Te lire m'a fait penser à des objections qu'auraient eues certains philosophes par rapport à cette idée que philosopher puisse être profitable à tout le monde et que chacun serait capable de philosopher. Je les cite en spoiler au cas où cela intéresserait quelqu'un.Euthyphron a écrit :Pour la seconde, la timidité, les raisons peuvent en être très différentes, de la simple peur d'être mal jugé par quelques crétins prétentieux à la pudeur de révéler quelque chose de profondément soi. La philosophie souffre ici du même toxique que l'art : on a pris l'habitude de considérer que de l'art (ou de la philosophie) pratiqué à l'humble petit niveau d'un débutant ce n'était pas de l'art (ou de la philosophie), et on a eu bien tort, en oubliant la richesse que présente le fait d'être pour tous, pour tout être humain qui le souhaite pourvu qu'il dispose du temps nécessaire. Je rêve d'une société où tout être humain aurait la disponibilité suffisante pour pratiquer à ses heures art et philosophie. C'est d'ailleurs, pour tout dire, mon seul côté marxiste.
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Blaise Pascal a écrit :13930
« Divertissement. – Quand je m'y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s'il savait demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d'une place. On n'achètera une charge à l'armée si cher, que parce qu'on trouverait insupportable de ne bouger de la ville; et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir.30
Mais quand j'ai pensé de plus près, et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en découvrir la raison, j'ai trouvé qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.30
Quelque condition qu'on se figure, si on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde; et cependant, qu'on s'en imagine [un] accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher, s'il est sans divertissement, et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu'il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables; de sorte que, s'il est sans ce qu'on appelle divertissement, le voilà malheureux, et [plus] malheureux que le moindre de ses sujets, qui joue et qui se divertit.30
De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n'est pas qu'il y ait en effet du bonheur ni qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit d'avoir l'argent qu'on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu'on court : on n'en voudrait pas, s'il était offert. Ce n'est pas cet usage mol et paisible, et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition, qu'on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit.30
Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise.30
De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement; de là vient que la prison est un supplice si horrible; de là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et c'est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois, de [ce] qu'on essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toute sorte de plaisirs.30
Le roi est environné de gens qui ne pensent qu'à divertir le roi, et l'empêcher de penser à lui. Car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense.30
Voilà tout ce que les hommes ont pu inventer pour se rendre heureux. Et ceux qui font sur cela les philosophes et qui croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir après un lièvre qu’ils ne voudraient pas avoir acheté, ne connaissent guère notre nature. Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères, mais la chasse – qui nous en détournent – nous en garantit.30
Et ainsi, quand on leur reproche que ce qu’ils recherchent avec tant d’ardeur ne saurait les satisfaire, s’ils répondaient comme ils devraient le faire s’ils y pensaient bien, qu’ils ne recherchent en cela qu’une occupation violente et impétueuse qui les détourne de penser à soi et que c’est pour cela qu’ils se proposent un objet attirant qui les charme et les attire avec ardeur, ils laisseraient leurs adversaires sans repartie. Mais ils ne répondent pas cela, parce qu’ils ne se connaissent pas eux‑mêmes. Ils ne savent pas que ce n’est que la chasse et non pas la prise qu’ils recherchent.30
Ils s’imaginent que s’ils avaient obtenu cette charge ils se reposeraient ensuite avec plaisir et ne sentent pas la nature insatiable de la cupidité. Ils croient chercher sincèrement le repos, et ne cherchent en effet que l’agitation. Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l’occupation au‑dehors, qui vient du ressentiment de leurs misères continuelles. Et ils ont un autre instinct secret qui reste de la grandeur de notre première nature, qui leur fait connaître que le bonheur n’est en effet que dans le repos et non pas dans le tumulte. Et de ces deux instincts contraires il se forme en eux un projet confus qui se cache à leur vue dans le fond de leur âme, qui les porte à tendre au repos par l’agitation et à se figurer toujours que la satisfaction qu’ils n’ont point leur arrivera si, en surmontant quelques difficultés qu’ils envisagent, ils peuvent s’ouvrir par là la porte au repos.
[tab=30]Ainsi s’écoule toute la vie, on cherche le repos en combattant quelques obstacles. Et si on les a surmontés, le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte. Car ou l’on pense aux misères qu’on a ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même assez à l’abri de toutes parts, l’ennui, de son autorité privée, ne laisserait pas de sortir du fond du cœur, où il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin.
[tab=30]Ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui par l’état propre de sa complexion. Et il est si vain qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui, la moindre chose comme un billard et une balle qu’il pousse suffisent pour le divertir. »
143
[tab=30]« Divertissement. – On charge les hommes, dès l’enfance, du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l’honneur de leurs amis. On les accable d’affaires, de l’apprentissage des langues et d’exercices. Et on leur fait entendre qu’ils ne sauraient être heureux sans que leur santé, leur honneur, leur fortune et celles de leurs amis soient en bon état, et qu’une seule chose qui manque les rendra malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà, direz‑vous, une étrange manière de les rendre heureux. Que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Comment, ce qu’on pourrait faire ? Il ne faudrait que leur ôter tous ces soins, car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont. Et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner, et c’est pourquoi, après leur avoir tant préparé d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l’employer à se divertir, à jouer et à s’occuper toujours tout entiers.
[tab=30]Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure. »
144
[tab=30]« J'avais passé longtemps dans l'étude des sciences abstraites; et le peu de communication qu'on en peut avoir m'en avait dégoûté. Quand j'ai commencé l'étude de l'homme, j'ai vu que ces sciences abstraites ne sont pas propres à l'homme, et que je m'égarais encore plus de ma condition en y pénétrant que les autres en les ignorants. J'ai pardonné aux autres d'y peu savoir. Mais j'ai cru trouver au moins bien des compagnons en l'étude de l'homme, et que c'est la vraie étude qui lui est propre. J'ai été trompé; il y en a encore qui l'étudient que la géométrie. Ce n'est que manque de savoir étudier cela qu'on cherche le reste; mais n'est-ce pas que ce n'est pas encore là la science que l'homme doit avoir, et qu'il lui est meilleur de s'ignorer pour être heureux ? »
Cioran a écrit :30
« Toute lucidité est la conscience d'une perte. »
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« La lucidité résulte d'un amoindrissement de la vitalité, comme l'absence d'illusion. Se rendre compte ne va pas dans la direction de la vie; être au clair avec quelque chose encore moins. On est tant qu'on ne sait pas qu'on est. Être signifie se tromper. »
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« L'esprit fleurit sur les ruines de la vie. »
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« Quand la coutume de regarder les choses en face tourne à la manie, on pleure le fou qu'on a été et qu'on n'est plus. »
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« La connaissance de soi, la plus amère de toutes, est aussi celle que l'on cultive le moins : à quoi bon se surprendre du matin au soir en flagrant délit d'illusion, remonter sans pitié à la racine de chaque acte, et perdre cause après cause devant son propre tribunal ? »
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« La lucidité sans le correctif de l'ambition conduit au marasme. Il faut que l'une s'appuie sur l'autre, que l'une combatte l'autre sans la vaincre, pour qu'une œuvre, pour qu'une vie soit possible. »
(Pour Schopenhauer, le génie est un être doté d'une moindre part de volonté par rapport à son intellect, ce qui lui permet de concevoir dans une objectivité presque parfaite car il s'oublie autant qu'il est possible dans la perception des Idées.)Schopenhauer a écrit :30
« La volonté, racine de l’intellect, s’oppose à toute activité dirigée vers quelque fin différente des siennes. Aussi l’intellect n’est-il capable d’une conception purement objective et profonde du monde extérieur, qu'une fois détaché pour un moment au moins de sa racine. Jusque là il n’est par ses propres ressources susceptible d’aucune activité, mais s’endort dans l’engourdissement toutes les fois que la volonté (l’intérêt) ne vient pas le réveiller et le mettre en mouvement. Cette intervention se produit-elle, il est alors très propre sans doute à reconnaître les relations des choses, selon l'intérêt de la volonté, et c’est le cas de tout esprit intelligent, qui est toujours en même temps un esprit éveillé, c’est-à-dire vivement excité par la volonté; mais par cela même l’intellect est incapable de saisir l’essence purement objective des choses. Car la volonté et ses fins le rendent si exclusif qu’il ne voit dans les choses que ce qui s’y rapporte; le reste disparaît en partie et arrive en partie faussé à la conscience. Par exemple, un voyageur pressé et inquiet ne verra dans le Rhin et ses bords qu’un fossé qui coupe sa route, et dans le pont qu’un moyen de franchir le fossé. Dans le cerveau d’un homme tout absorbé par ses fins, le monde fait l’effet d’un beau paysage sur le plan d’un champ de bataille. Ce sont là sans doute des extrêmes, pris pour plus de clarté; mais toute excitation même médiocre de la volonté aura toujours pour conséquence quelque altération dé ce genre. Le monde ne peut ressortir à nos yeux dans sa couleur et dans sa forme vraies, dans son entière et exacte signification, que si l’intellect, dégagé de la volonté, plane librement au-dessus des objets, sans le stimulant du vouloir, mais non sans une énergique activité. Un tel état est certainement contraire à l’essence et à la destination de l’intellect; il est en quelque sorte contraire à la nature, et par là des plus rares; mais c’est en cela que consiste justement le génie : chez le génie seul cet état se produit à un haut degré et d’une façon constante, pendant que chez les autres hommes il ne se réalise qu’approximativement et par exception. — C’est en ce sens que je prends le mot de Jean Paul (Éléments d’esthétique, § 12) : "L’essence du génie est la réflexion." L’homme normal, en effet, est plongé dans le tourbillon et dans le tumulte de la vie, à laquelle il appartient par sa volonté; son intellect est tout rempli des choses et des événements de la vie; quant aux choses mêmes, quant à l’existence même, dans leur signification objective, il ne les remarque pas : son cas est celui du marchand qui, à la bourse d’Amsterdam, entend parfaitement les paroles de son voisin, mais non ce bourdonnement semblable au bruit de la mer qui s’élève de la bourse entière et étonne l'observateur placé à distance. Pour le génie au contraire, dont l’intellect est détaché de la volonté et par suite de la personne, rien de tout ce qui concerne l’individu ne lui voile le monde et les choses; il les perçoit distinctement, il les voit, tels qu’ils sont en eux-mêmes, dans une intuition objective : c’est en ce sens qu’il est "réfléchi". »
Je ne trouve plus une citation que je trouvais amusante et qui disait que commencer à philosopher c'est comme apprendre à se raser : mieux vaut ne pas démarrer sous la gorge.
La citation suivante est plus en accord avec l'idée que chacun devrait philosopher :
Marc Aurèle a écrit :30
« Ce n’est pas le tout de se dire que chaque jour la vie se perd, et que ce qui nous en reste diminue sans cesse; il faut aussi se répéter que l’existence fût-elle beaucoup plus longue, nous ne sommes jamais sûrs que notre esprit demeurera jusqu’au bout également capable de bien comprendre la vérité, et de s’élever à ces hautes spéculations qui nous conduisent à la connaissance des choses divines et humaines. Ne se peut-il pas, en effet, qu’on tombe en un commencement de démence, sans que pour cela la respiration, la nutrition, l’imagination, les désirs et toutes les autres facultés de même ordre, viennent à défaillir en nous ? Mais jouir pleinement de soi, mesurer exactement le nombre et l’espèce de tous ses devoirs, être en état de préciser le moment où l’on doit s’éconduire soi-même de la vie, et tant d’autres actes qui, comme ceux-là, exigent la raison la plus éprouvée par des luttes antérieures, ce sont là des puissances qui s’éteignent prématurément en nous. Ainsi donc, voilà des motifs de se hâter, non pas seulement parce qu’à chaque instant nous nous rapprochons de la mort, mais de plus, parce que la conception des choses et leur enchaînement peuvent nous échapper avant la vie même. »
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http://lephilosophesansqualits.blogspot ... -post.htmlFrédéric Schiffter a écrit :Schopenhauer, Nietzsche, Pessoa furent des orphelins de père précoces. Montaigne fut orphelin d'Etienne de La boétie. Ortega fut exilé et interdit d'enseignement sous Franco. Un déclassé. Freud vécut toujours sur fond de catastrophe individuelle et historique. Proust fut malade (comme Nietzsche). Rosset, grand dépressif, a relaté sa descente aux enfers dans "Route de nuit". Onfray lui-même souffre de problèmes cardiaques. Tous les plaisirs lui sont interdits. Son hédonisme n'est que théorique. Dommage qu'il n'en tire pas une philosophie originale. »
Je vais reparcourir tout le sujet pour essayer de le comprendre et de réagir plus à-propos. Là, c'est seulement à la lecture d'un passage que j'ai voulu retrouver quelques idées qui me semblent en lien, mais il se peut que j'aie mal compris, mal interprété. Il faudra me dire si je suis HS avec ce message-ci.
