J'ai l'impression en lisant ces posts que le problème vient moins du fait de reporter au lendemain que le cercle vicieux culpabilité/anxiété qui en découle, et l'inévitable souffrance qui l'accompagne.
Si la différence entre la flemme et la procrastination est la façon dont on a de le vivre, alors vive la flemme! Luttons contre le stress et non contre la procrastination!
Une solution ne serait-elle pas d'accepter tout simplement ce mode de fonctionnement comme étant une donnée de base, puis apprendre à en tirer avantage? Procrastiner à son profit, en quelque sorte... Ne pas considérer que la "vague thermonucléaire d'activité" est notre régime de base, mais que l'on fonctionne par alternance activité/glande, et qu'au final les choses sont faites. Pourquoi l'activité devrait-elle être uniformément répartie dans le temps? L'important n'est-il pas le résultat et non le processus? Attendons les deadlines tranquillou... La pression monte? Tant mieux! Ça permet d'abattre un boulot dingue n'ayant aucun rapport avec la tâche en question...
Il y a des universitaires de haut niveau, considérés comme des bourreaux de travail, qui avouent qu'ils passent leur temps à remettre à après-demain ce qu'ils auraient dû faire avant hier et expliquent comment ils en ont fait une force:
http://www.philomag.com/les-idees/procr ... n-nom-6057
Je copie/colle l'article, déculpabilisant au possible:
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"Procrastination, j'écris ton nom"
Voici des mois que j’aurais dû écrire cet essai. Pourquoi ai-je fini par m’y mettre ? Parce que j’ai du temps libre ? Eh non ! J’ai des copies à corriger, des commandes bibliographiques à passer, un projet de la National Science Foundation à évaluer et des thèses à diriger. Si j’ai décidé de me lancer dans cette entreprise, c’est justement pour me soustraire à toutes ces corvées. Telle est l’essence de ce que j’appelle la procrastination structurée, stratégie épatante dont j’ai découvert qu’elle transforme les procrastinateurs en foudres de guerre, respectés et admirés pour leur zèle infatigable et le bon usage qu’ils font de leur temps.
(Une stratégie dont je revendique, sinon la découverte, du moins la redécouverte : en 1930 déjà, dans une chronique du Chicago Tribune parue sous le titre “Comment venir à bout de vos corvées”, l’humoriste Robert Benchley [1899-1945] affirmait qu’“il est possible de tout faire, à condition de ne jamais faire exactement ce que l’on est censé faire”. Benchley venait de mettre le doigt sur un axiome fondamental, qui n’a sans doute pas échappé à d’autres fins connaisseurs de la nature humaine. Un jour, il faudra que j’approfondisse ces recherches…)
Procrastiner, c’est remettre au lendemain ce que l’on devrait faire le jour même. La procrastination structurée est l’art de mettre à profit cette faiblesse de caractère. Mais, attention, procrastiner n’équivaut pas à ne rien faire du tout. Le procrastinateur est rarement inactif : il s’adonne à des activités utiles mais marginales, comme jardiner, tailler des crayons ou griffonner un diagramme qui prévoit comment classer ses dossiers. Pourquoi s’emploie-t-il à ces activités ? Parce qu’elles sont prétexte à se soustraire à une tâche plus importante. Si le procrastinateur n’avait rien d’autre à faire que de tailler des crayons, aucune force au monde ne pourrait l’y pousser. Afin qu’il soit motivé pour s’acquitter d’une besogne pénible, urgente et importante, il faut que celle-ci lui permette d’éviter une autre besogne plus importante encore.
La procrastination structurée consiste à organiser la liste des choses que vous avez à faire de manière à pouvoir tirer parti de ce constat. Dans votre esprit, voire sur un bout de papier, vous allez classer par ordre d’importance les corvées qui vous incombent. Celles qui vous semblent les plus urgentes et les plus importantes seront en tête de liste. Mais, plus bas, figurent aussi des tâches incontournables : s’y consacrer est un bon prétexte pour ne pas s’acquitter des tâches prioritaires. En jouant sur les divers niveaux de priorité, le procrastinateur devient un citoyen utile qui peut même, comme moi, acquérir une réputation de bourreau de travail.
En termes de procrastination structurée, mon expérience la plus marquante remonte à l’époque où mon épouse et moi-même étions chercheurs résidents à Soto House, une cité universitaire de Stanford. En fin de journée, alors que j’avais des copies à corriger, des cours à préparer, des charges administratives à remplir, j’allais jouer au ping-pong avec les étudiants, bavarder dans leur chambre ou lire le journal. J’ai acquis la réputation du plus sympa des chercheurs résidents et l’un des rares profs du campus disponible et qui s’intéressait aux étudiants. Imaginez un peu : passer ses soirées à des parties de ping-pong pour ne pas s’employer à des activités plus importantes, et acquérir ainsi une réputation de maître à penser !
Souvent, les procrastinateurs s’y prennent tout de travers. Ils s’efforcent de réduire autant que possible leurs engagements en partant du principe que, s’ils ont peu de choses à faire, ils arrêteront de procrastiner et les accompliront enfin. Cette stratégie va à l’encontre de la nature même du procrastinateur : elle annihile sa motivation principale. Les quelques corvées qui demeurent sur sa liste seront forcément les plus importantes et le seul moyen de s’y soustraire consistera à ne rien faire du tout. C’est la recette assurée pour devenir un sinistre glandeur.
Vous vous demandez peut-être : “Mais qu’en est-il des tâches prioritaires, celles que l’on ne se résout jamais à faire ?” En effet, cela peut poser problème. L’astuce consiste à bien sélectionner les projets qui méritent d’être placés en tête de liste. Ils doivent présenter deux caractéristiques : être soumis à des délais contraignants (mais pas tant que ça) et être terriblement importants (mais pas tant que ça). Par chance, ce type de tâche ne manque pas. Dans le milieu universitaire, comme dans la plupart des grandes institutions j’imagine, l’immense majorité des travaux relève de cette catégorie. Prenons l’élément qui se trouve en haut de ma liste en ce moment : rédiger une contribution pour un recueil sur la philosophie du langage. J’aurais déjà dû rendre mon texte il y a onze mois. Entre-temps, pour m’y soustraire, j’ai abattu une quantité de travail impressionnante. Il y a quelques mois, pris de remords, j’ai adressé une lettre à l’éditeur pour m’excuser de mon retard et l’assurer de mes bonnes résolutions – la rédaction de cette lettre étant évidemment prétexte à ne pas rédiger mon article. Finalement, il s’est avéré que je n’étais pas le seul contributeur à avoir pris du retard. Et, de toute façon, cet article est-il vraiment si important ? Sûrement pas assez pour qu’une tâche plus importante encore ne vienne s’y substituer. À ce moment-là, je m’y mettrai.
Autre exemple : les formulaires de commande de manuels universitaires. Nous sommes au mois de juin. En octobre commence mon cours sur l’épistémologie. J’aurais déjà dû faire parvenir ma bibliographie à la librairie universitaire. Incontestablement, ce pensum est prioritaire et urgent (pour ceux d’entre vous qui ne seraient pas procrastinateurs, précisons que les délais commencent à être pressants une semaine ou deux après leur échéance). Le secrétariat ne cesse de me relancer, les étudiants viennent me demander quels sont les livres au programme. Et les formulaires restent à l’abandon sur mon bureau, juste au-dessous d’un paquet de chips entamé. Cette tâche est numéro un sur ma liste ; elle me tracasse et me motive à faire d’autres choses utiles mais a priori moins importantes. Or, en réalité, la librairie est occupée à traiter les commandes déjà transmises par les non-procrastinateurs. Si j’attends le milieu de l’été pour envoyer les miennes, ça ira. Il suffit que je prescrive des manuels connus, publiés par des éditeurs diligents, comme je le fais toujours. Et il est à prévoir que, d’ici début août, j’aurai à m’acquitter d’une autre tâche apparemment plus importante : pour m’y soustraire, il faudra bien que je me décide à remplir lesdits formulaires de commande.
Il n’aura pas échappé au lecteur attentif que la procrastination structurée requiert une bonne dose de mauvaise foi, puisqu’elle repose sur une constante arnaque pyramidale contre soi-même. Il s’agit d’éviter des tâches à l’importance exagérée et aux délais irréalistes, en se persuadant qu’elles sont véritablement décisives et urgentes. Facile, dans la mesure où presque tous les procrastinateurs ont un talent particulier pour se mentir à eux-mêmes. Et quoi de plus noble qu’exploiter un défaut de caractère pour contrecarrer les conséquences fâcheuses d’un autre ? »
La Procrastination. L’art de remettre au lendemain / John Perry
Une autre facette de la procrastination positive: quand elle se fait symptôme. Si la procrastination devient massive dans un domaine particulier (ex: le travail), c'est peut-être un signal pour aller voir ailleurs, qu'il est judicieux d'écouter et non de combattre... Et mettre son énergie dans la recherche d'un quotidien réellement enthousiasmant plutôt que de luter contre soi-même indéfiniment. On se pense paresseux jusqu'au jour où on se rend compte que ce n'est pas un problème d'auto-discipline mais d'ennui profond! Ne pas laisser s'installer une souffrance dans la durée...
Un petit conte pour finir:
"On raconte qu'il existe en Chine une variété de bambou tout à fait particulière. Si l’on sème une graine dans un terrain propice, il faut s’armer de patience… En effet, la première année, il ne se passe rien, aucune tige ne daigne sortir du sol, pas la moindre pousse. La deuxième année, non plus. La troisième ? Pas davantage. La quatrième, alors ?... Rien ! Ce n’est que la cinquième année que le bambou pointe enfin le bout de sa tige hors de terre. Mais il va alors pousser de douze mètres en une seule année !
Que s’est-il passé ? La raison est simple, durant cinq ans, alors que rien ne se produit en surface, le bambou développe de prodigieuses racines dans le sol grâce auxquelles, le moment venu, il est en mesure de grandir très rapidement."
Voilà, donc la prochaine fois qu'on vous traitera de procrastinateur/flemmard/glandeur, y compris votre censeur intérieur, vous pourrez répondre: "je suis un bambou chinois cher ami, et je vous ris au nez."