Roka Ouran a écrit :D'ailleurs sur nombre d'aspects je suis lâche et paresseux. Mais pas pour les choses de l'esprit. Je pense que c'est de ça qu'il parle et et c'est aussi dans ce sens que je conçois le fait d'être ou non adulte.
À l'autre extrême, pour certains, les questions intérieures et la réflexion ne sont que de la "branlette" et être adulte ça veut dire "avoir des couilles" (inverse possible de lâcheté) et "se tirer les doigts du cul" (inverse possible de paresse).
Je me permets de réagir là dessus, bien que je ne sois pas très bercé dans la philosophie, car quelques éléments récents du débat m'ont légèrement dérangés.
En particulier, cette citation entre en résonance avec une forme de généralisation que je ne trouve pas appropriée.
Rostay a écrit :De plus, les premières questions existentielles nous viennent d'abord dans la phase d'introspection ("Qui suis-je ?" qui deviendra ensuite "L'homme est-il ?")
Si je ne rejette pas le processus décrit, j'ai l'impression que c'est une forme de tentative de définir "la nature" humaine. Et je suis particulièrement content parce Roka Ouran tu as mis en évidence l'existence de deux types d'humain différents. Et on peut imaginer qu'il y en ait bien plus.
C'est là, à mon avis, que la Science intervient. Puisque l'essence de la Science c'est de découper le monde. C'est tellement fondamental dans cet ensemble de disciplines, que toutes s'appuie sur un outil de dénombrement (un système de mesure, un système de classification), qui lui même ne sert qu'à découper de manière plus ou moins arbitraire le monde. J'en profite pour préciser que l'arbitraire n'est pas un défaut dans un système de mesure puisqu'il ne sert qu'à la comparaison (il ne nécessite donc que de la cohérence, et une forme d'impartialité afin de ne pas présenter de fluctuations internes, ce qui implique que toutes les unités de mesure d'un système doivent être reliées entre elles). La caractéristiques des sciences dures, est de s'appuyer très fortement sur les systèmes de mesures. Elles utilisent des groupes témoins qui permettent de centrer et normaliser les données (c'est à dire de définir un état paramétrique 0), ce qui permet à l'observation d'être totalement objective (puisqu'en normalisant les données on génère en réalité une comparaison libérée du système de mesure qui a été utilisé). En revanche, les sciences "molles" ont le défaut méthodologique de ne pas pouvoir centrer et normaliser ses données, ce qui fait qu'elles sont beaucoup plus sujettes à l'interprétation et aux biais de mesure.
Rostay a écrit :
Plusieurs fois la philosophie est traînée dans la boue, par les scientifiques obtus qui pensent que la philosophie freine la "VRAIE" connaissance, par les adolescents trop ethnocentriques et narcissiques, n'arrivant guère à s'élever au delà de leur monde.
Roka Ouran a écrit :
Ta remarque sur les scientifiques qui pensent que la philosophie freine la "vraie" science est on ne peut plus juste, il y a heureusement quelques scientifiques qui ont appris à raisonner sainement mais ils sont trop peu. Pour en fréquenter beaucoup, je constate que la plupart d'entre eux a appris à considérer que la philo, et les sciences molles en général, c'est "du pipeau".
Sans aller jusqu'à dire que les sciences molles sont du pipeau, leurs conclusions restent bien souvent (c'est à dire pas toujours) des intuitions, qui ne peuvent être considérées comme vraies qu'à partir du moment où elles permettent de définir un système d'évènements qui est cohérent avec les observations que l'ont peut avoir dans les situations s'y rapportant. Ce qui ne veut pas dire que les sciences dures sont exemptes de défauts. A trop vouloir découper le monde, elles finissent par se concentrer sur une pièce minuscule sans chercher à l'intégré dans le système dans lequel elle s'inscrit. C'est là que la philosophie (en tout cas une forme de philosophie scientifique) intervient, puisqu'en cherchant à englober un problème par tous ses aspects, elle permet de resituer un phénomène dans son contexte et par là même le progrès. De fait, les 3 approches sont en réalité nécessaire les unes aux autres, et se nourrissent mutuellement de leurs éclairages.
Pour autant la philosophie n'est pas sans défauts. En particulier, plus elle se veut générale et universelle plus elle est ancrée dans la vie de son auteur. C'est à dire dans une époque, dans un système de pensée, dans l'ensemble des paramètres de la vie de l'auteur.
[quote="Roka Ouran "
la philo est souvent inscrite dans son temps et vieillit ; pour la rajeunir, il ne suffit pas de la lire, il faut qu'elle résonne en nous, qu'on se l'approprie, qu'on la mette à l'épreuve du feu[/quote].
Je ne peux qu'être d'accord, la philosophie est un point de vue, qu'il se faut approprié en le confrontant à sa réalité, en gardant les éléments qui nous paraissent "vrais" et en rejetant les autres. Là où c'est intéressant, c'est qu'il ne s'agit ni plus ni moins que de la méthode scientifique qui confronte sans cesse la théorie à la réalité tout en reconstruisant une théorie.
Rostay a écrit :Ensuite, on est très peu éduqué à penser, pour moi, il est important d'avoir des bases philosophiques.
C'est pour se rendre compte par soi-même qu'il y a divers avis, et que, par conséquence, on puisse avoir NOTRE avis. Un avis non endoctriné.
Roka Ouran a écrit :
100% d'accord que ça devrait venir bien avant, de préférence avant la fin du collège.
Comment se fait-il que notre société considère que :
ou bien a) l'aptitude à penser par soi-même n'est pas suffisamment importante pour l'aborder aussi tôt que l'éducation civique, le dessin, la musique, la physique-chimie ou l'éducation sexuelle
ou bien b) les gamins sont trop stupides pour apprendre à penser par eux-mêmes tant qu'ils n'ont pas au moins 17 ans.
Rostay a écrit :
Je ne connais pas d'oeuvres traitant uniquement de ça. Les méditations de Descartes veulent montrer qu'il faut faire table rase de ses enseignements pour pouvoir atteindre la vérité (en plus d'adopter une méthode). Mais ils développent plein d'autres idées dedans.
La difficulté de l'enseignement à penser, ou à penser par soi même, c'est qu'on n'échappe jamais à l'endoctrinement. Soit on se déclare comme possédant la vérité, soit on se déclare comme possédant une méthode qui conduit à la vérité. Dans les cas, enseignement et penser par soi même ne peuvent coexister. La meilleure solution serait donc de montrer plusieurs façons de penser et d'indiquer qu'il en existe sûrement bien d'autres. Mais dans ce cas penser par soi même ne revient pas forcément à "bien" penser. Par exemple, il est indispensable de penser par soi même pour être complotiste, mais ce n'est aucunement un signe de qualité de la pensée. Donc si on encourage cet enseignement ci, il faut accepter les méthodes les plus inefficaces, ou alors il faut enseigner une méthode, et on ne pense pas véritablement par soi même, on pense comme il nous a été enseigné à penser. On retombe systématiquement sur les mêmes travers que ceux observés aujourd'hui.
Euthyphron a écrit :
Tous ces risques (sauf celui que je n'ai pas cité, qui me semble relever d'autre chose) ont deux points communs :
1) la pratique de la philosophie amène immanquablement à les courir.
2) en réalité, il n'y a pas vraiment de risque car il n'y a aucun danger.
Roka Ouran a écrit :
La philo, la vraie, celle où on réfléchit par soi-même, pas celle où on répète comme un perroquet, est subversive.
Krishnamurti (qui n'était pas le plus rigoureux des philosophes mais personne n'est parfait), a dit quelque chose du genre : "L'homme qui pense véritablement par lui-même n'est pas écouté. Parce qu'il représente un danger pour la société, la religion, les choses instituées".
Idem Spinoza (excommunié !) ou Nietzsche (brillamment incompris )...
Roka Ouran a écrit :
In fine, je dirais en effet qu'il n'y a aucun danger, puisqu'il est plus sûr d'être lucide que de vivre dans l'ignorance de nous-mêmes et du monde.
En réalité, il existe bien un risque à être subversif et à penser par soi-même. Il s'agit de l'exclusion. Et ce risque n'est pas négligeable, parce qu'on ne peut vivre isolé. De fait, vivre dans l'ignorance en suivant le mouvement est parfois plus sûr que d'aller lucidement à contre courant. Clairement de mon point de vu, l'une des priorités du libre penseur devrait être de s'assurer une sécurité, celle de pouvoir subsister malgré le rejet.
Voila, pour ce qui est de mes réactions. Pour ce qui est de savoir si la philosophie est une thérapeutique, ce me semble une évidence. Je ne peux considérer que deux solutions :
-soit la philosophie ne sert à rien, elle est alors un bienfait dans une vie tourné vers l'utile à tout moment
-soit la philosophie sert à mieux vivre, et dans ce cas, elle guérit.
"Les gens aiment bien inventer des monstres et des monstruosités. ça leur donne l'impression d'être moins monstrueux eux-mêmes." Andrzej Sapkowski