Merci à Kayeza d'avoir remonté ce post fort intéressant.
Je ne me suis jamais questionné sur cette notion de "film intérieur". Et pour cause, ça fait tellement partie de ma vie que ces films intérieurs m'ont toujours semblé aussi naturel que de manger ou dormir. Vous lire il y a quelques jours m'a donné soudain conscience de l'ampleur et du rôle qu'ils prennent chez moi... Après y avoir réfléchi quelques jours, voici mon expérience sur le sujet.
Si je reprends la classification de Mlle Rose :
I/ anticipation, oui. C'est au coeur de mon fonctionnement.
D'une certaine manière je vis beaucoup dans mon futur... Il y a bien sûr la préparation à un événement prévisible (ex. un entretien, un rdv, un événement programmé...). Pour ne pas prendre un innombrable exemple tiré du boulot ou des études, je peux parler de l'accouchement de mon petit.
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Les mois précédents, pas un jour ne s'est passé sans que je m'imagine cet événement dans les moindres détails, et en particulier le rôle que je devais tenir pour que ça se passe bien. Par exemple j'ai fait un nombre incalculable de fois le parcours jusqu'à la maternité dans ma tête, en imaginant ce qui pourrait se passer sur la route. C'est comme ça que j'ai pris conscience que sur un créneau de 2h ma route risquait d'être bloquée par le Tour de France... Arghhh ! Et me voilà du coup à la préf demander comment faire au cas-où...). Bref. Le moment venu, j'ai affronté sans le moindre problème ; j'ai pu assister à l'accouchement malgré ma phobie du sang (!) ; mais étrangement, j'en garde très peu de souvenirs.
Tout ça pour dire quoi ? Cette anticipation par le film intérieur est pour moi un moyen de vivre mes émotions à priori (parfois violemment). Le moment venu, je ne fais que revivre du déjà-vu, dérouler un film connu avec des émotions beaucoup moins intenses, donc beaucoup plus gérables. C'est diablement efficace. Avec évidemment quatre limites induites :
- parce que j'envisage toutes les options, je prends au final une charge émotionnelle (via ces films) beaucoup plus forte qu'en ne vivant en vrai qu'une seule option. ça mobilise également un temps et une énergie folle.
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je ne vis jamais l'instant présent à la hauteur de l'événement.
- Sauf si... Je suis pris par surprise ; mais là c'est généralement terrible, la panique complète, je ne suis pas prêt et c'est ingérable... Perte intégrale de mes moyens, vague émotionnelle insurmontable, beaucoup de dégâts à la clef. Avec le temps, j'ai appris une parade : me mettre en "stand-by" pour repousser l'explosion de quelques heures. ça m'évite par exemple l'explosif en public ou en situation de crise, mais ça ne marche que quelques heures avec un effet cocotte-minute dévastateur...
- dans tout les cas, nombreuses difficultés "sociales" inhérentes à ce fonctionnement :
je ne suis pas dans le moment présent en même temps que les autres. Je ne les comprends donc pas, et eux non plus.
II/ la réassurance narcissique : et oui... C'est tellement dur de ne pas être aussi bien qu'on voudrait être... Tellement agréable de s'imaginer, quelques minutes, être... mieux. Quelqu'un de "classe" comme tu dis. Me rêver dans toutes les situations que je n'ai pas les moyens, ou ne me donne pas les moyens, de vivre en vrai.
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ça va du simple (être un type meilleur dans ma vraie vie) au délire (me retrouver au coeur du pouvoir à faire plein de choses géniales pour les Hommes et la planète). Voir parfois au très noir (j'ai parfois tellement envie de tout péter que je me rêve en affreux terroriste... problème : même en rêve je me révèle incapable de faire du mal à une mouche

). Ou à l'imaginaire pur (moi aussi je "vole" dans mes rêves... pas vraiment voler, plus pouvoir sauter très haut et très longtemps en me dirigeant à peu près... et c'est GENIAL !).
En tout cas... dans chaque cas de figure,
ça rassure, ça défoule, ça fait du bien.
III/ la réécriture. je rajoute une catégorie, pour moi à part entière, que tu as mentionnée plus bas dans ton post, et que d'autres ont évoqués aussi (W4X) : Je m'explique. J'ai vécu un truc, important ou pas, qui ne m'a pas plus. Et ça, c'est vraiment pas cool.
Alors je revis la scène, une fois, dix fois, cents fois, en imaginant ce que j'aurais pu faire pour que ça se passe mieux. Souvent ça dure peu, et je suppose que ça m'aide, un simple rôle de "retour d'expérience" à exploiter dans l'avenir. Parfois, ça vire moins bien ; je m'y enferme beaucoup trop longtemps, je m'en veux de ne pas avoir bien réagi, ça me mine. J'imagine qu'à l'excès, ça pourrait prêter confusion avec la réalité, au point de tronquer ce qui s'est réellement passé, même si ça ne m'est jamais arrivé (enfin.. je crois ? ;-) )
IV/ la fuite : oui, excellent moyen que j'utilise dès que j'ai besoin de m'occuper le cerveau : soit que je m'ennuie (voyage, attente), soit que je veux en effacer une autre pensée (je me lance dans un film intérieur pour oublier autre chose), soit enfin pour m'endormir. Par contre, la fuite, ce n'est pas vraiment pour moi une classification en soit, plus un mode d'utilisation des deux schémas ci-dessus : les films que je me passe dans ces moments là relèvent toujours d'une des trois catégories ci-dessus.
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Ce constat fait, Kayeza relance une bonne question :
comment l'utiliser ? Comme je ne m'étais jamais posé la moindre question sur ces films intérieurs, je ne me suis encore moins jamais demandé quoi en faire. Ils me servent c'est certains, tout le temps, peut-être trop parfois. En positif (quelle arme redoutable en oral de concours ou en entretien d'embauche, par exemple !) ; en négatif aussi (enfermement, décalage...). Au final à l'heure actuelle, j
e pense qu'ils jouent surtout un rôle d'AMPLIFICATEUR de mon état. Je vais bien : ces films se passent bien, sont selon les cas sources de bien-être, armes fatales de la réussite, générateur d'énergie. Je vais mal : les films se passent mal, jouent un rôle d'enfermement dans le mal-être, d'aggravation des situations ; ou alors le système d'anticipation fonctionnant aussi moins bien, je perd la préparation/anticipation qui fait ma force, donc je me sens faible et désarmé.
L'idée pourrait-être du coup de faire une utilisation plus consciente de ces films, je crois comprendre que c'est ce que tu fais, Kayeza ? En prendre un contrôle plus fort, plus précis, pour pouvoir orienter ton esprit dans une voie consciemment. Bon, encore faut-il être en état de bien choisir ses voies sinon je pense que ça peut-être super dangereux :-(
Mon gros problème du moment, par exemple :
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je n'arrive pas à finir les travaux de ma salle de bain. Cas typique de procrastination... Cette salle de bain me préoccupe beaucoup. Donc est très présente dans mes films intérieurs. Faire des travaux dans une pièce, ça passe chez moi par un très long moment (je parle en mois...) à imaginer cette pièce telle qu'elle sera après travaux. Du coup, j'en sors généralement des résultats hyper fonctionnels (avec tout le temps que j'ai passé dedans avant qu'elle existe, j'ai eu le temps d'en voir tout les défauts et d'y remédier !!!). Mais ça prends un temps monstrueux, pendant lequel je donne l'impression de ne rien faire (c'est sûr, il faut se mettre à la place de Madame qui attends sa baignoire et me voit passer des heures assis sur une chaise au milieu du chantier...). ça m'amène à beaucoup complexifier chaque chose pour faire un truc au top (dispute récente avec mon beau-père : "une salle d'eau, il faut un robinet de lavabo et une douche, ça fait quatre points de soudure à faire. Tu peux m'expliquer pourquoi ton installation en compte 53 ???" Heuuuu...), donc augmente le temps de réalisation. Et ça diminue beaucoup l'effet "récompense" (snif, snif, je suis une âme d'enfant puéril qui a besoin de la carotte pour avancer), parce que j'ai tellement imaginé le produit fini que le voir en vrai ne m'apporte rien de plus, voire bien souvent de l'insatisfaction (je ne suis pas arrivé à faire aussi bien que dans mes films, ce que je prends comme décevant et décourageant).
Bref, il y a du positif dans cette utilisation incontrôlée du film intérieur (ça permet, par une bonne préparation/anticipation de faire un truc bien), il y a du négatif aussi (le film me prends trop de temps, et me pousse vers une perfection inaccessible et in fine démobilisatrice). Peut-être pourrais-je :
- Introduire une part de défaut "admissible" dans mes films
- Essayer de contrôler le temps que j'y consacre (plus facile à dire qu'à faire)
- Prolonger le film à plus long terme, en ne visant pas le simple fait du résultat et la projection sous l'angle "utilitaire" (je fais ceci, c'est pas pratique, ça serait mieux comme ça), mais de l'utilisation de ce résultat : montrer fièrement ma salle de bain à mes visiteurs, faire craquer par sa qualité les acheteurs à la revente, ou plus simplement, être heureux dedans)
- Je ne me "filme" jamais en train de faire les travaux, bizarrement. Je ne sais pas si ça servirait à quelque chose. Peut-être que ça faciliterait le passage à l'action. A force de me "filmer" en train d'utiliser le produit fini, peut-être que ça participe à "oublier" de faire les travaux pour y parvenir... Peut-être qu'un tel film ("je fait joyeusement mon enduit chaux sur mon mur en écoutant de la bonne musique et l'esprit lavé de toute pensée trop prenante"), éventuellement tant qu'à faire "projeté" sous auto-hypnose, me conditionnerait un peu mieux...
affaire à suivre ?