Je ne crois pas à la mort. Ou plutôt : au concept tranché qui divise nettement les êtres et choses entre leur
avant et leur
après.
La mort serait l'expérience de l'absence, qui ne peut être expérimentée, donc c'est avant tout une expérience au second degré, donc une projection, une recomposition. Donc, non pas une expérience directe, mais l'
idée d'une expérience, une soustraction mentale qui exige d'imaginer un possible qui n'est pas. Que ce soit sa propre mort ou celle d'autrui.
Toutefois, la sournoise mort est bien plus présente à/dans chaque instant que la version solennelle et triste qu'on veut bien nous présenter comme la seule - lyrique et tragique.
J'explique.
Mon passé est mort, sauf à fragmentairement le pseudo-ressusciter mentalement.
Quand je serai mort, je n'aurai plus de présent mental
disponible pour pseudo-ressusciter mon passé.
Mais ce passé sera tout aussi mort que maintenant, objectivement, factuellement.
Un autre pourra le ressusciter différemment (mais tout aussi mentalement et facticement), en évoquant mon souvenir, mes ronflements, mes blagues nulles, mon art du barbecue.
Non seulement mon passé sera mort, mais en plus il m'échappera. Mon droit de réponse sera aboli.
Ca flatte et froisse mon égo, mais ça reste envisageable.
Reste donc le présent pendant lequel je ne suis pas mort. Par définition.
Enfin, la mort des autres ? Un manifeste anéantissement de la conscience constatée chez le macchabée, conscience exprimée d'ordinaire par sa capacité à communiquer, me suggère fortement que le mort est bel et bien mort.
Mais pas moins -dans les faits bruts constatables- que celui à qui je ne suis pas en train de parler, ou à qui j'ai parlé ou parlerai. Est vivant
réellement ce que j'expérimente dans l'instant.
Le reste, mort, vivant, etc... est du domaine de l'imaginaire, tant qu'il n'est pas actualisé dans mon champs de vision/perception/conscience.
Dans mon flux de conscience prisonnier de l'instant, si vie il y a elle n'est que en ce moment infime et infini du présent. Tout le reste est mort effectivement, et vivant potentiellement, prêt à être ressaisi et ressuscité par ma conscience au mieux, par ma mémoire au pire.
J'ai mis plein de mots ampouleux comme "conscience" pour donner un petit cachet sérieux à ces considérations.
Résumons, à l'américaine:
- est vivant ce qui est présent dans l'instant
- est mort ce qui est absent à ma conscience
- le passé est mort objectivement
- je peux ressusciter mentalement des trucs, mais des fantomes
- je peux imaginer/affirmer que des trucs sont morts ou vivants mais hors de mon champs de conscience, pas de différence réelle entre un cadavre et un absent
Le combat pour vivre et faire vivre le monde est un acharnement sauvage de la perception et de la pensée pour s'inscrire délibérement, envahissamment et monstrueusement dans l'espace de l'instant, et comprendre totalement que tout ce qui ne l'occupe pas n'est pas mort "conceptuellement" mais est
comme mort dans la realité vécue.
Par contraste, ce qui occupe cet espace mental immédiat doit être perçu avec l'acuité et l'attention maximum, car seul cela est véritablement vivant - certainement, directement, réellement.
Bref, ignorons ce qui est "mort" au sens large, et attachons nous désespérément au "vivant", au delà des significations clichés de ces concepts, dans la manifestation réelle du quotidien (c'est pas là/c'est là).
Voilà j'espère avoir été assez opaque.
Celui qui a lu et celui qui a écrit ce post sont morts, l'un comme l'autre. Ce qu'ils furent n'est plus et ne sera jamais plus.
Pas besoin de cérémonies, de mélancolie, de marbre, de fleurs et de discours pour ressentir à quel point chaque instant disparait dans le néant. Chaque instant est un décès et une renaissance.
Seule une
idée de la vie et la continuité d'une mémoire fragmentaire nous permettent d'opposer à la présence et au travail objectif de la mort une bien faible objection, toute de mots indignés et d'affirmations qui ne reposent que sur le bruit qu'elles font avant de disparaitre à leur tour...
Moi ça me poigne terrible, pas vous ?
