
Il a le grand intérêt de citer ses sources et de faire le lien avec les articles des chercheurs. Je n'ai pas réussi à copier une url valable pour cet article, aussi je l'ai placé en spoil


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Le cerveau des enfants intellectuellement précoces : quelques nouveautés de la recherche récente
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Tous ceux qui ont eu à élever, enseigner ou traiter des enfants précoces savent à quel point il y a quelque chose de singulier, de différent dans la manière de penser, de réfléchir et d’apprendre des enfants à haut potentiel intellectuel. Rappelons qu’il existe une définition très claire et incontestée de la précocité, qui est une définition psychométrique (quotient intellectuel supérieur à 130), mais soulignons également que cette définition est loin de caractériser toutes les facettes de leur intelligence, celle-ci présentant des caractéristiques qualitatives (et non plus seulement quantitatives) également singulières, caractéristiques qui sont, par essence, non mesurables. Très naturellement, les chercheurs en neurosciences se sont penchés sur la question des particularités du cerveau de ces enfants, surtout depuis l’avènement de l’imagerie cérébrale, avec comme principal objectif de tenter de spécifier un mode de fonctionnement différent du cerveau qui sous-tendrait cette intelligence différente. Les premiers de ces travaux ont utilisé les méthodes électrophysiologiques, c’est-à-dire l’enregistrement par l’électroencéphalogramme de l’activité électrique du cerveau, soit spontanée, soit évoquée par des stimuli divers. Les résultats de ces études initiales sont restés assez vagues, ne permettant que des observations très générales comme la constatation d’une meilleure « cohérence » entre les différentes parties du cerveau (se traduisant par un synchronisme plus fin entre les signaux recueillis par chacune des électrodes). Ces résultats ont en général été interprétés comme témoignant d’un mode général de fonctionnement singulier du cerveau de l’enfant précoce : pensée en arborescence, par opposition à une pensée linéaire chez un sujet standard, raisonnement par analogie et de manière holistique, simultanée, et non analytique et séquentiel, comme chez tout un chacun, autant de concepts dont on sent bien les limites explicatives. Ce type d’analyse a cependant permis quelques avancées utiles, comme la démonstration par nos collègues du CHU de Nice [1]. d’une différence de traitement des stimuli verbaux ou non verbaux par les hémisphères droit et gauche chez les enfants précoces. Plus précisément, alors qu’une tâche de décision sémantique provoque une onde 400 millisecondes après la présentation de deux images, cette onde est plus ample chez les enfants précoces, et son amplitude est proportionnelle au QI. Les enfants précoces feraient intervenir plus souvent leur hémisphère droit dans la résolution de ce type de tâches.
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Sans aucun doute, les informations à la fois les plus précises et les plus cohérentes sont fournies par les techniques d’imagerie cérébrale modernes, dont l’IRM fonctionnelle, qui consiste à visualiser les zones cérébrales qui sont en activité lors d’une tâche. Par exemple, lorsqu’on demande à des sujets d’intelligence standard de résoudre une tâche d’intelligence pure, telle que celle illustrée sur la figure ci-contre, les zones cérébrales qui se mettent en fonction, relativement à une tâche similaire mais de moindre exigence du point de vue stratégique, sont essentiellement réparties dans deux zones de la surface cérébrale : le cortex frontal et pariétal. De la même manière, si l’on compare dans ce type de tâches des sujets à intelligence standard, et des sujets à QI élevé, ces derniers vont activer de manière plus prononcées ces deux mêmes zones dans leurs deux hémisphères cérébraux.
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Dès lors, on peut s’interroger sur la signification de ce lien entre l’intelligence et le fonctionnement de ces deux régions cérébrales. Le lobe frontal est connu pour être le siège des fonctions dites exécutives, les plus élaborées parmi les fonctions cognitives, comportant tout à la fois l’attention, la mémoire de travail et le contrôle des stratégies et de l’organisation des réponses ; le lobe pariétal est un centre de triage des informations reçues par le cerveau via les systèmes de la perception, qu’il recode dans l’espace tri-dimensionnel. Comme nous le verrons plus loin, c’est précisément sans doute la combinaison de ces deux types de fonctions cognitives, permettant à la fois de se représenter les objets en trois dimensions et de programmer l’action sur ces objets qui caractérise l’intelligence, bien plus que la rapidité ou l’efficacité des connexions cérébrales au sens large. En effet, au moins deux types d’approches plaident en faveur d’une particularité des connexions entre cortex frontal et pariétal chez les précoces. En premier lieu, il existe une technique d’imagerie fonctionnelle qui étudie spécifiquement les zones se mettant en activité de manière conjointe les unes avec les autres. Ces études dites de connectivité fonctionnelle ont permis à leurs auteurs d’affirmer que ce sont les connexions entre les régions postérieures (précunéus) et antérieures (cortex frontal moyens) qui sont les mieux corrélées à la valeur du QI [2] La démonstration [3]d’une forte corrélation entre le QI et la connectivité entre plusieurs aires cérébrales, même au repos est un argument supplémentaire pour attribuer à ces circuits une valeur fonctionnelle et non pas seulement considérer leur activation plus forte comme un simple épiphénomène. Du reste, il semble bien que le niveau d’activité cérébrale, en soi, ne soit pas un bon reflet de l’efficience intellectuelle, puisqu’on a pu trouver que le QI entretient une corrélation positive avec certaines zones et négative avec d’autres. [4] . L’autre technique, la DTI ou tractographie est une technique d’imagerie morphologique capable de détecter d’infimes variations de la direction des fibres de substance blanche et permet ainsi de visualiser directement des anomalies de connectivité entre deux zones corticales. Plusieurs études de ce type ont été réalisées sur de vastes populations d’enfants et d’adultes et ont montré une corrélation étroite entre le QI et l’organisation des fibres blanches unissant les régions postérieures et antérieures des hémisphères [5] Une étude particulièrement élégante a mesuré par cette même technique de tractographie les différents faisceaux de substance blanches en relation avec le degré de créativité [6]. . Cet ensemble de données a amené deux auteurs américains, Rex Jung et Richard Haier à proposer, à l’issue d’une analyse de 37 articles de la littérature publiés jusqu’alors, une hypothèse selon laquelle l’intelligence serait directement reliée à l’efficience d’un circuit parieto-frontal, une hypothèse connue sous le terme de « parieto-frontal integration theory (P-FIT) [7] . Selon cette théorie, seule une portion restreinte du cerveau serait directement en relation avec le QI, et ce serait l’intégration des informations traitées par chacune des deux partie du circuit qui serait le substrat biologique de l’intelligence. Comme cela a été par la suite suggéré, cette théorie est quelque peu réductrice et n’est évidemment qu’une hypothèse de travail pour élaborer des théories plus complètes, faisant en particulier intervenir l’environnement. Mais tout cela ne nous dit pas pourquoi ces zones seraient plus efficientes chez les enfants précoces. Les pistes principales sont de nature génétique et impliqueraient un développement particulier, génétiquement déterminé, de ces zones. Des arguments allant dans ce sens ont été apportés par des études d’une équipe du NIH américain [8] , utilisant une méthodologie spécifique d’analyse longitudinale de l’épaisseur du cortex région par région. Sur plus de 300 IRM d’enfants de 7 à 18 ans, ces auteurs ont pu démontrer que le cerveau des enfants à haut QI (121-145) était structurellement différent de ceux à QI supra-moyen (109-120) et moyen (83-108). L’épaisseur cortex cérébral des enfants à QI supérieur était bien moindre à 7 ans (comparé aux deux autres groupes) et atteignant l’épaisseur normale beaucoup plus tard (12 ans contre 8-9 ans chez les témoins). Comme le montre la figure ci-dessous, le cortex des précoces possède une double caractéristique : un accroissement bien plus rapide que la normale entre 7 et 12 ans, et un amincissement ultérieur, également plus rapide.
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Ainsi, la particularité génétique possiblement à l’origine de la singularité du cerveau des enfants précoces serait en lien avec la dynamique développementale régionale du cortex, et particulièrement le développement des régions frontales et pariétales. Une étude récente sur plus de 150 paires de jumeaux [9] a en effet montré que l’épaisseur corticale était très fortement génétiquement déterminée, tout particulièrement dans ces deux régions, précisément celles dont on a vu qu’elles étaient liées au QI. Pour terminer, il convient de citer des travaux qui se sont penchés sur la configuration anatomique même du cerveau, à savoir l’organisation spatiale des sillons et des circonvolutions de la surface cérébrale. Quelques études (encore rares) ont étudié les patrons de gyrification de familles dans lesquelles il existe des individus précoces et non précoces. La comparaison entre les deux montrerait des différences attribuables à la précocité. Ces différences, situées principalement sur les sillons de la jonction entre les lobes pariétal et temporal, inciteraient à penser que, dans certains cas au moins ,les caractéristiques génétiques en relation avec le haut potentiel intellectuel seraient présentes dès les premiers moments du développement cérébral, soit bien avant la naissance. Il n’est pas exclu, du reste, qu’il existe plusieurs mécanismes neurobiologiques, voire plusieurs origines génétiques distinctes pouvant générer un profil intellectuel exceptionnel. Une distinction classique, à cet égard, serait la distinction entre précocité homogène et inhomogène, selon que le QI est intégralement élevé, ou qu’il existe un écart significatif entre différentes mesures internes au QI (en particulier un QI verbal nettement plus haut que l’intelligence non verbale). Ces deux types de précocité, bien qu’ayant toutes deux des caractéristiques similaires en termes de rapport de l’individu à son environnement, diffèrent souvent par l’importance de difficultés scolaires chez les inhomogènes, alors que la scolarité est à l’inverse d’une grande facilité pour les homogènes. L’association de troubles dys au premier et non au second des deux types plaide en outre en faveur de mécanismes distincts à leur origine. Citons enfin une étude toute récente qui a été largement répercutée dans la presse grand public, étude émanant de l’équipe londonienne de Cathy Price, spécialiste de neuro-imagerie et de pathologie du langage et de la lecture [10] Cette étude montrerait, pour la première fois, que le QI n’est pas une donnée fixe dans le temps, et qu’un même individu peut voir son QI baisser ou monter de plusieurs points en quelques années (jusqu’à 20 points dans un sens comme dans l’autre). Les auteurs ont examiné 33 adolescents en bonne santé, une première fois en 2004 lorsqu’ils étaient âgés de 12 à 16 ans (14 ans en moyenne) puis une seconde fois en 2007-2008 lorsqu’ils avaient entre 15 et 20 ans (18 ans en moyenne). Leur QI verbal et non verbal a été mesuré grâce à différents tests (WISC-III à T1 et WAIS-III à T2) et ces jeunes ont subi un scanner cérébral structurel et fonctionnel par IRM lors de chaque examen. Les différents QI des participants allaient de 77 à 135 points au premier test et de 87 à 143 points au second, ce qui a confirmé le large éventail des aptitudes intellectuelles chez ces personnes. Le QI verbal et non verbal avait considérablement varié chez les participants entre 2004 et 2008. Certains individus avaient amélioré leur performance par rapport aux jeunes de leur âge, avec une augmentation pouvant aller jusqu’à 20 points de leur QI global.
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Pour d’autres, en revanche, leur performance avait chuté, avec une baisse du QI pouvant atteindre également 20 points. Ces changements ne seraient pas dus à une variation de la performance liée à l’humeur ou à la concentration ce jour-là, ils sont bien réels puisqu’ils sont corrélés à des changements observables sur la structure même de certaines régions cérébrales, durant la même période de temps. En particulier, il existerait une forte corrélation entre une zone motrice de l’hémisphère gauche (zone de la motricité de la main droite) et la variabilité du Q.I. verbal, et entre une zone de la partie supérieure du cervelet (vermis cérébelleux) et le Q.I. non verbal.
La grande faiblesse de toutes ces études c’est qu’elles sont basées sur une conception unique de l’intelligence, directement dépendante de la notion de QI. Or, nous l’avons dit en introduction, l’intelligence d’un enfant précoce, c’est bien plus qu’un Q.I. élevé, c’est plutôt un mode de fonctionnement mental, incluant les aspects cognitifs, mais aussi affectifs. Or, aucun de ces travaux n’est apte à rendre compte de cette diversité du concept d’intelligence, et, son corollaire, la complexité du fonctionnement mental de l’enfant précoce. Il reste donc une longue route avant de prétendre pouvoir élucider le mystère du cerveau surdoué.
[1] Magnié (M.-N.), Kahlaoui (K.), Bailet (B.), Richelme (C.) : Cognitive maturation : An electrophysiological investigation in gifted children. Int. J. Psychophysiol., 45, 2002,102. Eleventh World Congress of Psychophysiology, Montréal, Canada, July 29th-August 3rd 2002
[2] Schmithorst, V. J. & Holland, S. K. (2006) Functional MRI evidence for disparate developmental processes underlying intelligence in boys and girls. Neuro-Image 31(3):1366–79.
[3] Song M, Zhou Y, Li J, Liu Y, Tian L, Yu C, Jiang T. Brain spontaneous functional connectivity and intelligence. Neuroimage. 2008 Jul 1 ;41(3):1168-76.
[4] Graham S, Jiang J, Manning V, Nejad AB, Zhisheng K, Salleh SR, Golay X, Berne YI, McKenna PJ.IQ-related fMRI differences during cognitive set shifting Cereb Cortex. 2010 Mar ;20(3):641-9.
[5] Voir par exemple : Schmithorst VJ, Wilke M, Dardzinski BJ, Holland SK. Cognitive functions correlate with white matter architecture in a normal pediatric population : a diffusion tensor MRI study. Hum Brain Mapp. 2005 Oct ;26(2):139-47.
[6] Takeuchi H, Taki Y, Sassa Y, Hashizume H, Sekiguchi A, Fukushima A, Kawashima R. White matter structures associated with creativity : evidence from diffusion tensor imaging. Neuroimage. 2010 May 15 ;51(1):11-8.
[7] Jung RE, Haier RJ. 2007. The Parieto-Frontal Integration Theory (P-FIT) of intelligence : converging neuroimaging evidence. Behav Brain Sci. 30:135—154
[8] Shaw, P., Greenstein, D., Lerch, J., Clasen, L., Lenroot, R., Gogtay, N., Evans, A., Rapoport, J. & Giedd, J. (2006) Intellectual ability and cortical development in children and adolescents. Nature 440(7084):676–79.
[9] Joshi AA, Leporé N, Joshi SH, Lee AD, Barysheva M, Stein JL, McMahon KL, Johnson K, de Zubicaray GI, Martin NG, Wright MJ, Toga AW, Thompson PM. The contribution of genes to cortical thickness and volume. Neuroreport. 2011 Feb 16 ;22(3):101-5.
[10] Ramsden S, Richardson FM, Josse G, Thomas MS, Ellis C, Shakeshaft C, Seghier ML, Price CJ. Verbal and non-verbal intelligence changes in the teenage brain. Nature. 2011 Oct 19. doi : 10.1038/nature10514.
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Tous ceux qui ont eu à élever, enseigner ou traiter des enfants précoces savent à quel point il y a quelque chose de singulier, de différent dans la manière de penser, de réfléchir et d’apprendre des enfants à haut potentiel intellectuel. Rappelons qu’il existe une définition très claire et incontestée de la précocité, qui est une définition psychométrique (quotient intellectuel supérieur à 130), mais soulignons également que cette définition est loin de caractériser toutes les facettes de leur intelligence, celle-ci présentant des caractéristiques qualitatives (et non plus seulement quantitatives) également singulières, caractéristiques qui sont, par essence, non mesurables. Très naturellement, les chercheurs en neurosciences se sont penchés sur la question des particularités du cerveau de ces enfants, surtout depuis l’avènement de l’imagerie cérébrale, avec comme principal objectif de tenter de spécifier un mode de fonctionnement différent du cerveau qui sous-tendrait cette intelligence différente. Les premiers de ces travaux ont utilisé les méthodes électrophysiologiques, c’est-à-dire l’enregistrement par l’électroencéphalogramme de l’activité électrique du cerveau, soit spontanée, soit évoquée par des stimuli divers. Les résultats de ces études initiales sont restés assez vagues, ne permettant que des observations très générales comme la constatation d’une meilleure « cohérence » entre les différentes parties du cerveau (se traduisant par un synchronisme plus fin entre les signaux recueillis par chacune des électrodes). Ces résultats ont en général été interprétés comme témoignant d’un mode général de fonctionnement singulier du cerveau de l’enfant précoce : pensée en arborescence, par opposition à une pensée linéaire chez un sujet standard, raisonnement par analogie et de manière holistique, simultanée, et non analytique et séquentiel, comme chez tout un chacun, autant de concepts dont on sent bien les limites explicatives. Ce type d’analyse a cependant permis quelques avancées utiles, comme la démonstration par nos collègues du CHU de Nice [1]. d’une différence de traitement des stimuli verbaux ou non verbaux par les hémisphères droit et gauche chez les enfants précoces. Plus précisément, alors qu’une tâche de décision sémantique provoque une onde 400 millisecondes après la présentation de deux images, cette onde est plus ample chez les enfants précoces, et son amplitude est proportionnelle au QI. Les enfants précoces feraient intervenir plus souvent leur hémisphère droit dans la résolution de ce type de tâches.
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Sans aucun doute, les informations à la fois les plus précises et les plus cohérentes sont fournies par les techniques d’imagerie cérébrale modernes, dont l’IRM fonctionnelle, qui consiste à visualiser les zones cérébrales qui sont en activité lors d’une tâche. Par exemple, lorsqu’on demande à des sujets d’intelligence standard de résoudre une tâche d’intelligence pure, telle que celle illustrée sur la figure ci-contre, les zones cérébrales qui se mettent en fonction, relativement à une tâche similaire mais de moindre exigence du point de vue stratégique, sont essentiellement réparties dans deux zones de la surface cérébrale : le cortex frontal et pariétal. De la même manière, si l’on compare dans ce type de tâches des sujets à intelligence standard, et des sujets à QI élevé, ces derniers vont activer de manière plus prononcées ces deux mêmes zones dans leurs deux hémisphères cérébraux.
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Dès lors, on peut s’interroger sur la signification de ce lien entre l’intelligence et le fonctionnement de ces deux régions cérébrales. Le lobe frontal est connu pour être le siège des fonctions dites exécutives, les plus élaborées parmi les fonctions cognitives, comportant tout à la fois l’attention, la mémoire de travail et le contrôle des stratégies et de l’organisation des réponses ; le lobe pariétal est un centre de triage des informations reçues par le cerveau via les systèmes de la perception, qu’il recode dans l’espace tri-dimensionnel. Comme nous le verrons plus loin, c’est précisément sans doute la combinaison de ces deux types de fonctions cognitives, permettant à la fois de se représenter les objets en trois dimensions et de programmer l’action sur ces objets qui caractérise l’intelligence, bien plus que la rapidité ou l’efficacité des connexions cérébrales au sens large. En effet, au moins deux types d’approches plaident en faveur d’une particularité des connexions entre cortex frontal et pariétal chez les précoces. En premier lieu, il existe une technique d’imagerie fonctionnelle qui étudie spécifiquement les zones se mettant en activité de manière conjointe les unes avec les autres. Ces études dites de connectivité fonctionnelle ont permis à leurs auteurs d’affirmer que ce sont les connexions entre les régions postérieures (précunéus) et antérieures (cortex frontal moyens) qui sont les mieux corrélées à la valeur du QI [2] La démonstration [3]d’une forte corrélation entre le QI et la connectivité entre plusieurs aires cérébrales, même au repos est un argument supplémentaire pour attribuer à ces circuits une valeur fonctionnelle et non pas seulement considérer leur activation plus forte comme un simple épiphénomène. Du reste, il semble bien que le niveau d’activité cérébrale, en soi, ne soit pas un bon reflet de l’efficience intellectuelle, puisqu’on a pu trouver que le QI entretient une corrélation positive avec certaines zones et négative avec d’autres. [4] . L’autre technique, la DTI ou tractographie est une technique d’imagerie morphologique capable de détecter d’infimes variations de la direction des fibres de substance blanche et permet ainsi de visualiser directement des anomalies de connectivité entre deux zones corticales. Plusieurs études de ce type ont été réalisées sur de vastes populations d’enfants et d’adultes et ont montré une corrélation étroite entre le QI et l’organisation des fibres blanches unissant les régions postérieures et antérieures des hémisphères [5] Une étude particulièrement élégante a mesuré par cette même technique de tractographie les différents faisceaux de substance blanches en relation avec le degré de créativité [6]. . Cet ensemble de données a amené deux auteurs américains, Rex Jung et Richard Haier à proposer, à l’issue d’une analyse de 37 articles de la littérature publiés jusqu’alors, une hypothèse selon laquelle l’intelligence serait directement reliée à l’efficience d’un circuit parieto-frontal, une hypothèse connue sous le terme de « parieto-frontal integration theory (P-FIT) [7] . Selon cette théorie, seule une portion restreinte du cerveau serait directement en relation avec le QI, et ce serait l’intégration des informations traitées par chacune des deux partie du circuit qui serait le substrat biologique de l’intelligence. Comme cela a été par la suite suggéré, cette théorie est quelque peu réductrice et n’est évidemment qu’une hypothèse de travail pour élaborer des théories plus complètes, faisant en particulier intervenir l’environnement. Mais tout cela ne nous dit pas pourquoi ces zones seraient plus efficientes chez les enfants précoces. Les pistes principales sont de nature génétique et impliqueraient un développement particulier, génétiquement déterminé, de ces zones. Des arguments allant dans ce sens ont été apportés par des études d’une équipe du NIH américain [8] , utilisant une méthodologie spécifique d’analyse longitudinale de l’épaisseur du cortex région par région. Sur plus de 300 IRM d’enfants de 7 à 18 ans, ces auteurs ont pu démontrer que le cerveau des enfants à haut QI (121-145) était structurellement différent de ceux à QI supra-moyen (109-120) et moyen (83-108). L’épaisseur cortex cérébral des enfants à QI supérieur était bien moindre à 7 ans (comparé aux deux autres groupes) et atteignant l’épaisseur normale beaucoup plus tard (12 ans contre 8-9 ans chez les témoins). Comme le montre la figure ci-dessous, le cortex des précoces possède une double caractéristique : un accroissement bien plus rapide que la normale entre 7 et 12 ans, et un amincissement ultérieur, également plus rapide.
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Ainsi, la particularité génétique possiblement à l’origine de la singularité du cerveau des enfants précoces serait en lien avec la dynamique développementale régionale du cortex, et particulièrement le développement des régions frontales et pariétales. Une étude récente sur plus de 150 paires de jumeaux [9] a en effet montré que l’épaisseur corticale était très fortement génétiquement déterminée, tout particulièrement dans ces deux régions, précisément celles dont on a vu qu’elles étaient liées au QI. Pour terminer, il convient de citer des travaux qui se sont penchés sur la configuration anatomique même du cerveau, à savoir l’organisation spatiale des sillons et des circonvolutions de la surface cérébrale. Quelques études (encore rares) ont étudié les patrons de gyrification de familles dans lesquelles il existe des individus précoces et non précoces. La comparaison entre les deux montrerait des différences attribuables à la précocité. Ces différences, situées principalement sur les sillons de la jonction entre les lobes pariétal et temporal, inciteraient à penser que, dans certains cas au moins ,les caractéristiques génétiques en relation avec le haut potentiel intellectuel seraient présentes dès les premiers moments du développement cérébral, soit bien avant la naissance. Il n’est pas exclu, du reste, qu’il existe plusieurs mécanismes neurobiologiques, voire plusieurs origines génétiques distinctes pouvant générer un profil intellectuel exceptionnel. Une distinction classique, à cet égard, serait la distinction entre précocité homogène et inhomogène, selon que le QI est intégralement élevé, ou qu’il existe un écart significatif entre différentes mesures internes au QI (en particulier un QI verbal nettement plus haut que l’intelligence non verbale). Ces deux types de précocité, bien qu’ayant toutes deux des caractéristiques similaires en termes de rapport de l’individu à son environnement, diffèrent souvent par l’importance de difficultés scolaires chez les inhomogènes, alors que la scolarité est à l’inverse d’une grande facilité pour les homogènes. L’association de troubles dys au premier et non au second des deux types plaide en outre en faveur de mécanismes distincts à leur origine. Citons enfin une étude toute récente qui a été largement répercutée dans la presse grand public, étude émanant de l’équipe londonienne de Cathy Price, spécialiste de neuro-imagerie et de pathologie du langage et de la lecture [10] Cette étude montrerait, pour la première fois, que le QI n’est pas une donnée fixe dans le temps, et qu’un même individu peut voir son QI baisser ou monter de plusieurs points en quelques années (jusqu’à 20 points dans un sens comme dans l’autre). Les auteurs ont examiné 33 adolescents en bonne santé, une première fois en 2004 lorsqu’ils étaient âgés de 12 à 16 ans (14 ans en moyenne) puis une seconde fois en 2007-2008 lorsqu’ils avaient entre 15 et 20 ans (18 ans en moyenne). Leur QI verbal et non verbal a été mesuré grâce à différents tests (WISC-III à T1 et WAIS-III à T2) et ces jeunes ont subi un scanner cérébral structurel et fonctionnel par IRM lors de chaque examen. Les différents QI des participants allaient de 77 à 135 points au premier test et de 87 à 143 points au second, ce qui a confirmé le large éventail des aptitudes intellectuelles chez ces personnes. Le QI verbal et non verbal avait considérablement varié chez les participants entre 2004 et 2008. Certains individus avaient amélioré leur performance par rapport aux jeunes de leur âge, avec une augmentation pouvant aller jusqu’à 20 points de leur QI global.
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Pour d’autres, en revanche, leur performance avait chuté, avec une baisse du QI pouvant atteindre également 20 points. Ces changements ne seraient pas dus à une variation de la performance liée à l’humeur ou à la concentration ce jour-là, ils sont bien réels puisqu’ils sont corrélés à des changements observables sur la structure même de certaines régions cérébrales, durant la même période de temps. En particulier, il existerait une forte corrélation entre une zone motrice de l’hémisphère gauche (zone de la motricité de la main droite) et la variabilité du Q.I. verbal, et entre une zone de la partie supérieure du cervelet (vermis cérébelleux) et le Q.I. non verbal.
La grande faiblesse de toutes ces études c’est qu’elles sont basées sur une conception unique de l’intelligence, directement dépendante de la notion de QI. Or, nous l’avons dit en introduction, l’intelligence d’un enfant précoce, c’est bien plus qu’un Q.I. élevé, c’est plutôt un mode de fonctionnement mental, incluant les aspects cognitifs, mais aussi affectifs. Or, aucun de ces travaux n’est apte à rendre compte de cette diversité du concept d’intelligence, et, son corollaire, la complexité du fonctionnement mental de l’enfant précoce. Il reste donc une longue route avant de prétendre pouvoir élucider le mystère du cerveau surdoué.
[1] Magnié (M.-N.), Kahlaoui (K.), Bailet (B.), Richelme (C.) : Cognitive maturation : An electrophysiological investigation in gifted children. Int. J. Psychophysiol., 45, 2002,102. Eleventh World Congress of Psychophysiology, Montréal, Canada, July 29th-August 3rd 2002
[2] Schmithorst, V. J. & Holland, S. K. (2006) Functional MRI evidence for disparate developmental processes underlying intelligence in boys and girls. Neuro-Image 31(3):1366–79.
[3] Song M, Zhou Y, Li J, Liu Y, Tian L, Yu C, Jiang T. Brain spontaneous functional connectivity and intelligence. Neuroimage. 2008 Jul 1 ;41(3):1168-76.
[4] Graham S, Jiang J, Manning V, Nejad AB, Zhisheng K, Salleh SR, Golay X, Berne YI, McKenna PJ.IQ-related fMRI differences during cognitive set shifting Cereb Cortex. 2010 Mar ;20(3):641-9.
[5] Voir par exemple : Schmithorst VJ, Wilke M, Dardzinski BJ, Holland SK. Cognitive functions correlate with white matter architecture in a normal pediatric population : a diffusion tensor MRI study. Hum Brain Mapp. 2005 Oct ;26(2):139-47.
[6] Takeuchi H, Taki Y, Sassa Y, Hashizume H, Sekiguchi A, Fukushima A, Kawashima R. White matter structures associated with creativity : evidence from diffusion tensor imaging. Neuroimage. 2010 May 15 ;51(1):11-8.
[7] Jung RE, Haier RJ. 2007. The Parieto-Frontal Integration Theory (P-FIT) of intelligence : converging neuroimaging evidence. Behav Brain Sci. 30:135—154
[8] Shaw, P., Greenstein, D., Lerch, J., Clasen, L., Lenroot, R., Gogtay, N., Evans, A., Rapoport, J. & Giedd, J. (2006) Intellectual ability and cortical development in children and adolescents. Nature 440(7084):676–79.
[9] Joshi AA, Leporé N, Joshi SH, Lee AD, Barysheva M, Stein JL, McMahon KL, Johnson K, de Zubicaray GI, Martin NG, Wright MJ, Toga AW, Thompson PM. The contribution of genes to cortical thickness and volume. Neuroreport. 2011 Feb 16 ;22(3):101-5.
[10] Ramsden S, Richardson FM, Josse G, Thomas MS, Ellis C, Shakeshaft C, Seghier ML, Price CJ. Verbal and non-verbal intelligence changes in the teenage brain. Nature. 2011 Oct 19. doi : 10.1038/nature10514.