Alexandre Vialatte, chroniqueur fameux, débute ainsi, en 1964, sa "racontée" du pays :
Si cela vous convient, je tenterai la chronique par épisodes - si je ne tente pas un peu d'organisation ça va dépasser les frontières de l'arborescence. Et comme il faut bien commencer par un bout du monde auvergnat, je voudrais d'abord vous parler de l'eau, des eaux et de leurs noms en auvergnat (la plus nordique des langues d'oc) :
Chapitre 1
Fons, gours et couzes.
Au fond de mon jardin passe, vive, rapide et silencieuse, une petite rivière nommée l'Auzon (grâce à laquelle nous arr'Auzon


Tous les ans au début de l'été, nous sommes invités à rejoindre la dream team qui nettoie les berges et le cours, en papotant des nouvelles locales, nationales et régionales dans les premières chaleurs qui transforment les rives en jungle endormie. On gagne un apéro mémorable !
Une voisine me fait découvrir René Crozet, et son répertoire des "sources miraculeuses", me promène dans les petits recoins de notre paysage proche où ces "fons" se cachent, ici et là.
"D'après la carte des eaux minérales du Docteur Petit, dressée au siècle dernier (19éme) on peut compter plus de quatre cents sources dans le département du Puy-de-Dôme ; c'est dire qu'il bat tous les records. Il le doit à ses structures volcaniques.
Le Massif Central, à l'encontre d'idées reçues, s'il est bien un centre de dispersion des eaux n'est pas un immense réservoir. Il paraît peu logique d'en rencontrer dans des massifs granitiques alors que sous des couches sédimentaires ces réserves naturelles d'eau semblent plus à leur place. Par contre grâce à ses innombrables failles géologiques par où montent les eaux juvéniles, nos extraordinaires sources de vie, notre Massif serait plutôt une pompe à pression poussant l'eau au travers de cribles fins qui auraient le Puy-de-Dôme comme centre de gravité. Nous serions donc générateur d'eau et non réservoir; Mais peut-être ne verrez-vous là que des subtilités de spécialistes ou autres géologues et il ne m'appartient pas de résoudre quelque théorie que ce soi : je constate.
Je constate que nous sommes les plus riches détenteurs d'eaux merveilleuses et, qu'hormis nos stations thermales où elles ont leur emploi, nous laissons se perdre un capital santé inestimable.
[...]
Un autre coup de fil de M.Caneparo, des Martres de Veyre, me joint. Mon interlocuteur me demande si je peux passer le voir.
- Nous avons plusieurs sources minérales sur la commune mais les eaux des Saladis sont extraordinaires. Il y a deux jours ma mère est tombée, tête en avant sur le bitume. Sa figure n'était qu'un hématome. On est allé lui chercher de l'eau du Petit Saladi, le soir elle était totalement décongestionnée, il ne lui restait plus qu'un bleu. L'eau de nos Saladis est un remède souverain dans toutes les dermatoses.
Le fils de la maison veut bien m'accompagner.
Nous prenons le chemin des Cavaliers. Pourquoi des Cavaliers ? M. A..., au Sail l'autre jour, m'en a donné une explication :
- Les Romains, pas fous, qui mieux que personne connaissaient bien les vertus de nos eaux, y conduisaient leurs chevaux qui avaient été blessés au cours de combats. Et peut-être au siège de Gergovie ! Ces sources sont profondes, les chevaux pouvaient y entrer en entier, après quoi ils guérissaient très vite.
J'ai trouvé, au soleil couchant, deux bassins : un grand et un petit, d'un magnifique vert, entourés d'un dépôt blanchâtre. Ils s'étalent en rase campagne dans la plus parfaite nudité. Comme au Sail, rien ne pousse alentour, on n'y voit ni oiseaux ni insectes. J'y suis encore revenu le lendemain où un magnifique soleil, tout le jour, me permit de prendre quelques clichés et de connaître encore : le Cornet, le Tambour, la Font de Blé et Saint-Martial. Cette dernière source jaillit dans le lit même de l'Allier ; on la devine aux bulles de gaz qui viennent s'éclater en surface.
[...]
Déjà, en 430, Sidoine Apollinaire en faisait l'éloge comme, en 595, Grégoire de Tours. Sous Louis XIV, François Pommerol, capitaine aux gardes, nous dépeint, tel un autre Brantôme, les belles et honnestes dames qui buvaient les eaux mélangées à de l'anis et du coriandre. On voit encore, tout près des anciens fours de poteries gallo-romaines, une croix en pierre, portant les armes de Diane de Poitiers, érigée le long du chemin des Cavaliers qui mène des Martres aux Saladis ; nous ignorons malheureusement la nature des humeurs peccantes dont la maîtresse de Henri II se trouva guérie. Son témoignage de reconnaissance est là, défiant les siècles, comme le moulin de la Reine rappelle le passage aux Martres de Catherine de Médicis. Un certain Raulin, en 1774, affirme que Colbert dut aux sources Sainte-Marguerite, le rétablissement de sa santé. "
Par un beau matin d'été dernier, donc, ladite voisine nous emmena découvrir les fonts proches et bénéfiques des Saladis, Tambour et Cornet, que de discrets panneaux signalent à ceux qui savent où les chercher. Ma voisine mentionna la rude lutte qui se fit il y a peu entre des pouvoirs publics peu désireux d'y voir un patrimoine à protéger, et des usagers amoureux fermement décidés à protéger les sites et à les garder publics. Ils l'ont emporté, par chance !
J'ai tenté l'eau salée du petit Saladi sur un petit eczéma tenace qui s'en est allé définitivement ... La source du Tambour reste ma préférée, son eau a un goût délicieux de terre, de feuilles, de pluie, elle contient plein de fer et est réputée pour soigner les dépressions.

Prise d'une vraie passion pour ces lieux secrets, discrets où naissent les sources, je me suis baladée dans tous les environs avec les descriptions de M. Crozet, ce qui m'a permis de goûter des eaux exquises au milieu des abeilles et des pâturages, dans un calme absolu, avec la bénédiction des vaches et de leurs propriétaires amusés.
Et, accessoirement, de remonter tous mes taux de minéraux sanguins et de péter la forme comme jamais !
Enfin, juste à côté, sont exploitées très localement les sources de Sainte-Marguerite, qu'on trouve en bouteille dans les supermarchés du coin, et sur ma table car elle est délicieuse.
http://www.eauvergnat.fr/une-belle-deco ... marguerite
Plein de légendes, sûrement très anciennes pour certaines, sont attachées aux sources du département. Il y a de beaux geyser à voir aussi, certaines de ces sources remontent de près de 4000 m pour remplir nos verres et sont chaudes, totalement stérilisées, très minéralisées et parfois ... imbuvables ! Dans les dépôts qui entourent certaines sources, des vestiges d'offrandes remontant à l'époque néolithique ont été retrouvés, on imagine avec quelle gratitude certains chasseurs-cueilleurs fourbus et frigorifiés se sont réfugiés auprès de ces sources de chaleur invariables pour soigner leurs engelures.
Née d'une source elle aussi, ma jolie Auzon a un débit puissant qui ne se tarit jamais, même au plus fort de l'été.
Mais elle n'est qu'une petit fille des eaux ; la prochaine fois je vous parlerai des couzes.
Aujourd'hui, auprès des sources, on ne croise pas grand monde, mais ... on n'y est jamais longtemps seul ; rien ne s'oublie vraiment
