19h. Nuit noire. Parking du rdv. Quelques ombres s'approchent, la silhouette mal définie, tous ponchos dehors. Les voix sont sympathiques, la rencontre étrange, je ne distingue pas vraiment leurs visages. A ce stade je m'étais dit que je me réservais le droit de ne pas les suivre, mais finalement les voix sont accueillantes et après quelques minutes je me sens à l'aise.
On regarde les sacs, on sort les derniers équipements. On bouge. J'ai pris mes anti-histaminiques pour éviter la crise d'urticaire cholinergique.
Et dès le départ ça va vite. On sent les mollets aguerris et le souffle de ceux qui ne fument pas comme des pompiers. Je suis, je suis parce que je ne veux pas d'emblée passer pour un boulet, je suis une fille et j'ai pas envie d'entendre des vieilles blagues sur les filles ou même me plaindre, je ne les connais pas encore et je ne sais pas encore qu'ils ne sont pas comme ça. J'avance donc en nage et le souffle qui a du mal à se faire au rythme. Je sens bien que c'est une erreur, ça va trop vite, je transpire, je vais avoir froid dès que je m'arrêterai. Tant pis. Comme une bénédiction divine, la luge de l'un a elle aussi du mal à suivre et ça ralentit, du moins on fait quelques pauses. Je note que personne ne le laisse se démerder tout seul avec sa luge et me dis que ça va sans doute être dur mais qu'en cas d'emmerde ils seront sans doute là aussi pour moi. Je note aussi que les anti-histaminiques fonctionnent bien.
Arrivée un premier lieu de bivouac. Je ne sais pas l'heure qu'il est, le temps est devenue une notion tout à fait obsolète dans cet univers-là. Nous avons dû marcher 1/2 heure, quelque chose comme ça. L'endroit comporte une maisonnette en pierres, sans vitres, mais avec un foyer, c'est crade, mais peu importe il n'est pas prévu de dormir dedans. Première chose à faire : monter le bivouac. Tout le monde se cherche un coin, et certains commencent à préparer le feu. Notre organisateur m'entraine dans la forêt pour me montrer comment monter un tarp. Le sol est très meuble, les sardines ont du mal à tenir. Comme il n'est pas prévu de fort vent, on laisse comme ça, on accroche une photon à un arbre pour qu'on repère plus facilement le tarp quand nous irons nous coucher.
On retourne à la maison : opération couper du bois. Chacun s'enfonce dans la forêt pour en ramener. Première différence notable avec un camp d'été : le bois est mouillé, mouillé à coeur, et allumer un feu avec ça n'est pas simple. Je les laisse faire et observe (j'ai juste démonté un arbre mort à coups de pieds pour ramener du bois à peu près sec et j'attends de voir comment ils vont faire). Fendre le bois, faire des copeaux.... moi je fais des copeaux de fromage (plus simple), me coupe avec mon couteau (évidemment), me soigne vite fait (avec l'aide de quelques autres.. mon impression se confirme il y a une sorte de coopération qui me plaît dans ce groupe).
Les belges du groupe manifestent car il est l'heure de l'apéro : les bières belges sont excellentes, mais rudes, à la fin de la première je suis déjà à moitié saoule, ce qui n'est pas dans mes habitudes (

)
La fondue est excellente et ça réchauffe (oui parce que je commençais à geler sévère...). La soirée est vraiment sympa. Je n'ai plus peur du tout. Nous filons au lit (façon de parler) éméchés et repus, le duvet réconforte bien. Il doit faire -1°, ça va encore mais j'ai un peu froid. Je découvre que je n'ai peut-être pas assez bien calculé pour les couches thermiques. Peu importe, je finis pas m'endormir collée contre Bouillote-Man qui fume de chaud lui.
Réveil à 8 h. Une des sardines s'est fait la malle, prévisible. Heureusement que je n'avais pas écouté l'homme-bouillotte et que j'avais mis mon sursac, car j'ai les pieds dehors. Il faut bouger. Petit dej vite fait, je ne me sens pas très bien ce matin. La tête qui tourne, les jambes en coton, mal au ventre. Et merde! Voilà qu'un problème pourri de fille s'invite à la fête. Pourquoi là? Juste pour faire chier sans doute puisque ce n'était pas prévu. Heureusement j'ai de quoi gérer, la douleur aussi (trousse de secours bien garnie). Mais pas la marche. Et je ne suis pas seule à n'être pas très en forme. De retour au parking un autre et moi décidons de monter au plus près de l'étape suivant en voiture, avec toute la bouffe et les boissons pour le soir, histoire de décharger les autres en prime (ils gardent un double des clés de la voiture pour se charger une fois en haut). Il nous reste ½ heure de marche une fois arrivés, ça passe tranquille.
Nous ouvrons donc le chalet à deux avec la mission de faire du feu. Le chalet c'est grand luxe, mais le poêle est merdique et le bois toujours aussi mouillé (plus en fait). Tout est givré dehors, le sol est gelé. Je me dis que si on ne parvient pas à allumer ce feu avant que les autres arrivent on va se faire huer. Toute notre énergie passe donc à ça. Trouver du bois, faire des copeaux, j'apprends au passage ce qu'est un hérisson (en fait c'est un bout de bois qu'on taille pour faire comme une pomme de pin), et je note que c'est beaucoup moins facile à faire qu'il n'y paraît. Le mien est pourri, tous les copeaux ou presque sont à terre. Mon acolyte sort un oeuf de Manise, mais pas de bol, ça foire. Idem avec le caoutchouc. Je décide de sortir mon allume-feu spécial, le seul que je connaisse qui n'ait pour l'heure jamais failli : le PQ. Le feu s'allume, puis s'éteint, on souffle, ça se rallume, ça s'éteint de nouveau, la pièce est envahie de fumée, le poêle a des fuites. SUPER. Les autres arrivent déjà mais ne nous chambrent pas. Le ballet que j'avais déjà pu observer la veille reprend. C'est fascinant, on se croirait chez les fourmis. Chacun son poste, chacun sachant ce qu'il y a à faire, sans même se parler.
Au bout d'une demi-heure, le feu vit, et un autre s'allume déjà dehors pour les grillades. Quelques touristes passent et nous regardent bouffer, le visage un peu dubitatif pour certains, envieux pour d'autres. On se réchauffe un peu. Un des mecs creuse la glace avec un merlin à la bourrin qui commençait à fondre sous le feu et l'éteindre, il eût sans doute fallu y penser avant mais peu importe. On boit encore des bières belges et du Gewurz. Quelle bande de gros alcolos!!!! Moi qui pensais avoir à faire à une équipe de gens sains et sportifs... je constate qu'entre la bouffe et la bibine personne n'y va de main morte ^^. Notre organisateur veut encore dormir dehors (il y a des matelas dans le chalet, mais ça pue trop la fumée), alors on cherche un coin pour le tarp. Cette fois le sol n'est pas meuble, il y a 10 cm de glace vive sous nos pieds et l'enfonçage de sardines n'est pas une mince affaire, mais le truc est monté quand même et je suggère de ne pas laisser d'ouverture car le vent se lève... Mon acolyte du matin nous abandonne pour rentrer avant la nuit, il a une obligation familiale le lendemain (non ce n'est pas parce qu'on le saoule, enfin j'espère). C'était court, mais j'ai été contente de faire sa connaissance.
Même pas le temps de faire une promenade qu'il est déjà temps de re-passer à table pour l'apéro et la bouffe du soir! Qui passe bien d'ailleurs! Même si on sent autant la couenne fumée que les lardons des lentilles. Deux bouteilles de rouge et quelques bières plus tard, plus rien à boire. Sauf une pauvre bouteille de piquette oubliée là par les précédents festoyeurs. De la vraie grosse piquette, pleine d'étoiles sur la bouteille! La grande idée fut de l'ouvrir quand même pour se faire une boisson chaude avant de dormir.
Recette collective de la Bourguisanne (

) : grosse piquette rouge au moins 75cl, une pomme coupée en morceaux, un sachet de thé gingembre/citron vert, du sucre, à faire chauffer sur le feu. Miam.
Une petite balade digestive plus tard, nous sommes cuits. Dodo.
Là je flippe. Le vent souffle et le grésil s'est mis à tomber. Un des mecs échange sont Défense4 (gros duvet de l'armée) avec mon duvet en plumes qui sera trop limite pour dehors (humidité et température extrême trop faible). Mais même, je me dis qu'on va galérer. Et en effet je galère. L'homme-bouillotte ne fume pas de chaud et même collée, j'ai froid. Il dort bien je ne veux pas le réveiller et j'encaisse. Mais ne dors pas. Dehors le vent a doublé d'intensité, le grésil s'infiltre partout. Le Z-lite (matelas mousse) sur la « blanquette de l'espace » (space blanket en vrai = google est votre ami) n'est pas suffisant sur sol gelé, en tous cas pas pour moi. Et je glisse. Ce n'est pas plat. En tous cas pas tout à fait. Je me vois déjà finir la nuit sous les sapins ailleurs si je m'endors. Je finis par réveiller bouillotte-man vers 6h. Parce que je peux plus. Tant pis je passerai pour une chochote. Je ne sens plus la moitié de mon corps (bon j'avoue exagérer un peu). Il ne gueule pas (ouf). Il me fait enfiler un collant en laine qu'il a de rab et on ouvre les duvets pour les coller et se réchauffer avec la respiration. Mais ça n'est pas suffisant. Il faut choisir entre respirer ou avoir chaud. On décide de rentrer dans le chalet en abandonnant les sacs sous le tarp qui s'est à moitié effondré sur nous et qui a transmis toute son humidité aux duvets. Et là bonheur. Je ne mets pas longtemps à m'endormir bien que le froid persiste un peu. Les ours ont laissé le feu mourir mais il reste un peu de chaleur et il y a la leur en prime. Le chien est sage il ne fait aucun bruit (moi qui ai d'ordinaire assez peur j'avoue avoir été bluffée par celui-là qui est un modèle de bonne éducation et de gentillesse, en plus il portait sa propre bouffe et son propre matelas de sol grâce à des sacoches c'était marrant). J'ouvre les yeux vers 10h avec un autre duvet sur moi, bien au chaud, avec aucune envie d'en sortir mais il le faut.
Petit dej, balade... brouillard et grésil qui pique la peau... fatigue... mais pas envie de rentrer. On mange au chalet. L'un des mecs nous montre son super réchaud homemade (un truc de dingue, fabriqué avec un fond de canette). Un autre me fait du thé pour me réchauffer et là j'apprends que le feu n'est rien face à un réchaud! Du moins pas en hiver.
Nous redescendons vers ma voiture. Tous m'aident à la déblayer. Elle démarre, et réussit à atteindre la route, je suis sauvée de ce week end de fous! Je les attends tout de même en bas pour boire un dernier café avec eux (oui car je n'ai vraiment pas envie de les quitter, ni que le week end se finisse), qui se transforme en chocolats chauds, thés, gaufres et tartes aux myrtilles, crêpes au Nutella, grog pour un autre (un belge évidemment!)... Mais c'est la fin, il faut s'y faire. Bye à tous je retourne dans mon pays perdu! Avec une furieuse envie de réitérer tout de même.
J'ai appris plein de choses :
- la fierté mal placée c'est comme la connerie, ça pourrait sans doute tuer
- le camp en hiver, c'est pas comme en été, on ne peut pas se dire « ça ira » : faire du feu c'est un challenge dont je n'ai pas encore les clés (j'ai encore des choses à apprendre), le réchaud est un indispensable, les couches thermiques ça se réfléchit, la gestion de la transpiration et de l'humide aussi, la blanquette de l'espace ça glisse dans les pentes gelées, marcher dans 15 cm de poudreuse ça fait mal au cul (les bâtons de marche, peut-être, n'eurent pas été de trop)
- pour monter un tarp, il ne faut pas négliger ses attaches ni ce qui peut potentiellement lui tomber dessus.
- parfois on en chie mais au final c'est quand même bon, parce qu'on va taper dans le mur de ses limites, parce que ça réduit toutes nos petites merdes quotidiennes à rien : je crois que je vais mettre au moins une semaine à me re-stresser pour quelque chose.
- la coopération fait tout, la chaleur humaine aussi.
- la Bourguisanne c'est bon!
- il existe encore des mecs qui ont des couilles et qui pour autant savent ne pas rabaisser les autres avec toutes leurs faiblesses et leur inexpérience.
- nous ne sommes
vraiment que des
crottes de mouche biiiiiiip sur cette terre, la nature est vraiment la plus forte.