Judith a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023 11:01Je ne crois pas que le recours à la notion de bonapartisme soit forcément un raccourci énorme.
Ah tiens oui, l'ouvrage de René Rémond a fait partie des lectures du temps de mes études il y a looooonnngtemps et je n'y avais pas repensé sur l'instant

Ça doit dater de la première année de prépa. Je n'ai pas lu le complément de 2005. Ce faisant, dans l'utilisation que je faisais du terme "bonapartiste" en broyant du noir hier soir, je vais au moins dans son sens concernant l'ascendance du gaullisme mais je pestais globalement contre ce qui en a infusé dans la culture politique plus générale, puisque les dispositions de la constitution de 1958 ont également été utilisés pour des logiques programmatiques censément de gauche ou de centre-droit. Cela s'éloigne de ma conception de la démocratie, j'ai beaucoup plus l'impression d'être dans une oligarchie élective ou encore une dictature de la majorité.
Or j'ai le souvenir d'un sondage pas si ancien, dont je ne retrouve plus les références, où une large majorité des interrogés se déclaraient vouloir à la fois continuer à élire le président au suffrage universel direct, et lui donner plus de moyens d'agir... Voilà le genre de chose qui continue de m'évoquer un bonapartisme sous-jacent et par ailleurs transpartisan. Ces temps-ci, la question principale étant un thème socio-économique qui va toucher très directement certains de nos concitoyens dans leur conditions d'existence les plus basiques, il semble que pas mal de gens redécouvrent à quel point les institutions héritées de 1958 sont en équilibre instable sur la limite séparant la démocratie de l'autoritarisme électif. Il reste donc à espérer qu'un tel sondage montrerait une forme de (re)prise de conscience si l'on le refaisait.
Ou pas... Peut-être qu'il y a aussi des français qui, de fait, s'accommoderont de nouveau des institutions quand des choses iront dans leur sens ou ne les interpelleront pas aussi directement : après tout, la période récente n'a pas été épargnée par les ignominies (que l'on se souvienne simplement des procédures arbitraires à l'encontre des fameux "fichés S", des attaques aux libertés fondamentales permises par l'état d'urgence et finalement intégrées au droit commun...) et, malheureusement, un certain nombre de ces manifestations de cynisme décomplexé se sont faites à bas bruit, parvenant à ne pas déclencher de tempête majeure ni au parlement ni dans l'opinion : donc maintenant, pour s'en débarrasser...
Et puis, il n'y a pas que l'article 49-3. Là, on est en train de redécouvrir les 44-2 et 44-3 tout aussi facilement utilisables par un gouvernement au profit d'une logique anti-parlementaire ; et dans cette "chère" constitution se cachent toujours quelque-part les articles 16, ou 36, pour ne citer que les plus dangereux.
Judith a écrit :C'est aussi mon cas, même si je ne suis pas très optimiste sur le résultat, en partie à cause de la composition du Conseil Constitutionnel. Mais il pourrait offrir une sortie de crise raisonnable, soit en évacuant les aspects sociaux de la loi qui n'ont rien à y faire, soit en la récusant purement et simplement (tu as donné les principaux arguments qu'il aurait pour le faire, je n'y reviens pas).
Plus précisément, ma faible lueur d'espoir, c'est que quelqu'un vienne enfin sanctionner la mauvaise foi ambiante et décomplexée en rappelant que la notion de
sincérité des débats (puisqu'il y a tout de même quelques bonnes formulations dans la constitution) est très éloignée de la manière dont cela s'est passé en pratique, y compris d'ailleurs le recours à une technique d'obstruction de la part d'une partie des opposants au texte. Or si les membres du Conseil constitutionnel font précisément le travail qu'on est en droit d'attendre d'eux, à savoir effectuer un vrai contrôle de légalité sans tenter de jouer sur les mots dans un but partisan non avoué, il devrait y avoir de réelles chances que le texte ne passe pas.
Après, je ne tirerai personnellement pas grande satisfaction d'une telle annulation qui n'aurait rien d'une "réussite" car le texte tomberait sur un vice de forme, et non par la mise en évidence de ses défauts intrinsèques. En soi le débat n'aura pas réellement avancé si tel est le cas.
Holi a écrit : ↑jeu. 23 mars 2023 14:45A quoi bon allez élire des gens qui pensent plus à eux qu'à nous, qui ne nous entendent pas, ne nous respectent pas ?
Avant tout,
mal élus, et jouant sur les mots quand ça les arrange. Avec ce mode de scrutin, chaque élu oublie dès le second tour que sa représentativité véritable ne transparait que dans les résultats du premier tour. Après le second tour, il se retrouve à mettre en œuvre des propositions choisies uniquement par une minorité tout en proclamant qu'on l'a élu pour ça. Euh, non, en fait.
Maintenant, le dernier discours présidentiel en date pousse cette logique jusqu'à l'absurde quand l'intéressé prétend avoir été élu à la majorité absolue pour faire ce qu'il fait ; et quant au côté "je sais que ça ne vous plait pas, mais c'est mon devoir et un jour vous me comprendrez, l'Histoire me remerciera" : il n'y aurait pas besoin de chercher très loin pour trouver dans la bouche de divers autocrates cette notion du "mal nécessaire". Par exemple je crois que Raul Castro l'a dit dans ses dernières années.
Holi a écrit :Il est peut-être nécessaire d'envisager une réforme des retraites, mais pas celle là, pas comme ça, pas en mettant la charrue avant les bœufs, pas en faisant la sourde oreille aux vrais problèmes qu'elle pose.
Même pas sûr. Sans prétendre pouvoir tout résumer en deux mots, je crois comprendre que la nécessité d'une réforme est loin de faire consensus auprès de ceux des économistes qui essaient d'avoir une approche raisonnablement scientifique. Il en serait de même pour un certain nombre d'alternatives à tout ou partie de la réforme qui ont pourtant été écartées sans plus d'explications, par cette chose que ma conscience m'interdit d'appeler
majorité.
Pour mémoire, un des arguments entendus ces temps-ci repose sur une prétendue comparaison aux autres modèles européens : l'âge de départ minimal et/ou l'âge de départ à taux plein sont plus tardifs ailleurs... Sauf que c'est là une faute méthodologique capitale, ces "âges" ne signifient rien si l'on ne tient compte ni des différences de sources de financement, d'assiette des cotisations et j'en passe. Et aussi quand on passe joyeusement sous silence qu'en termes d'âge de départ effectif ou de niveau de vie des retraités, la France pré-réforme n'a rien d'insolite. Or donc, quand une personne rabâche cet argument fumeux pour faire avaler les fameux 64 ans, je vois trois possibilités, toutes aussi impardonnables les unes que les autres :
- elle ne comprend pas les différences entre les systèmes qu'elle compare ;
- elle espère qu'avec un peu de malhonnêteté rhétorique, d'agressivité et de monopolisation du temps de parole, ses contradicteurs ne réussiront pas à mettre en évidence l'enfumage en cours ;
- elle espère que ses contradicteurs ne savent eux-mêmes pas plus de quoi ils parlent ?
C'est là l'exemple le plus lamentable et ridicule de la qualité pitoyable des débats de ces dernières semaines, dont je me souvienne. J'imagine qu'il doit exister pire, évidemment.
Holi a écrit :J'alterne entre addiction aux mauvaises nouvelles et entrer dans ma bulle et faire l'autruche.
Au pire, si tu as la capacité de faire l'autruche, j'aurais tendance à te dire de ne pas t'en priver. Comme je disais, je n'y arrive pas : ne pas voir quelle iniquité risque de me tomber dessus par surprise m'angoisse plus que de la voir se profiler à l'horizon. La guerre me faisant plus peur que n'importe-quelle aberration sociale potentiellement réversible, autant dire que je reste un peu collé·e à l'actualité internationale - comme à mon habitude, sauf que
ça révèle aussi à quel point ma curiosité habituelle pour les domaines géopolitique, stratégique, macro-économique, diplomatique... se fonde, à la base, sur une profonde intranquillité...