Fu a écrit : ↑lun. 4 déc. 2023 20:16
Franquin a à la fois revendu les droits et exigé qu'il n'y ait plus de Gaston après sa mort à lui. Le beurre et l'argent du beurre.
Ta phrase me paraît un peu injuste. Si l'on traite du sujet de la polémique, je crois qu'il vaut mieux le faire sans spéculer sur les intentions de Franquin d'après ses indéniables hésitations. Il n'a jamais rien "exigé" : il a tenu des propos contradictoires sur la possibilité d'une survie de Gaston, qui reflétaient probablement ses propres incertitudes sur le sujet, puis il en a vendu les droits, après ceux du Marsupilami, dans une période de sa vie où il était malade et où il avait des problèmes financiers importants.
Les controverses qui entourent la reprise de cette année présentent plusieurs aspects : il y a d'un côté l'opposition de la fille de Franquin, chargée de protéger l’œuvre de son père, à cette reprise. Cette opposition, soutenue par des arguments essentiellement éthiques (violation du droit moral) a été portée en justice après la publication d'une première planche dans
Spirou, et le tribunal belge qui a statué l'a jugée irrecevable. C'est un premier point.
Par ailleurs, il y a la question, plus complexe, de la nature de la reprise et des techniques employées par Delaf. Celui-ci a utilisé une base de données fondée sur des associations d'images et de mots-clefs, lui permettant de reconstituer l'univers de Gaston et ses fameuses gaffes au plus près de l'original. On est évidemment à la limite de la contrefaçon et du plagiat, et les accusations dans ce sens, de la part de lecteurs passionnés mais aussi d'autres dessinateurs, n'ont pas manqué. Sont-elles justifiées? Je n'en sais rien, honnêtement. Je pense que la bonne foi de Delaf n'est pas en cause, mais que la technique employée crée indéniablement un sentiment de malaise à la lecture de l'album, une impression de "copié-collé" maladroit qui dérange à la fois visuellement et psychologiquement. Cette impression s'atténue d'ailleurs dans la seconde partie du volume, où la ressemblance avec les dessins de Franquin et la reproduction de gags un peu mécaniques s'effacent au profit d'un début d'originalité. Je mets la suite en spoiler par précaution.
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Les dernières planches composent en effet une courte histoire suivie autour de dessins de Franquin volés, reconstitués par Lebrac puis détruits, pour être finalement récupérés... ou pas, par un Gaston assez différent de son modèle, tandis que la rédaction de Spirou sombre dans le marasme et l'alcoolisme généralisé. C'est évidemment une mise en abyme métaphorique de la controverse, avec l'exploitation assez maligne d'un personne de mauvais dessinateur qui tirera finalement son épingle du jeu de façon paradoxale. L'auto-dérision est agréable, et l'on sent Delaf s'émanciper légèrement de l'ombre trop lourde de Franquin.
Enfin, se pose de façon plus large la question de l'utilité d'une telle reprise : Gaston appartient aux années soixante, il est aujourd'hui un personnage du passé et le faire revenir n'était peut-être pas nécessaire, surtout sous une forme aussi respectueuse de l'original. L'opération financière sera probablement bonne pour l'éditeur, et les anciens albums y gagneront une nouvelle jeunesse, qui remettra le "héros sans emploi" devant les yeux d'un nouveau public. Est-ce suffisant pour justifier l'entreprise?
Personnellement, je n'ai pas d'avis sur ce sujet mais j'aurais souhaité, quitte à relire du Gaston, trouver autre chose qu'une copie, d'où ma préférence pour la fin de l'album. Évidemment, rêver que Gaston trouve l'équivalent d'un Émile Bravo pour l'inscrire au cœur d'un chef-d’œuvre profondément original, c'est sans doute un peu utopique. Mais une appropriation plus nette par le repreneur m'aurait paru plus intéressante que la tentative actuelle.
A suivre?
Le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n’en sait qu’une grande. (Archiloque)