Ouah! C'est moi ou on progresse??
L'anniversaire de Solange, le ptit chaperon rouge et son oignon, le planning du dimanche d'O'rêve, Pierre et Aurore... J'ai adoré!! Chapeau les gens! Dans des styles totalement différents. Pfiou... que d'émotions...
J'ai eu la même vidéo que vous en tête à la lecture de Solange (brrrr). Libère toi Solange! Mais sans finir en tôle pour homicide volontaire, sinon il t'aura bouffé la vie jusqu'au bout!
Bon de mon côté j'ai perdu le contrôle...
C'est parce que j'étais en retard...
Donc euh... un petit #protégé
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Plus de café. Rah ! Juste de quoi me faire une tasse ! C’est largement insuffisant, pour un dimanche matin, 9h. Et trop la flemme de sortir… Je tiens la matinée, mais à la perspective d’un après-repas sans café, je craque. 11h45… Juste le temps de me propulser à la supérette du coin de la rue… En grognant... Que personne ne me regarde, qu'on ne m’adresse la parole !
Dans les rayons, je trace. J’en profite quand même pour prendre du pain, des yaourts et du fromage, autant que ça serve. Au détour d’un présentoir, je tombe sur une type plutôt blafard, avec des poches sous les yeux et un tee shirt froissé. Tiens, il n’a pas l’air du matin, lui non plus… Je me sens moins seule ! À vrai dire, cette nana, là, en jogging et pas coiffée, elle a tout l’air de sortir de son lit aussi. C’est vrai que maintenant que je le remarque, les gens ont l’air un peu stone… C'est jour de relâche pour les conventions sociales.
Sur la ligne de caisse, je pose mon petit bazar et mon regard se pose devant la barre de démarcation. La dame devant moi n’a qu’un article : un paquet de serviettes hygiéniques. Je sens une vague d’empathie me traverser. Elle a les traits tirés et la tête de celle qui n’a pas eu le meilleur réveil de sa vie, toi-même tu sais. Courage, sista !
Arrive la cliente suivante qui attrape une barre et pose devant elle une bouteille de rosé, et un nombre impressionnant de paquet de M&M’s. C’est moi ou c’est un peu les courses de la loose, le dimanche matin ?… Le monsieur suivant a les bras chargés de capsules expresso. Dans mes bras mon pote, les addicts de la caféine sont avec nous ! Il pose deux énormes pots de glace à côté de sa pile de capsules. Génial. J’imagine sa femme qui lui crie dans l’escalier : « Profite en pour prendre de la glace pour les enfants ! Ça fera un dessert pour midi. » Derrière lui, un type tient à la main une bouteille de lait de 50 cL. Que celui qui n’est jamais ressorti pour 50 cL de lait lui lance la première pierre…
Je souris, amusée par notre petite humanité bancale dévoilée au grand jour. Nos petits oublis, nos petites addictions, notre vie intime, tout ce qu’on garde bien protégé du regard des autres habituellement et qui se révèle sur un tapis de caisse, le dimanche matin.
et un très gros #horloge!!
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Coup d’œil réflexe sur l’horloge du coin de l’écran : 19h passées.
La plupart de ses agents sont déjà partis, le couloir du service est de plus en plus silencieux. Habituellement, il apprécie cet horaire et le calme qui tombe après l’agitation du jour. Personne ne vient le déranger, pas de réunion, pas de coup de fil, il peut enfin se plonger dans le fond des dossiers.
Mais pas ce soir. Il lâche son clavier et s’enfonce dans le dossier de son fauteuil. Foutue semaine. Depuis que son ancien collègue est directeur des services techniques, sa vie est devenue un enfer. Pas seulement la sienne, d’ailleurs: tous les chefs de service de la direction sont en souffrance, et se font harceler par le nouveau chef avide d’asseoir son « autorité ». Des mois que ça dure… Il n’en peut plus.
Trois coups légers le tirent de son introspection. Julie, la jeune urbaniste arrivée l’an dernier dans son équipe, se tient sur le pas de la porte un parapheur à la main.
- Excusez-moi Philippe, je peux vous déposer les déclarations de travaux?
- Faites donc.
Elle doit lui trouver un air étrange, parce qu’elle le fixe quelques secondes et lui demande :
- Quelque chose ne va pas ?
Soudain, il sent ses défenses se fendiller. Est-ce l’heure ? Le trop plein accumulé ? Le fait que quelqu’un se soucie de lui ? Le masque social se perce et sa réponse fuse, authentique.
- Je… je me sens inutile. Ça n’a plus de sens, tout ça.
Silence. Le malaise qui flotte dans l’air lui fait déjà regretter ses mots. Comme si c’était le lieu pour s’épancher... Le visage de Julie s’est figé, grave, sérieux. Mais, contre toute attente, elle répond :
- Non, en effet. Ça n’a plus de sens. Rien n’a plus de sens, en fait.
Elle s’approche de la fenêtre – « ça s’ouvre, ce truc ? » -, tourne la poignée et contemple la rue sombre 4 étages plus bas.
- Franchement… Je ne sais pas ce qui nous retient…
Ses vêtements noirs semblent se fondre avec la nuit tombée. Philippe est un peu décontenancé.
Brusquement, elle attrape une chaise, la cale sous la fenêtre, et monte dessus.
Mais qu’est-ce que ?... Elle ne va quand même pas ??...
La scène semble se passer au ralenti. Médusé, il voit Julie commencer à enjamber la traverse, d’un air déterminé. Un électrochoc lui parcourt l’épiderme et le sort de la sidération. Il pousse un cri et se précipite pour lui attraper le bras et la tire violemment à l’intérieur de la pièce. Elle tombe à la renverse et se retient de justesse avant de toucher le sol.
- Mais enfin Julie ! Qu’est-ce qui vous prend ?
Elle tremble de tout son corps, son visage est livide. Philippe n’en mène pas large de son côté.
- Je…
Elle se redresse, lisse ses vêtements comme pour se donner une contenance.
- Vous m’avez sauvé la vie... Comme quoi vous n’êtes pas si inutile que ça, vous voyez… Et moi, j’ai été sauvée… Peut-être que je vaux quelque chose, en fin de compte…
Avant qu’il n’ait le temps de réagir, elle est déjà sortie de son bureau.
Philippe est sous le choc. Instant surréaliste. Est-ce que sa collègue vient réellement de tenter de se défenestrer sous ses yeux ? La fenêtre ouverte et la chaise renversée ne lui laissent pas vraiment de doute.
Il se précipite dans le couloir à sa poursuite.
- Julie ! Ne partez pas comme ça ! Attendez !
Elle est déjà sur le palier et s’apprête à entrer dans l’ascenseur, visiblement dans un état second.
Il la force à s’asseoir dans le carré réservé à l’accueil du public et va lui chercher un verre d’eau à la fontaine. Puis il s’assoit à côté d’elle. Le service n’a jamais été aussi silencieux. Il entend le bruit de veille du copieur et le grésillement du néon.
- Il faut que vous me parliez Julie. Qu’est-ce qu’il se passe ?
Elle regarde devant elle, fixement.
- Ma meilleure amie est morte il y a 3 semaines. Accident de moto.
Un vague souvenir d’avoir signé une autorisation d’absence lui revient en tête. Des funérailles… Il réalise soudainement que Julie est toujours en noir ces derniers temps.
- Elle était jeune, elle avait la vie devant elle. Elle me manque. C’est tellement injuste.
- Julie… C’est terrible. Je suis vraiment désolé.
- Parfois, j’ai tellement envie de la rejoindre…
Silence. Philippe se sent impuissant. Tous les deuils de sa vie lui remontent dans la gorge. Que lui dire ? Comment trouver les mots ? Un discours plaqué serait pire que tout. Il se lance.
- Votre amie… Vous croyez qu’elle aurait voulu que vous la rejoignez ?
- Non, bien sûr que non. Elle m’engueulerait sec si elle m’avait vue tout à l’heure dans votre bureau ! Elle me dirait de profiter de la vie, et de la rejoindre le plus tard possible !
- Et qu’est-ce qu’elle aurait voulu le plus, pour vous ?
Julie reste pensive. Philippe remarque qu’elle ne tremble plus. Les couleurs lui reviennent aux joues.
- Pour moi ?… Et bien… C’est difficile à dire. On n’avait vraiment pas la même vie. Elle était serveuse dans un bar, et moi je suis fonctionnaire… Elle changeait de job tous les 6 mois, ne supportait pas les CDI. Mais, malgré le fait qu’elle ne comprenait pas ce qui m’attirait dans cette carrière, elle m’a toujours soutenue dans mes choix. Elle savait que l’urbanisme, c’était ma vocation. Elle voulait vraiment que je sois reçue à mon concours, vous savez, celui que j’ai raté l’an dernier…
Philippe se souvenait à peine que Julie avait tenté le concours. C’est vrai qu’elle n’était pas titulaire sur son poste… Tellement d’agents dans ce service, tellement de vies, pas le temps de faire attention à tout le monde… C’était peut-être une partie du problème, d’ailleurs. Comment pouvait-il être passé à côté d’une jeune collègue qui cumule un premier poste en collectivité, une perte traumatisante, et la préparation d’un concours difficile pendant ses weekends ? Qu’est-ce qu’il s’était passé pour que la solidarité se perde en cours de route ? Il avait le sentiment qu'une telle chose ne serait pas arrivée quand il était rentré dans la fonction publique. Est-ce qu’il y était pour quelque chose, lui, obnubilé qu’il était ces derniers mois par le nouveau directeur ?
Une idée lui vient.
- Julie, je vous propose quelque chose. Déjà, là, vous allez prendre votre semaine. C’est grave ce qu’il s’est passé ce soir… Vous allez vous reposer, retrouver vos proches, voir sa famille et ses amis, vous entourer des gens qui partagent votre deuil... Et ensuite, quand vous reviendrez, je vous aiderai à préparer ce concours. Je m’y engage... On balisera deux heures chaque vendredi après-midi, et je vous ferai passer des oraux blancs.
Qu’au moins ses 20 ans de service public servent à quelque chose ! S’il pouvait concrètement aider cette jeune femme dans sa carrière et lui permettre d’alléger un peu sa peine, son propre quotidien en serait aussi moins lourd. En définitive, rien n’a plus de sens que d’aider une vocation à s’épanouir... Sans ses agents, son service n’existerait pas. C’est cette petite flamme en chacun d’eux, fragile et souvent en perdition, qui leur permet de servir les administrés jour après jour. C'est son devoir de prendre soin de la sienne, et d’aider ses agents à faire de même…
La voix de Julie rompt le silence.
- Merci. D’accord, on va faire ça. Pour elle... Merci beaucoup. Je… je vais y aller maintenant. Je me sens un peu mieux. Merci encore.
Il se lève et la raccompagne jusqu’au métro. Elle lui promet qu'elle ne restera pas seule chez elle, qu'elle va appeler son copain pour qu'il vienne prendre soin d'elle.
Puis il s'engage dans la nuit vers les rues noires de son quartier. Il a besoin de marcher. Il sent que quelque chose vient de profondément changer en lui. Comme un recadrage de l'ordre du définitif... Pas de doute, il y aura un avant et un après cette soirée.