Petitcaillou a écrit :Pour moi, il n'y a pas d'opposition avec un rationnel. Croire en Dieu, c'est pour moi accepter mon humanité dans tout ce qu'elle a de limité, tout l'inconnaissable qui me depasse, et le fait que le monde n'a pas besoin de moi pour tourner (j'ai encore du mal avec ça!); ce qui ne m'empeche pas d'être part du monde

Je ressens à peu près les choses de cette façon aussi, Petitcaillou.
Je suis la seule de ma famille à n'être pas baptisée, parce que ma mère voulait que je puisse avoir le choix, parce que pour elle, la foi ne devait rien avoir à faire avec le bain culturel forcé. J'ai donc grandi en me disant que j'avais le choix entre toutes les religions qui existaient et aucune ne me paraissait meilleure qu'une autre. Toutes avaient pour moi les mêmes dévides et le même coté "ensemble de rites sociaux visant à renforcer le groupe, à exclure l'incroyant et à fournir une assurance mort-l'âme-en-paix". Ado, cela me paraissait être une solution de facilité pour beaucoup et un truc social bien hypocrite pour les autres, je manquais clairement de nuances.
Ma position de seule "athée officielle" de la famille n'y aidait guère, vu que j'entendais des choses horrifiantes du type "Tu n'es pas baptisée ? Mais tu n'as pas le droit de rentrer dans l'église pour la communion de ton cousin et puis tu vas griller dans les flammes de l'enfer, tu te rends compte ?" (l'autre vieille bêcheuse baptisée, elle ne savait pas que tout le monde a le droit de rentrer dans une église mais elle s'y entendait pour terroriser les enfants de 6 ans

)
En grandissant et en discutant avec des croyants éclairés de tous bords (j'entends par croyants éclairés des gens qui vivent leur foi en se posant des questions, pas comme un prêt-à-penser culturel et familial (je respecte cette foi aussi mais je trouve que la conversation tourne vite en rond donc je ne m'y attarde pas)), je me suis rendue compte que les enjeux, les questionnements, les étapes à franchir, la sagesse et l'éveil qu'on y gagnait étaient sensiblement les mêmes partout.
J'y ai vu des chemins différents pour atteindre le même résultat. Qu'il y avait donc une universalité des aspirations et des consciences, une lumière qui faisait fleurir l'âme de la même manière partout. Qu'on peut atteindre par la philosophie aussi, ou par le contact respectueux avec la nature et par la conscience de l'autre en tant que belle liberté face à la sienne. Enfin par un tas de moyens différents qui élèvent l'âme et l'esprit, apaisent les tensions émotionnelles et font aller au delà de son petit ego.
Et puis avec le temps, par la sensibilité que j'avais sur certains sujets moraux, par le respect que j'ai de l'autre, de la vie et de la beauté, par la grâce que je vois dans la nature et dans certaines actions et sentiments humains, j'ai ressenti une chose étonnante, le sentiment qu'il y avait quelque chose qui échappait à mon entendement, une dimension sacrée que je pouvais voir partout sans jamais vraiment la saisir, une grâce que j'avais la chance de voir dans tout ce qui existait, et qui connectait chaque être vivant, chaque force et chaque pensée. A cette époque-là, je me sentais étrangère à ma propre vie et au monde dans son ensemble. Je le voyais si complexe, si laid et par certains côtés si bouleversant de perfection que j'en étais terrassée et honteuse d'en être à ce point exclue.
Et puis j'ai compris que la grâce que je voyais dans la nature, dans chaque brin d'herbe et chaque pierre sur les murs de ma prison (pour faire référence à Boris Vian et au sujet sur les mots qui nous touchent), je la portais aussi en moi puisque j'appartenais à cette nature. Que je l'admette ou non, je lui appartenais, j'étais un mammifère avec des instincts et j'étais humaine puisque je savais que j'allais crever. J'appartenais au monde et j'avais le droit d'être là, même si le monde pouvait tourner sans moi, et je portais aussi ma part de sacré comme les arbres et les oiseaux, et l'autre en face de moi aussi, portait sa part de sacré en lui.
Et toute cette grâce formait un tout dans lequel j'avais une place. Le jour où j'ai ressenti ça, j'ai eu le sentiment de venir au monde. Et je me suis sentie bouleversée de reconnaissance. Et tellement heureuse d'être toujours vivante, d'avoir pu lutter assez longtemps contre l'adversité pour arriver à cette conclusion là. Alors j'ai remercié. Régulièrement, je remercie pour les cadeaux que la vie me fait, pour les réponses qu'elle m'envoie, pour toute la grâce qu'elle me donne l'occasion de voir et pour l'amour que je peux donner aux gens. Parce que je vois la lumière des gens, avec des intensités différentes bien évidemment, mais je la vois. Et quand il y a beaucoup de lumière et que j'y suis invitée, alors je viens m'y réchauffer et je dis merci.
Dans Le prophète de Khalil Gibran, on peut lire au sujet de l'amour : "Lorsque vous aimez, vous ne devriez pas dire : "Dieu est dans mon coeur", mais plutôt : "Je suis dans le coeur de Dieu.""
Voilà, pour moi avoir la foi, c'est ça. C'est avoir conscience qu'il y a une part de sacré dans tout et dans tous, y compris en soi, y compris dans celui qu'on ne comprend pas, la reconnaitre, la respecter, la protéger et si possible la nourrir en acceptant qu'elle puisse nous échapper. C'est cela que je nomme Dieu, le sacré qui nous unie les uns aux autres, qu'on ne mesure jamais et qui nous rend meilleur.

"Porter la liberté est la seule charge qui redresse bien le dos." Patrick Chamoiseau