sans les pattes et 55 cm avec les pattes (Pharnacia kirbyi (Brunner, 1907), Bornéo). Le plus petit mesure à peine 1,4 cm de longueur pour le mâle de l’espèce Timema californicum (Scudder, 1895), USA.
En ce qui concerne les trois espèces vivant en France, deux sont localisées uniquement dans le bassin méditerranéen (Bacillus rossius dit « phasme de Rossi », Pijinackeria hispanica dit « phasme espagnol »), et la troisième espèce peut se trouver partout dans le sud de la France et l’ouest jusqu'au bassin parisien et la Normandie sauf l’Auvergne, les Alpes et les Pyrénées (Clonopsis gallica dit « phasme gaulois »). Ces espèces se ressemblent beaucoup, on ne les distingue que par la différence de la longueur totale de leur corps de la tête à l’extrémité de l’abdomen (de 5 cm à 10 cm sans les pattes ni les antennes), la longueur de leurs antennes et les derniers segments de l’abdomen, mais à part cela, on a juste l’impression d’être face à des brindilles de même couleur et de même forme.
Phasme de Rossi (Bacillus rossius) par Lucarelli

« Bacillus rossius Livorno » par Lucarelli — Travail personnel. Sous licence CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons - https://commons.wikimedia.org/wiki/File ... ivorno.jpg
Clonopsis gallica par entomart

« Clonopsis gallica01 » par ©entomart. Sous licence Attribution via Wikimedia Commons - https://commons.wikimedia.org/wiki/File ... lica01.jpg
Les phasmes et phyllies sont des champions du mimétisme et c’est de là que proviennent leurs noms. Le mot « phasme » provient du grec phasma qui signifie « apparition » ou « fantôme ». Dans le langage populaire, les phasmes sont couramment surnommés « bâtons du diable » en France. De fait, les phasmes ressemblent souvent à des bâtons, à des brindilles, et les phyllies (du grec phullon qui signifie « feuille ») à des feuilles. Si vous avez la chance d’habiter le sud de la France, vous pouvez tenter d’observer ces trois espèces autochtones dans les sous-bois. Il faut se lever très tôt, avoir un œil exercé, et s’armer de patience. Au bruit de pas, ceux-ci s’immobilisent, il est alors impossible de les distinguer de leur environnement, il faut attendre un peu et observer si on en voit qui bougent à nouveau. Ils peuvent s'immobiliser pendant un certain temps, mais peuvent aussi s’enfuir rapidement.
Les phasmes vivent le plus souvent dans des régions chaudes et humides. L’ancêtre préhistorique des phyllies pourrait être Eophyllium messenlensis, un fossile datant de l’Éocène (-56 à -34 millions d’années) qui comporte de nombreuses similitudes avec les phyllies actuels. A l’instar de nombreux insectes (zygentomes, odonates, éphémères, papillons de nuit), les phyllies auraient donc peu évolué.

Photo A [Georg Oleschinsk] et Dessin B, source : http://lemondedesphasmes.free.fr/spip.php?article445
Phyllies des Philippines (Phyllium philippinicum)
Camouflage et défense
Les phyllies sont la proie de nombreux animaux (insectes, araignées, oiseaux, petits mammifères), et possèdent comme meilleure défense le camouflage. Le mimétisme concerne la forme (homotypie) d’une feuille ou d’une brindille, la couleur (homochromie) de la feuille ou brindille, vert, brun-gris, marron clair, marron foncé, avec des changements de couleur à l’automne pour les 3 espèces de phasmes en France (du vert, ils deviennent bruns). Cette homotypie et homochromie se retrouvent aussi dans les œufs qui ont l’apparence et la couleur de graines. Les phasmes et phyllies vont jusqu’à imiter le « comportement » des brindilles et des feuilles en se déplaçant par à-coups pour les phasmes, et, pour les phyllies, en tremblant avec l’extrémité de l’abdomen tourné vers le sol, comme une feuille attachée à une tige qui tremblerait au vent.

Autre moyen de défense : les phyllies peuvent se sectionner volontairement une ou plusieurs pattes afin de se dégager de l’emprise d’un prédateur. Cette défense se nomme « autonomie », et ne leur cause aucun mal. De plus, le système nerveux chez les insectes est décentralisé. Si la phyllie est encore jeune lorsqu’il s’est sectionné une patte, celle-ci se régénérera, comme pour la queue des lézards.
Reproduction
Les mâles sont plus petits que les femelles et peuvent voler sur de courtes distances. La reproduction est sexuée ou, en l’absence de mâle, par parthénogénèse thélytoque. Les œufs pondus ne donneront naissance qu’à des femelles, contrairement aux abeilles où une femelle non fécondée ne donne naissance qu’à des mâles (parthénogénèse arrhénotoque).
femelle et mâle

Une fois parvenues à l’âge adulte, les femelles phasmes pondent entre 50 et 600 œufs par an, selon les espèces, qu’il y ait un mâle ou non. La femelle Phyllie des Philippines pond entre 2 et 3 œufs par jour. Les œufs ont l’apparence d’une graine, de couleur marron clair, marron foncé, ou brun rosé (il y a trois sous-espèces de Phyllie des Philippines, qui n’ont pas encore été ajoutées à la taxonomie, ces trois espèces se distinguent par la couleur des œufs, ainsi que par des couleurs différentes au niveau des articulations des pattes).
Chez de nombreuses espèces, on ne trouve plus que des femelles. C’est le cas en ce qui concerne les trois espèces de phasmes en France. Cependant, les mâles étant très différents des femelles par leur taille et leur forme, certains mâles ont été répertoriés à tort comme une autre espèce que la femelle. Les élevages ont permis de les marier à nouveau dans la taxonomie.
mâle, jeune (Gulliver et un Lilliputien ? )

Alimentation
Les phyllies et toutes les familles de l’ordre des Phasmoptera sont herbivores. Les Phyllies des Philippines sont assez difficiles dans leur choix de végétaux : bien que les fiches d’élevages indiquent la ronce, le framboisier, le chêne, l’eucalyptus comme nourriture, mes phyllies n’acceptent que la ronce, et pas n’importe laquelle, celle des sous-bois qui poussent par petites tiges dans la mousse et l’herbe.

Comportement
Les phyllies restent le plus souvent immobiles pendant la journée et se nourrissent la nuit. Ils aiment beaucoup se suspendre à du grillage ou s’accrocher à une feuille et restent des heures avec l’abdomen retourné.

Où sont les phyllies ?


Croissance
Les phyllies naissent comme des adultes miniatures. Seules la couleur et la taille changeront, par mues successives, jusqu’à ce que la phyllie parvienne à sa taille adulte. On parle de métamorphose incomplète (hémimétabole), les petits sont appelés « jeunes », contrairement aux insectes dits holométaboles, à métamorphose complète, qui passent par des stades de larves et de nymphes comme chez les papillons ou les mouches. La femelle Phyllie des Philippines vit de 7 à 12 mois, le mâle plus ou moins 4 mois.
Femelle, avec quelques restes de son exuvie de sa dernière mue sur la ronce. Les phyllies mangent leur exuvie une fois leur mue achevée afin de retrouver des forces

Elevage
Environ 300 espèces de phasmes sont ou ont été élevées en captivité.
Les avantages de l’élevage des phasmes : connaissances approfondies de la biologie et du comportement des espèces, rectification des erreurs contenues dans l’information existante, sensibilisation auprès du public, en particulier auprès des enfants, de la place des insectes dans la biodiversité, de leur beauté, de leur innocuité. Les phasmes, étant des insectes particulièrement attrayants, étonnants, inoffensifs, faciles à élever, à observer, et à manipuler, ils sont devenus une sorte de mascotte pour l’ensemble des insectes (avec les fourmis). On peut trouver dans de nombreuses classes de primaire un vivarium contenant des phasmes, en particulier des phasmes bâtons (Phasme morose Carausius morosus ou Phasme-bâton du Vietnam Cuniculina imbriga), les plus faciles à élever, moins chers, aisément disponibles.
J’ai encore des informations à ajouter sur la biologie, l’anatomie, la taxonomie, ce sera pour plus tard, car j’ai des dessins à effectuer d’abord, donc à suivre !