Contrairement aux psychologues qui interviennent au bout de la chaîne de souffrance au travail, lorsque le clash a eu lieu, le sociologue propose de prendre le problème à la source, de comprendre comment se mettent en place les risques psycho-socio. Cette formation était un peu spéciale cette fois puisqu'elle proposait de voir comment on pouvait être source de souffrance pour soi-même autant que pour l'autre. De sortir de la vision unique de victime.
Les problèmes liés à l'entreprise sont bien connus, aussi je ne m'attarderai pas trop dessus: rationalisation du travail, déshumanisation, productivité, environnement de travail dégradé, etc
Les problèmes venant de l'individu sont plus subtiles, ils sont autant causés par l'entreprise que par l'individu lui-même.
Les éléments présentés dans les onglets sont jugés personnels puisqu'ils varient d'un individu à l'autre, qu'ils ne sont pas gérés de la même manière. Mettre en place des formations, adapter les conditions de travail, reconnaître l'individu et son travail sont des éléments sur lesquels l'entreprise peut agir pour réguler les conséquences néfastes. Mais il est une autre facette sur laquelle elle a peu de prise.
Le but de la formation était de constater que nous sommes aussi nous-mêmes très souvent partie prenante (ce qui ne dédouane en rien l'entreprise, mais en prendre conscience permet de mieux cibler les problèmes sources).
L'exemple ayant servi à illustrer ce propos est très parlant, il s'agit de ce que l'on appelle le contrat narcissique.
Des entreprises proposent aux salariés ou futurs salariés une image qui les séduit, qui s'adresse à leurs projections de réussite, de valeurs, etc. Il suffit de penser à tous ceux qui souhaitent travailler pour des firmes comme Apple, Google, etc, de songer aux entreprises que l'on rêverait de rejoindre.
Les salariés sont prêts à de nombreux sacrifices pour concrétiser leur idéal, pour qu'on leur renvoie l'image narcissique de réussite dont ils rêvent. Ils donnent le bâton pour se faire battre et acceptent les coups reçus... jusqu'à ce que la rupture surviennent. Prendre conscience cela est un pas énorme, difficile à faire, à accepter.
Il est toujours plus facile de se dire que l'on est victime, que l'on n'a aucune part de responsabilité.
L'exercice suivant était aussi intéressant: penser à une situation qui nous a blessé puis réfléchir à ce qu'on renvoyait aux personnes, comprendre nos réactions. Très introspectif, mais très révélateur.
Le comédien est ensuite intervenu. Après une petite séance de décontraction, de jeux, on a constitué des groupes de 3-4 personnes. Chaque personne du groupe devait raconter une anecdote survenue au travail, une situation où l'on avait fait souffrir, volontairement ou non, une personne. Le groupe choisissait ensuite une anecdote et la mettait en scène pour la présenter aux autres. C'était délicat de trouver au début, on préfère se souvenir des situations inverses, ce n'est jamais agréable de s'avouer avoir blessé une personne. Mais c'est impressionnant de voir le nombre de situations qui nous reviennent à l'esprit dès qu'on a évoqué le premier épisode.
Très intéressant de comprendre que nous sommes autant victime que bourreau dès que l'on s'enferme dans sa bulle.
Les mécanismes de souffrance au travail sont complexes à appréhender. Mais comme le rappelle si bien Cyrano, la société c'est nous, l'entreprise c'est nous; nous, individus. L'entité abstraite "entreprise" n'existe pas, ce sont des humains qui la composent. Et l'on aura beau modifier toutes les contraintes de travail, tant qu'on ne se modifie pas soi-même, cela n'aura que des résultats à court terme, le problème ne fera que se transposer ailleurs.
Bien sur, il ne s'agit aucunement de dédouaner ou de tolérer les exactions de certains dans le domaine professionnel, mais de comprendre ce qui les provoque, de se demander si l'on n'accepte pas en partie cette situation, et dans ce cas pourquoi. Le tout bien sûr, sans jugement.
Je vous laisse réagir si vous le souhaitez, mais bien sûr le but n'est pas d'aller crier qu'on a été harcelé ou de crier au pervers narcissique, parce que ce ne serait pas constructif et encore moins dans la ligne donnée au sujet. Bref, si c'est pour dire "je suis le pauvre gentil martyrisé et l'autre est le gros méchant pas beau", passez votre chemin
