Je n'étais pas encore intervenue par ici parce que je craignais d'y perdre mon sang-froid. Bon, je vais essayer quand même, avec toute la modération dont je sais faire preuve. Parfois...
Sur les signes religieux
Pier Kirool a écrit :Les signes ostentatoires religieux n'ont pas qu'une fonction décorative. Ils affichent, manifestent, et revendiquent un ensemble de croyances ...
Jusque là, je te suis.
Pier Kirool a écrit :dont certaines visent à régir l'ensemble de la société (cf le mariage pour tous et la charia par exemple ; je n'ai pas d'exemple pour la religion juive car je la connais encore plus mal que les autres...).
Je pense qu'il est dangereux de prendre pour règle les extrêmismes, condamnables quels qu'ils soient. Pour un croyant sain d'esprit, ses croyances ne visent pas "à régir l'ensemble de la société". Les cathos intégristes ont fait du bruit au moment du vote de la loi sur le mariage pour tous, mais concrètement, quelle proportion de la population représentent-ils ? Même question pour les musulmans : ce sont les plus modérés qu'on entend le moins et qui se désolent le plus d'être assimilés à des intégristes.
Je continue à penser que dans une société où on respecterait la différence, on n'aurait pas besoin de s'offusquer de l'apparence physique et de l'habillement de qui que ce soit (dans une saine mesure, évidemment - quelqu'un qui se balade à moitié nu, bon, quand même...). "Tiens, ce gars-là porte une kippa, il doit être juif." Point barre. Je ne vois pas en quoi je devrais me sentir "menacée" ou je ne sais quoi, simplement parce que je peux l'associer immédiatement à la religion juive. Si je lui saute dessus avec un couteau pour lui faire payer tout le mal que les Juifs font en Palestine, c'est moi qui ai un problème, pas lui. Je suis certainement utopiste mais je me dis que si on éduquait vraiment les gens au respect, on n'aurait pas besoin de ces lois et de ces contraintes vestimentaires.
Question à PKR
Pier Kirool a écrit : il me paraît logique que les personnes qui "servent un état" doivent "afficher leur neutralité vis-à-vis de leur religion" (ils ne sont pas non plus obligés d'abjurer ou de dire qu'ils sont athées, n'exagérons pas non plus le traumatisme).
Est-ce que tu utilises le mot traumatisme de manière ironique ?
Mon histoire
Je pense qu'il y a deux raisons qui font que ce sujet me fait réagir de façon aussi forte : d'abord parce que j'ai un temps embrassé une religion, le bouddhisme, qui n'était pas celle de mon milieu d'origine et que j'ai un temps porté des symboles religieux bouddhistes, sous forme de bijoux notamment. Bijoux que personne ne remarquait, parce que les bouddhistes ne font pas peur et que de toute façon on ne connait pas leurs symboles. Encore aujourd'hui, je porte un ruban rouge au poignet, ruban qui m'a été offert lors d'une cérémonie bouddhiste. J'ai même fait un scandale à l'hôpital parce qu'ils tenaient absolument à me l'enlever (pas stérile, pfff). Ils n'y sont pas arrivés. Bref, tout ça pour dire que, comme beaucoup de "convertis", je défends ma religion d'adoption avec encore plus de vivacité que ceux qui sont "nés dedans". Il se peut donc que j'en vienne à être excessive. Mais je pense exprimer ma position avec suffisamment de modération pour être entendue quand même. Je l'espère.
Comment ça se passe ailleurs
L'autre raison, c'est que j'ai un peu voyagé et que j'ai notamment vécu ailleurs qu'en France (qui est, à ma connaissance, le seul pays où on s'écharpe avec autant de virulence sur cette question de la laïcité). Et à mon sens, le problème en France est très lié à un problème d'éducation à la tolérance.
Atterrissant à l'aéroport de Londres Heathrow, mon passeport a un jour été contrôlé par une dame policier portant un fort joli foulard très bien assorti avec le reste de sa tenue. Un autre jour, c'était un Sikh avec un turban du même ton de bleu. Une autre fois encore, un jeune homme bien comme il faut dont les deux bras étaient tatoués jusqu'aux poignets. Avec son uniforme à manches courtes, ça rendait très bien. Sur le coup, j'avoue que j'ai été un peu choquée, puis j'ai été choquée de ma propre réaction. Tous ces gens étaient visiblement très compétents dans leur travail et ils m'envoyaient une leçon de tolérance à la figure : que je les juge sur leurs actions et pas sur leur apparence, c'était la leçon. Pourtant, la Grande-Bretagne n'est pas un pays laïque au sens où on l'entend en France. Il y a une religion d'État, le christianisme anglican, et le chef de l'État (en l'occurrence, cette chère Elizabeth) est aussi le chef de l'Église. Et "pourtant", ça m'a l'air de se passer plutôt bien chez eux. Non ?
J'ai aussi vécu en Suisse et en Allemagne. Je ne connais pas à fond la législation de ces deux pays mais voilà ce que je peux en dire : là-bas, on déclare sa religion officiellement et une part des impôts que l'on paie est attribuée à l'Église à laquelle on appartient (pour rémunérer les prêtres, entretenir les églises, etc.). Tout cela se base sur une simple déclaration et on peut à tout moment se déclarer athée et choisir de ne plus subventionner aucune Église du tout. La question de ma religion m'a été posée au moment de mes embauches parce qu'en tant que non-Suisse j'étais imposée à la source et mon employeur devait savoir dans quelle case me mettre pour en informer le fisc. Pour moi, un État peut être laïque et recueillir puis redistribuer des sommes allouées à chaque Église. Cela ne le rend en aucun cas suspect d'aucun manque de neutralité.
En Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne, porte le voile qui veut, la kippa qui veut, une crête qui veut, des tatouages qui veut, représentant de l'État ou pas. Les étrangers qualifiés et/ou bosseurs n'ont aucun mal à trouver de bons emplois et/ou de bonnes formations. On évalue les gens à ce qu'ils savent vraiment faire, pas à leur origine. Je travaille tous les jours avec la Suisse, j'ai pas mal fréquenté les administrations de ce pays et j'y ai croisé bien plus de gens visiblement d'origine étrangère qu'en France. Certes, il y a proportionnellement plus d'étrangers en Suisse qu'en France, mais si en France on devait compter les Français d'origine étrangère, les chiffres ne seraient peut-être pas si éloignés (mais il est tabou d'évoquer ces chiffres-là). Si j'ai pu être servi au guichet de la mairie de "ma" petite ville suisse par une Rachida, ça ne m'est jamais arrivé en France.
Sur les jours fériés
Un mot également sur les jours fériés. En Allemagne comme en Suisse, il y a des régions "officiellement" catholiques et d'autres protestantes. Toutes n'ont donc pas les mêmes jours fériés. Certes, c'est un peu le bordel, mais c'est juste un élément de plus générateur de bordel dans ces pays fédérés (fédération vs. État centralisé), où tout le monde semble vivre beaucoup mieux avec la différence que nous. "Tiens, aujourd'hui, c'est le 15 août, nous travaillons parce que nous sommes dans un canton protestant mais nos voisins catholiques non, c'est pour ça que personne chez eux ne répond au téléphone. Tant pis, ça attendra demain." Où est le problème ? Encore une fois, question d'éducation.
Première conclusion
Tout ça pour dire quoi ? Tout ça pour dire que la France donne, et se donne à elle-même, des leçons de neutralité et de tolérance qui sont à mon sens une belle hypocrisie. Si on apprenait vraiment à voir les gens pour leurs qualités plutôt qu'en référence à leur appartenance (religieuse ou ethnique ou autre), on serait dans la vraie fraternité et la vraie égalité. Pour moi, cette défense mordicus de la laïcité résulte d'une mauvaise compréhension de ce qu'est l'égalité. L'égalité, ce n'est pas "tous pareils", c'est "tout le monde est traité d'une façon juste". Il me semble que les Français ont cette tendance à vouloir lisser les apparences pour que rien ne choque, que rien ne dépasse, alors qu'il serait tellement plus intelligent d'apprendre à vivre avec ce qui dépasse (toujours dans de saines limites, bien sûr). En quoi quelqu'un de tatoué ne pourrait-il pas travailler au guichet de la préfecture ? Mais vous en avez vus beaucoup ? En quoi une institutrice voilée serait-elle plus dangereuse pour mes enfants qu'une bonne catholique bon teint ? Que l'une comme l'autre fasse du prosélytisme et elles seront mises à la porte direct, c'est un fait, mais a-t-on besoin de "lisser" tout le monde en "préventif" ? Ne serait-il pas plus juste et plus respectueux d'enseigner à nos enfants que la dame porte un voile parce qu'elle l'a choisi mais que ce n'est finalement qu'un détail ? (Au passage, je suis sûre que ça leur est égal, aux enfants. Eux, ils voient vraiment les gens comme ils sont : si Karima est gentille et Marie-Chantal une vraie mégère, c'est tout ce qu'ils voient.)
Un peu d'histoire
L'autre argument que l'on pourra m'opposer concerne l'histoire. Certes, la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Suisse n'ont pas le même passé. Ces derniers sont des pays marqués fortement par une culture protestante, qui diffèrent en de nombreux points de la culture catholique qui marque encore, quoi qu'on en dise, notre société. Chez les protestants, c'est le mérite personnel qui compte avant tout, il n'y a pas de clergé hyper-hiérarchisé comme chez les catholiques, l'accent est mis sur la relation individuelle de la personne avec son Dieu, avec sa vie intérieure. Par conséquent, les récompenses sont le fruit du travail de chacun et pas le résultat d'une sorte de grâce ou de naissance favorisée. On juge donc plus facilement les gens à leurs actes et à leurs capacités réelles qu'à leur appartenance (cf. l'exemple de la Rachida ci-dessus - je me rends compte maintenant que ce prénom n'est peut-être pas le meilleur choix. Mais il me semble que le cas de Mme Dati est davantage un beau contre-exemple qu'un bel exemple. J'en veux pour preuve le foin qu'on a fait autour d'elle, "ministre issue de l'immigration", etc. What's the big deal?) Bref, tout ça pour dire que les Français pourraient à mon sens en prendre de la graine et apprendre peu à peu à juger sur pièces plutôt que d'entretenir des préjugés.
L'histoire joue aussi son rôle avec notre fameuse Révolution. L'autre conséquence de notre catholicisme est que nous (nous, nation) avons connu et subi les abus de l'Église catholiques, les achats d'indulgence, l'Inquisition (je suis du pays cathare, j'en sais quelque chose), tout le tintouin en vrac. C'est sûr que les pays protestants ont été à l'abri de tout ça, ils n'ont pas eu besoin d'égorger violemment les curés et de piller les églises pour se "libérer". Dans tout ce débat autour de la laïcité je vois une crispation sur les idéaux qui ont fondé la Révolution, "traumatisme" qui nous marque peut-être plus que nous ne sommes prêts à le reconnaitre. Et comme toute crispation, elle en vient à exagérer. Depuis les Lumières, nous sommes passés de "la religion catholique est outil d'asservissement et rien d'autre, elle est donc à rejeter en bloc comme modèle de société" à "toutes les religions doivent être bannies de l'espace public", glissement délétère s'il en est.
Conclusion finale
Il me semble, moi, que la vraie liberté, la vraie égalité et la vraie fraternité pourraient consister à permettre à chaque citoyen d'être et de se présenter aux autres comme il est, sans avoir besoin de se masquer ou de se prétendre autre qu'il n'est. Pour moi, ce serait ça le vrai progrès, la véritable évolution. La religion n'est plus affaire d'État, l'État ne s'occupe plus d'une religion au détriment de toutes les autres mais garantit par la neutralité de l'institution que toutes les religions puissent cohabiter en paix au lieu de monter les communautés les unes contre les autres en prétextant la neutralité. Ce n'est pas en faisant taire tout le monde qu'on obtient le calme mais en laissant chacun s'exprimer raisonnablement. L'État véritablement fort et digne de confiance est celui qui garantit la liberté et la sécurité de chacun, pas celui qui écrase tout le monde pour que rien ne dépasse.
(Désolée, c'est devenu plus long que ce que je pensais au départ. J'espère que ça reste lisible...)