Je ne suis pas végétarienne. On pourrait probablement m’associer au flexitarisme. Sauf que derrière ce terme, j’entends un végétarien qui ne s’assume pas. Ce n’est pas mon cas. Consommer de la viande est un choix intime, associé à la direction et au sens que je donne à la vie, à l’appréciation que je me fais de la domestication, à une considération de l’influence de l’humain sur les écosystèmes, et enfin au lien que j’entretiens à la douleur et souffrance du vivant. Tout cela est très personnel et le cheminement que j’explique ensuite n’a pas pour vocation de convaincre quiconque ou d’apporter une vérité. C’est une démarche individuelle. Pourquoi la partager ici ? Peut-être par besoin d’étayer la position qu’on peut ressentir de la compassion et être sensible à la souffrance du monde vivant, tout en faisant le choix de défendre certaines formes d’élevage et de relations à l’animal et de continuer à consommer de la viande. Aussi pour apporter un peu de nuances aux discours de ceux qui pensent que l’ensemble des mangeurs de viande sont des personnes qui participent à des pratiques inhumaines sans réaliser pleinement ce qu’elles font, en adhérant par conformisme à une norme, ce qui ne correspondrait pas à un choix librement consenti.
Je considère que l’exploitation industrielle de l’élevage est un système d’élevage extrêmement néfaste et violent (qui n’apporte quasiment aucun bénéfice aux animaux, nie leur sensibilité, leurs besoins fondamentaux et est à l’origine de désastres environnementaux et sociaux).
Pourtant, il me semble que les humains peuvent encore penser les relations homme-animal dans l’esprit d’attraits et bénéfices réciproques.
En découvrant l’histoire du rapprochement entre les humains et certaines espèces, je ne peux pas envisager la domestication comme négative dans son ensemble.
Aujourd’hui, il existe aussi des pratiques d’élevage qui reconnaissent les animaux comme des êtres sensibles, qui peuvent ressentir des émotions (agréables et désagréables), et ayant une forme d’agentivité (capacité d’exprimer des intérêts et des préférences individuelles).
Je pense que ces pratiques d’élevage peuvent apporter une vie au moins « aussi bonne », avec ni plus ni moins de souffrances qu’une vie à l’état sauvage (qui n’est pas un paradis pour tout animal : lors de manque de nourriture, lors de maladies, blessures, attaques prédatrices).
Concernant l’influence de l’humain sur les écosystèmes, si je pense que l’industrialisation de l’agriculture a occasionné une grande perte de diversité, il me semble aussi que dans d’autres circonstances, la diversité peut être cultivée et aidée par l’homme (même si j’admets que dans certaines situations et lieux, il peut être cohérent de laisser les milieux évoluer sans présence humaine). Je ne partage pas le point de vue de ceux qui disent que l’impact de l’humain est en toutes circonstances négatif sur la biodiversité, ou que toute nature sans présence humaine (tout état sauvage) correspondrait à un système idyllique pour favoriser la biodiversité.
Concernant la souffrance, il m’est bien difficile de dégager un consensus, au regard des différents abords scientifiques, philosophiques, éthiques, spirituels et religieux.
Car à partir de quand peut-on parler de souffrance chez un être vivant ?
La souffrance nait-elle avec la prise de conscience de la douleur ? Avec le vécu d’émotions négatives ?
Souffre-t-on à partir du moment où l’on devient sujet de son mouvement ?
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Florence Burgat a essayé de dégager des écarts ontologiquement significatifs entre les vies végétale et animale. Elle développe « qu’être sujet de son mouvement ou être mu sont deux choses radicalement différentes d’un point de vue ontologique : se mouvoir revient à s’affranchir d’une nécessité vitale ancrée dans un milieu….Avec le mouvement, nous accédons à un autre ordre de réalité.
Le fait que les ressources (de la vie animale) ne lui soient pas immédiatement données et qu’elle doive sans cesse élargir le cercle de ses activités en risquant chaque fois sa vie pour la perpétuer – ouvre conjointement le champ de la jouissance et celui de la souffrance, cette dernière étant « le complément nécessaire de la jouissance. »
Pour Florence Burgat, c’est à ce niveau qu’interviendrait la rupture ontologique décisive entre la vie végétale et l’existence animale, fondée sur le mouvement spontané, la sensibilité et le type rapport à soi et au monde qu’elle rend possible.
http://www.revue-klesis.org/pdf/animalite03Burgat.pdf
Souffre-ton à partir du moment où on est un être sentient ?
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Au sujet de la sentience, cet article est particulièrement intéressant car il montre que ce terme est associé à différentes problématiques, selon le domaine qui en fait usage (médecine vétérinaire, religion, philosophie).
https://theconversation.com/les-animaux ... ence-82777
"Si l’on se réfère aux travaux de Donald M. Broom, biologiste émérite de l’Université de Cambridge, auteur en 2014 de Sentience and Animal Welfare et en 2017 du rapport européen « Le bien-être animal dans l’Union européenne », un être « sentient » est capable : d’évaluer les actions des autres en relation avec les siennes et de tiers ; de se souvenir de ses actions et de leurs conséquences ; d’en évaluer les risques et les bénéfices ; de ressentir des sentiments ; d’avoir un degré variable de conscience."
Peut-on considérer que les plantes souffrent dans la mesure où elles réagissent aux agressions et possèdent une défense efficace assurant leur survie? Faut-il une perception et/ou prise de conscience, d’une stimulation susceptible de porter atteinte à l'intégrité d’un organisme ou du franchissement d’une limite du système de protection, pour être en capacité de souffrir?
La souffrance est-elle associée à l’émergence de la conscience ? Quelles formes de conscience peut-on attribuer à chaque espèce ? Selon ces formes de conscience, comment sont éprouvées les souffrances ?
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Ce rapport sur la conscience animale montre que nous connaissons encore peu les niveaux et contenus de conscience des animaux.
http://www.fondation-droit-animal.org/9 ... onscience/
https://inra-dam-front-resources-cdn.br ... -pages.pdf
"Beaucoup d’animaux pourraient posséder une conscience, soit via des processus proches des nôtres, soit via des développements anatomiques et physiologiques différents mais convergents ... La question ne serait pas : « Les animaux possèdent-ils une conscience ? » mais « de quels niveaux et de quels contenus de conscience font-ils l’expérience ? » C’est sur ces points que les experts ne concordent pas toujours."
http://www.fondation-droit-animal.org/9 ... onscience/
"En ce qui concerne les animaux d’élevage, mieux connaitre leur univers mental et la façon dont ils se représentent leur monde et évaluent leur environnement pourrait permettre d’alimenter la réflexion pour améliorer leur bien-être et la façon dont ils sont traités. Pour cela il conviendrait d’explorer les compétences cognitives élaborées comme la conscience de soi, de ses propres connaissances et de celles des autres (théorie de l’esprit) y compris sa capacité d’empathie, la métacognition, la conscience du temps (distinction entre le présent, le passé et le futur), ainsi que l’attention, la mémorisation, la motivation,…..Ces recherches devraient également inclure l’étude des émotions dites positives."
https://inra-dam-front-resources-cdn.br ... -pages.pdf
Je ne pose pas toutes ces questions pour obtenir des réponses tranchées et définitives en retour, selon les croyances des uns ou des autres.
Seulement, il me semble qu’il n’y a pas d’universalité de la souffrance (j’entends par là une souffrance qui s’étendrait à l’identique à l’ensemble des êtres vivants) et qu’on est encore loin de comprendre ce à quoi nous faisons référence lorsque nous parlons de souffrance du monde vivant. Il me semble que pour certains, cela peut commencer lors du constat qu’un être vivant montre des réactions pour rester en vie lorsqu’une agression porte atteinte à l’intégrité de son organisme ; pour d’autres, la souffrance commence avec le constat qu’un autre être vivant peut ressentir dans l’instant de la douleur et/ou des émotions désagréables comme la peur ; pour d’autres, la souffrance ne peut être dissociée de certaines formes de conscience…
Alors est-il moral de continuer à tuer et manger des êtres vivants qui montrent qu’ils réagissent aux agressions pour se maintenir en vie? De continuer à manger des êtres vivants sujets de leur mouvement ? Des êtres vivants qui ressentent la douleur et/ou de la peur? Des êtres vivants qui ont développé certains niveaux et/ou contenus de conscience?
Personnellement, aux vues des connaissances actuelles, je pense que ces questionnements doivent rester du domaine de l’éthique (j’entends par là un questionnement non normatif, mais critique, qui n'impose pas ses recommandations de manière autoritaire, mais qui interroge les règles).
De mon point du vue, toutes les formes d’élevage ne sont pas à rejeter, mais je pense que l’industrialisation de l’élevage (et de l’agriculture) est à repenser dans son entièreté. L’industrialisation de l’élevage nous a éloignés et déconnectés de ce maillon alimentaire (élevages en bâtiments fermés non visibles des consommateurs, abattage à la chaine également cachés). On voit la viande dans l’assiette, sans incorporer d’où elle vient, sans la relier au vécu d’un animal.
Je suis persuadée, qu’on ne mange pas de la viande ou des produits d’animaux de la même façon, lorsqu’on nourrit, voit grandir (parfois naitre), et qu’on assiste à la fin de vie/abattage de l’animal.
En place des élevages et abattoirs industriels, il me semble possible d’œuvrer pour des pratiques d’élevage et d’abattage « éthiques », qui peuvent apporter des conditions de vie et de fin de vie au moins aussi bonnes que certaines conditions que peuvent rencontrer des animaux à l’état sauvage.
Pour ces différentes raisons, je suis favorable à l’évolution des pratiques d’élevage et d’abattage (et non à leur interdiction), en soutenant par exemple des alternatives, telles que ce collectif.
https://abattagealternatives.wordpress.com/.
Je regrette que nous soyons autant déconnectés de la terre. J’aimerais revoir fleurir de nombreux petits écosystèmes polyculture-élevage où chacun prendrait part à la chaine alimentaire et se réapproprierait une responsabilité « alimentaire ». Je pense que si nous participions chacun à ce maillon, nous serions bien plus attentifs et plus respectueux par rapport au vivant et à ce que nous mangeons.
Après, on peut se poser tout un tas d’autres questions sur les régimes avec ou sans viande, mais à titre personnel, je me suis sentie moins concernée par des questions comme « Quel a été le rôle de la viande dans l’évolution des hominidés ? » ou « Est-ce que l’humain est fait pour manger de la viande ? »
Est-ce que le constat que la viande a eu un rôle important à une période donnée de l’évolution des hominidés indique que son rôle est toujours important à notre époque actuelle ?
Je pense qu’on ne peut pas perpétuer une pratique sous prétexte juste de la tradition. Alors, si ces débats m’intéressent grandement, ils ne m’apportent personnellement pas de réponses à la question de savoir si je me sens légitime à continuer à manger de la viande aujourd’hui.
Est-ce que les humains sont adaptés à la consommation de viande (de lait...)?
Je partage le point de vue qu’il existe un large éventail d’individualités au sein de notre espèce et qu’il n’existe donc pas un seul régime « idéal » qui peut correspondre à l’ensemble de l’humanité. Je pense que nos besoins alimentaires sont aussi influencés par l’environnement dans lequel ont évolués nos ancêtres et qu’il existe différents métabolismes dans notre espèce, ainsi que cela a pu être constaté chez d’autres espèces.