Merci beaucoup pour vos retours, je suis touchée....
Allez je finis aujourd'hui!
#secousse
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Secoue-toi, secoue-toi, secoue-toi, secoue-toi bordel.
Bande-son intérieure qui murmure en continu, sans qu’il n’y prête plus attention. L’entend-il seulement encore ? Les ordres subliminaux sont d’ailleurs sans effet : il ne se secoue pas. Poches sous les yeux et cheveux gras, dans son canapé en pyjama, il contemple son jardin sans arbres à travers la baie vitrée de sa nouvelle maison.
On voit les voisins : la plaie. Bon, lui, il regarde dans le vide, ce serait plutôt les voisins qui le voient… Mais en ont-ils quelque chose à secouer, au fait, les voisins ? Rien, probablement. Donc tout va bien. Et pourquoi doit-il se secouer, lui, déjà ? Ah oui. La liste se matérialise dans sa tête. Peindre les poutres. Poncer la table. Ranger les cartons. Installer les luminaires. Acheter des arbres. Pff…….
Secoue-toi, secoue-toi, espèce de loque !
Bon écoute, mec, je sais pas qui tu es mais tu me serines. Je te file un peu de culpabilité et tu me fous la paix ? On fait comme ça ?
Secoue-t… ouais bon ok. Deal. Il reste des bières ?
#tranche
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Consciencieusement, elle découpe une bande de papier longue, longue, longue comme sa vie. Attrape sa règle, calcule : alors, 1m50… donc 150 cm, divisé par 45… soit 3.3 cm par an.
C’est parti. Une grande flèche d’un mètre cinquante, avec une coche tous les 3.3 cm : la frise prend forme. Elle décide de procéder par période, c’est pratique, ça fait des cases. De 3 à 6 ans : maternelle. De 6 à 11 : primaire. De 11 à 15 : collège. De 15 à 18 : lycée. Après, c'est moins facile. Pour être précise, elle doit se souvenir, parfois s’interrompre et aller chercher une date dans ses archives. Elle prend son temps, et peu à peu ça se remplit. Les études… Le premier poste… Le second… et finalement, toute sa vie professionnelle, jusqu’à aujourd’hui.
Au-dessus de la flèche, elle note les grands évènements : naissances, décès, déménagements. En dessous… C’est là où ça se complique. Allez, courage… Elle note. Rencontre. Emménagement. Mariage. Naissance du premier. Naissance du second. Là, ça commence à se bousculer. Thérapie de couple. Rupture. Retour. Rupture de nouveau. Elle transpire, se lève, va se faire un thé. Besoin d’une pause. Ça la remue, mais elle veut aller au bout. Le remettre à sa juste place. Allez. Elle note. La dernière nuit. La rupture finale. Le divorce. En tout petit, en dessous, les prénoms des autres, nuage de successeurs entre crochets. Puis le silence. Voilà, on y est, c’est aujourd’hui.
Elle peut compter, maintenant. 25 ans depuis leur rencontre. 20 ans depuis leur mariage. 5 ans depuis leur rupture. 3 ans depuis le divorce.
Oppressée, elle se lève. Elle déplie la frise toute entière devant elle, pose une main sur la rencontre, l'autre sur le divorce. Ça la fait drôlement écarter les bras. Sacrée tranche de vie… Elle a l’impression qu’à sa gauche, ce n’était que son enfance, et qu'à sa droite, ça vient à peine de commencer. Il prend toute la place. Enfin, pour l’instant… Elle regarde le bout de la frise à droite, et l'imagine s'allonger, s'allonger, s'allonger, alors que proportionnellement la tranche rétrécit, rétrécit, rétrécit. Et reprend une juste place.