Pour la marée de manuscrits dont tu parles au début de ton message, j'ai bien peur que le mal soit général : même les petits éditeurs sont touchés ; ensuite ils en reçoivent évidemment moins.
Par ailleurs, oui, tu as raison, j'imagine qu'on a tendance à inclure Gallimard dans la liste des éditeurs auxquels on envisage d'abord de s'adresser, pour la raison que tu évoques : Gallimard, c'est par excellence la maison des lettres dans l'imaginaire d'un tas de lecteurs. Quand j'ai expédié ma première fournée de manuscrits, sans rien savoir ou presque de cet univers de l'édition, j'espérais une publication chez Gallimard comme on attend l'onction : j'aurais été écrivain en un coup, reçu parmi les écrivains, etc. C'était il y a trois ans et j'ai beaucoup grandi depuis
Concernant les "objectifs modestes", disons que s'il s'agit d'écrire (ou de ne pas pouvoir se mettre à écrire), le sens de ce qu'on entreprend, la volonté de ne pas écrire "pour rien", même si tout ça est parfaitement légitime, me semblent exactement la sorte de considérations qu'il vaudrait mieux se taire à soi-même si l'on veut trouver la force de s'y mettre et la garder un peu de temps. Autant je trouve profitable d'envisager les œuvres de ses modèles avec une curiosité presque naïve, autant cultiver, à force de vouloir être eux ou rien, une conscience trop aiguë de ce qui nous en sépare (en termes d'exigence, de génie, etc), ça n'est pas grave, non, mais ça épuise.
Alors à tant s'épuiser, si ça se trouve, on tombe sur quelque chose de neuf qu'on n'a pas vu venir.
On peut aussi se faire beaucoup d'idées, beaucoup de mal pour rien, et devoir vivre avec ce temps perdu.
Je suis trop tiède pour m'engager dans cette voie ; je préfère me dissimuler mes ambitions pour ne pas trop en souffrir, et me concentrer sur des questions de forme.
Parce que comme tu l'écris : "À la fin on se retrouve toujours seul comme un con devant son truc."
Avec tous les costumes qu'on voudrait lui faire enfiler au risque de ne plus le voir.
Avec tous les cahiers des charges qu'on n'a pas chopés sur Internet mais qu'on s'est faits soi-même dans son coin sans y penser.
Au point qu'en fait je me demande sincèrement si "être seul comme un con devant son truc", ça ne serait pas un horizon plutôt qu'un constat.