CHRONIQUE DE LA MODE
Les toilettes de deuil se portent malheureusement en toute saison ; nul n'est exempt de sa part de douleur en
ce monde, et les fêtes de la Toussaint, qui reviennent chaque année, semblent encore raviver nos chagrins et étendre un nouveau voile de deuil sur nous et les nôtres.
Cette date nous amène tout naturellement à parler des différentes étoffes employées pour les costumes de deuil.
Le cachemire noir se place toujours en première ligne, et on le garnit de crêpe anglais en plus ou moins grande profusion suivant ses moyens personnels, car il est bien entendu que plus la robe est recouverte de crêpe, plus riche et plus important est le deuil. Ce qui ne veut pas dire qu'on doive porter le même deuil pour un père ou un oncle ou un cousin ; les règlements établis à cet égard ne sont plus qu'une question d'étiquette et de savoirvivre que l'on est tenue de ne pas ignorer.
Après le cachemire, on a le choix entre le mérinos, la vigogne et le crêpe de laine, puis le crépon de laine, les cheviottes, les armures, l'armure grenadine, les lainages nouveautés et les croisés hindous. Viennent ensuite les fantaisies demi-deuilnoir et blanc, gris et blanc, pékinés, quadrillés ou écossais, en lainage ou en soie suivant la saison. Les teintes grises unies, prune, pensée, héliotrope, et le blanc, lilas, mauve, violet clair ou foncé rentrent dan s le demi-deuil et peuvent donner de très élégants costumes; le tulle, le foulard, le surah en été, le velours noir en hiver avec riches ornements de jais ou de rubans noirs, en soie ou en velours, et toutes les garnitures nouvelles d'actualité.
Le deuil de veuve se porte au bas mot un an et six mois; les douze premiers mois en robe longue en cachemire, vigogne et crêpe de laine successivement avec garnitures de crêpe anglais.
D'abord la robe longue avec tablier tout en crêpe anglais, et très haute garniture de même crêpe dans le bas tout autour; puis la robe longue garnie de même d'un haut biais de crêpe anglais tout autour; ensuite on diminue le biais ; on peut en mettre plusieurs superposés; • puis de simples quilles, des panneaux et des dépassants. Les six derniers mois on peut aborder le costume de laine, crépon, armure ou tout autre tissu nouveau avec ornements de crêpe brodé, des passementeries et du jais mat, de la dentelle ou de la fourrure, astrakan, loutre, karakul, skungs, renard noir et toute fourrure sombre. Au bout des six mois, les ornements de jais brillants et toutes les fantaisies du demideuil. Il est des veuves qui ne s'en tiennent pas aux règles strictes du savoir-vivre, et la plupart, disons-le très haut, prolongent le grand deuil plus de deux ans, avant de vouloir porter le demi-deuil, quand elles ne le portent pas toute leur vie. Nous nous inclinons devant ces, femmes inconsolables et ne parlons ici que des règlements admis et reconnus par la société, laissant à chacune le droit de prolonger plus ou moins longtemps son deuil, suivant le degré d'affection qui la guide. Les corsages se font en harmonie de garniture avec la jupe ; les manches tout en crêpe, les corselets de crêpe, les larges plastrons de crêpe, les basques rondes, découpées ou habit, les hauts cols et les ruches s'allient avec les douze premiers mois.
Ensuite, on peut porter les poignets longs seulement en crêpe; la ceinture Directoire, les revers, le col; peu à peu, les poignets se recouvrent de plusieurs biais, puis le tour du corsage est orné d'un simple bais, et enfin, avec les six derniers mois, le crêpe brodé, la passementerie et le jais mat en plus ou moins riche garniture au goût de celle qui le porte.
Le châle est de rigueur pour les premières semaines du deuil; il peut se remplacer ensuite par un long vêtement orné de larges bandes de crêpe anglais; ou avec étole de crêpe devant; appliques de crêpe dans le dos et sur les panneaux de côté; avec pèlerine tout en crêpe anglais, manches de crêpe. L'hiver, le manchon de crêpe anglais, puis de cachemire et crêpe avec nœuds de crêpe, et enfin le manchon de fourrure avec le manteau garni de fourrure les six derniers mois. Le chapeau tout en crêpe, avec biais de crêpe blanc, brides de crêpe noir d'abord, puis de crêpe blanc ensuite.
Le long voile tombant sur le visage se conserve en général aussi longtemps qu'on porte le châle en pointe, puis on le fixe derrière le chapeau, et l'on continue de le porter ainsi pendant lapremière année. La plupart l'épinglent en arrière, à la taille, d'une façon très seyante. Les bijoux de jais mat ne se portent même pas immédiatement; ensuite on les varie à l'infini, et la seconde année on les porte en jais brillant, en fantaisie lorsqu'on porte le demi-deuil : pensées, violettes, pervenches, améthystes, perles et diamants.
Les bas restent toujours noirs, soit de soie ou de fil d'Ecosse ; les gants sont en suède la première année, puis en chevreau glacé ensuite. Le parapluie est noir avec manche noir d'abord, puis d'argent pour le demi-deuil ; l'ombrelle noire recouverte de crêpe ou de biais ou de volants festonnés de crêpe avec manche de bois Doir, de jais taillé et d'argent.
Le deuil terminé, il y a encore une légère transition avant de s'habiller comme tout le monde ; on commence par des nuances discrètes, neutres ou foncées.
Une veuve fait porter le deuil à ses domestiques; son cocher particulier est vêtu de noir avec cocarde de crêpe au chapeau. Elle le lui fait quitter et reprendre sa livrée lorsqu'elle-même quitte le deuil.
Les autres deuils de père, mère, beau-père ou bellemère, frère et sœur se portent plus d'après le degré d'affection qui unissaient les uns aux autres, que suivant les règles admises.
Les robes sont en lainages noirs, garnies de crêpe, puis ensuite en laine nouveauté avec garnitures suivant la saison; les vêtements s'assortissent au costume; les gants de suède d'abord, puis le chevreau; les mouchoirs ornés de vignettes noires. Il s'en fait pour deuil de ravissants tout en linon blanc découpés à larges dents et entourés d'une dentelle Chantilly noire ; d'autres ont en plus un entre-deux de dentelle noire; certains sont au contraire en linon noir avec dentelle blanche et entredeux de valenciennes; les mouchoirs de batiste sont festonnés, ornés de guirlandes de fleurs au plumetis noires et blanches; de jolies arabesques des deux teintes également; les genres de dessins sont très variés, et le chiffre brodé en noir ou noir et blanc. Des bandes de linon noir sont posées aussi en entre-deux sur des mouchoirs de linon blanc, quelques-uns ont les coins ouvragés aux fils tirés formant de petits quadrillés noirs et blancs â la façon d'un damier; d'autres encore sont brodés de fleurettes sans tiges, espacées régulièrement sur un large ourlet à jour soit en blanc, soit en noir et blanc ; les fantaisies à ce sujet sont charmantes.
Pour bijoux de deuil, la nouveauté prend aussi l'essor; on fait des bracelets, des broches, des boutons d'oreille en argent noir. On en fait aussi en perles noires très faciles à porter. La perle noire est très à la mode, mais il est bien peu de personnes qui en possèdent de véritables, tant elles sont d'un prix élevé. On les imite très bien en argent noir, et cette sorte de parure est très en vogue cette année.
CLAIRE DE THISY.