Je souffre depuis plusieurs décennies d’obsessions impulsives. J'ai été vraiment diagnostiqué en 2004. en ce qui me concerne ce diagnostique n'aura servi qu'à mettre un nom sur des processus internes, mais si je n'ai pas pris de traitement alors pour en réduire les occurrences, cette identification m'aura permis d’accéder à une certaine sérénité.
Je partage ce témoignage essentiellement pour potentiellement soulager d'autres personnes souffrant de la même chose. Les obsessions impulsives sont souvent compliquées à vivre et peuvent provoquer beaucoup de culpabilité et ont souvent un impact non négligeable sur l'estime de soi. Si ce message peut aider ne serait-ce qu'une personne, il aura été utile. Je partage ce témoignage ici, car jusqu'à maintenant les rares personnes qui m'ont communiqué souffrir de ce trouble étaient toutes HPI, je ne dis pas qu'il y a corrélation, mais dans le doute je me dis qu'il y a peut-être régulièrement comorbidité.
Il me semble que ce trouble est davantage connu sous le nom phobie d'impulsion, mais le terme correct est obsession impulsive. Il s'agit d'un trouble obsessionnel compulsif invisible, un TOC donc.
Je ne vais pas dans ce message présenter de manière exhaustive et académique ce trouble. Je ne l'ai pas étudié, je le vis juste. Aussi il est plus que probable que mon possible trouble du spectre autistique (que j'ai - peut-être - par ailleurs) ait un impact sur ma façon de gérer et vivre mes obsessions impulsives. Je vous invite donc à ne considérer ce message que comme un témoignage et une tentative de dédramatiser un processus qui peut être anxiogène et culpabilisant.
Je copie colle ici la description clinique que l'on peut trouver sur wikipedia concernant l'obsession impulsive :
Une phobie d'impulsion ou obsession impulsive est un symptôme médical caractérisé par la crainte obsédante de commettre un acte délictueux, transgressif, ou dangereux pour soi-même ou pour autrui. On l'observe le plus souvent au cours du trouble obsessionnel compulsif.
La phobie d'impulsion est une obsession (c'est-à-dire une idée qui s'impose à la conscience du sujet qui la ressent comme contraignante et absurde, fait des efforts pour la chasser, mais n'y parvient pas) et non pas une phobie. En effet au cours des phobies on observe la crainte irraisonnée et angoissante d'un objet ou d'une situation sans danger objectif qui cède lorsque l'exposition cesse.
L'idée obsédante est la source de ruminations douloureuses et très angoissantes qui peuvent envahir complètement la pensée. Elles peuvent causer une détresse intense basée sur la hantise de commettre délibérément un acte transgressif ou dangereux comme par exemple :
- Jurer, blasphémer, ou avoir un comportement obscène dans une église ou en public
- Se blesser, se défenestrer
- Agresser ou tuer quelqu'un, le plus souvent quelqu'un qu'on aime.
- Faire du mal à son bébé (observé dans le post-partum).
Il en résulte une lutte anxieuse pénible contre cette idée qui peut conduire à des rituels conjuratoires (compulsions). Dans la phobie d'impulsion typique, le risque de passage à l'acte est considéré comme nul.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Phobie_d%27impulsion
Avant de décrire comment ces obsessions s'expriment chez moi et que je tente d'exprimer à quelqu'un qui reconnaîtrait ses propres problèmes dans mon témoignage qu'il ou elle n'a pas à culpabiliser, je pense devoir mieux présenter mes fonctionnements.
Comme je l'écrivais sur la discussion sur le détachement affectif, j'ai une prise de recul permanente et involontaire, quelque chose que je décris comme une couche rationnelle qui filtre sensations, émotions et sentiments pour ne délivrer à ma conscience que des informations qui d'une certaine manière sont neutres (il n'est pas aisé de décrire ce fonctionnement). En plus de ressentir comme une anesthésie sensitive et émotionnelle, ce détachement m'isole du stress et des angoisses. Je ne sais pas ce qu'est le trac, je n’appréhende jamais la moindre échéance, même la plus importante et si dans une situation effrayante je sens l’adrénaline et perçois une nervosité comme l’accélération du rythme cardiaque, dans ma tête tout est limpide et clair.
Le stress et l'anxiété ne parviennent pas à mon esprit, néanmoins je suis capable de percevoir que mon corps en subit les effets. Après des événements qui objectivement sont stressants ou anxiogènes, je sens que mon corps est fatigué et je peux en général m'endormir comme une masse. Dans les jours qui suivent ces événements je constate également que les symptômes de ma dépression chronique sont plus forts. Il s'agit de quelque chose de diffus mais que je pense bien réel. Je pense que mon corps traite ce stress et ces anxiétés, que d'une manière ou d'une autre j'ai ressenti, mais qui n'ont pas eu d'impact sur mon esprit ou ma conscience.
Je ne sais pas si c'est mon trouble du spectre autistique qui provoque cela, ou bien s'il s'agit d'une stratégie de défense face à une hypersensibilité, et je pense que je ne le saurai jamais. (La piste du TSA m'a été plusieurs fois suggérée aussi bien par des psychiatres que des psychologues, mais je n'ai jamais fait les démarches d'un diagnostique officiel)
Il se trouve donc que mon stress et mon anxiété s'expriment également sous la forme d'obsessions impulsives. Je me demande si d'une certaine manière il ne s'agit pas d'une façon supplémentaire dont mon cerveau évacue le stress et l’anxiété qui n'arrivent pas sinon à ma conscience.
L'obsession impulsive se traduit donc par une pensée parasite qui s'impose à la conscience. Il n'y a pas de signe avant coureur, cela se produit vraiment comme si lors de la projection d'un film, une scène qui n'a rien à faire là était intercalée brutalement dans le flux du récit. Comme il est impossible de prévoir cette pensée parasite, elle ne peut être anticipée et on ne peut que la subir. Il s'agit donc quasiment systématiquement de la chose la plus malfaisante ou la plus inappropriée que l'on pourrait "faire" dans le contexte précis dans lequel on se trouve.
Je vais donner quelques exemples des obsessions impulsives que je peux vivre. Il me semble pertinent de mettre un trigger warning sur la suite du texte car il va s'agir de choses violentes et perturbantes.
Lors d'un de mes premiers entretien d'embauche, pour un emploi jeune dans un collège/lycée, alors que j'écoutais le proviseur me présenter le poste, je me suis mentalement vu me lever, baisser mon pantalon et uriner sur le bureau... Cela peut paraître comique mais sur le moment, c'était tout sauf rigolo. Pourquoi cette pensée ? Que veut-elle dire ? Forcement aujourd'hui avec le recul et la compréhension du phénomène je peux dire que cette pensée parasite traduisait le stress de l'entretien. Stress que je ne ressentais pas comme je l'expliquais plus haut, et que mon cerveau m'a communiqué comme il pouvait.
Alors que j'étais dans un début de relation dans laquelle je ne m'épanouissais pas vraiment, et qu'avec mon amie nous marchions sur les quais à Paris, j'ai tout d'un coup l'image de pousser violemment cette dernière dans la seine. A vrai dire c'est cette occurrence de mon obsession impulsive qui m'avait poussé à consulter, car je n'arrivais plus à supporter de vivre cela. J'avais honte de moi, je ressentais une intense culpabilité et je me considérais comme monstrueux. Je ne savais pas alors que tout simplement cette relation ne me réussissait pas, car voulant trop me conformer aux normes sociales je m'imposais à cette époque des relations, qui n'étaient pas toxiques, mais dans lesquelles j'étais énormément dans le faux self. L'obsession impulsive ne faisait que mettre en lumière mes anxiétés que je ne savais pas détecter, car celles ci n'arrivaient pas à mon esprit.
Un repas entre amis, pour rejoindre ma place je dois me faufiler derrière la chaise de quelqu'un. S'impose alors à moi l'image très précise de coups que j'inflige à la personne derrière qui je me faufile. Ce genre d'obsession est sans doute celle que je vis le plus souvent. Plusieurs dizaines de fois par jour potentiellement. Car c'est l'un des aspects les plus problématiques de ces obsessions, c'est qu'elles peuvent revenir en boucle à chaque fois que l'on est plus ou moins dans la même situation. Je croise quelqu'un dans le cadre d'une porte, je peux me voir pousser de toutes mes forces l'autre contre le mur. Je dois croiser quelqu'un dans un escalier, je peux me voir pousser l'autre dans les marches. Je regarde un panorama du haut d'une falaise, je peux bien entendu me voir pousser dans le vide quelqu'un qui serait à coté de moi... C'est bien entendu fatiguant de devoir encaisser ces pensées, les disqualifier, et passer outre. Cet effort est susceptible de devoir être produit plusieurs dizaines de fois par jour, parfois cinq ou six fois en l'espace de 10 minutes. C'est bien entendu bien plus facile à gérer une fois que l'on comprend que l’obsession traduit l’inquiétude que l'on peut ressentir pour les autres. Car bien entendu si c'est tellement difficile à vivre, c'est que ces images ne concernent que les gens que l'on aime ou apprécie. Jamais je n'ai eu de pensée parasite concernant des inconnus ou des gens que je n'aime pas. Cela concerne systématiquement les proches. D'ailleurs plus les gens sont proches, plus l'obsession est susceptible de s'exprimer.
Dans le même genre, je regarde un film avec une amie. Nous sommes tous deux assis sur un canapé, à un moment je passe machinalement mes bras derrière la tête pour m’étirer, automatiquement je me verrais donner un violent coup de coude à mon amie... C'est tellement systématique que cela ne m'atteint plus. Mais une fois encore c'est parce que j'ai compris que cela traduit mon inquiétude de commettre une maladresse. Aujourd'hui il me semble d'ailleurs assez clair que mes obsessions impulsives me servent d'alerte concernant mon environnement immédiat et "m'aident" à être particulièrement prévenant avec mes proches. Cela reste fatiguant.
Dans des moments de dépression plus intense que d'ordinaire, chaque objet tranchant ou perforant dans mon champ de vision entraînera une image parasite de moi m’égorgeant ou me poinçonnant... En ce qui me concerne, il s'agit là des obsessions impulsives que je gère le mieux, à peine vécues, je les disqualifie et passe outre. J'imagine néanmoins que cela reste fatiguant.
Il y a ensuite les pensées parasites qui sont vraiment perturbantes à vivre car touchant des domaines tabous. J'ai la chance de ne pas trop en avoir. Néanmoins cela m'arrive avec les enfants. Un exemple récent : je suis avec une amie et sa fille de 4 ans dans une brasserie. La petite fille est un peu dissipée et va un peu dans tous les sens. A chaque fois qu'elle me frôle en courant et qu'elle manque de se cogner dans ma chaise ou contre moi, j'ai la pensée parasite que je la frappe d'un coup de poing. A un moment elle monte maladroitement sur une chaise, je me vois la projeter violemment contre la table voisine. Bien entendu c'est parce que je me fais du souci pour elle et que je redoute qu'elle se fasse mal en tombant ou en se cognant. J'ai bien conscience que mes obsessions à ce moment là illustrent ma bienveillance et mon inquiétude à son égard, néanmoins en l'espace d'une heure j'aurais eu à subir, traiter, disqualifier, passer outre... plus d'une douzaine d'images de violence exercée contre une fillette de 4 ans. Aujourd'hui cela ne m'atteint pas car je comprends le processus et je sais que ces pensées parasites témoignent de mes anxiétés et de mes craintes, mais ces images restent très dures à vivre. Quelqu'un qui n'aurait pas conscience de ce qu'il se passe aurait légitimement une image de soi très dégradée et ressentirait sans doute beaucoup de honte.
Il y a de nombreux cas de suicides documentés où des obsessions impulsives étaient présentes. J'ai lu des témoignages de gens qui avaient des pensées parasites pédophiles. Je comprends l'envie d'en finir de gens qui n'en peuvent plus de vivre continuellement avec ce genre de pensées qui s'imposent à eux. La crainte d'être un monstre pouvant être trop forte. Et c'est d'autant plus difficile à vivre si on ne sait pas que le risque de passage à l'acte est considéré comme nul en ce qui concerne les obsessions impulsives. C'est cela qu'il faut retenir je pense, qu'il n'y a pas de passage à l'acte. Ce que l'on voit n'est pas ce que l'on désire faire, mais justement ce que nous ne voulons pas faire. Il s'agit de l'expression d'une anxiété pas d'une envie. Mais c'est précisément ce que les gens qui souffrent d'obsessions impulsives ne savent pas forcement.
J'au eu l'occasion d'en parler avec une amie qui souffre également de ces obsessions. Elle n'avait jusque là jamais trouvé le courage d'exprimer ces choses honteuses et c'est parce que je lui ai exprimé moi mon trouble qu'elle s'est sentie libre d'évoquer ses propres obsessions impulsives qui lui avaient fait beaucoup de mal, notamment dans les mois suivant la naissance de son enfant. Elle se voyait régulièrement faire du mal à sa fille et ne comprenait pas pourquoi de telles pensées s'imposaient à elle. Savoir que c'était a priori l'expression de ses inquiétudes l'a rassuré.
Sans traitement, ces pensées parasites peuvent se produire des dizaines de fois chaque jour. Depuis bientôt trois ans je suis sous antidépresseur, la venlafaxine qui a de fortes propriétés anxiolytiques. Avec un dosage assez fort, les obsessions impulsives arrivent beaucoup moins. Aujourd'hui il m'arrive de n'avoir que quelques occurrences chaque jour et de temps en temps aucune pensée parasite pendant plus de 24 heures. Il n’empêche qu'il peut arriver parfois un contexte objectivement anodin qui provoquera une dizaines d'images en moins d'un quart d'heure. Je n'ai alors souvent pas la moindre idée du pourquoi.
Voilà, j'ai essayé de présenter les choses de manière le plus neutre possible. J’espère que cela peut aider quelqu'un souffrant d'obsessions impulsives à mieux vivre ce qui lui arrive.
Si vous avez des questions je peux tenter d'y répondre.